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Huit questions sur le recours aux grenades GLI-F4, accusées d'avoir grièvement blessé des manifestants

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants réclament l'interdiction du recours aux grenades par les forces de l'ordre, lors d'un rassemblement à Paris, le 2 février 2019. (MARIE MAGNIN / HANS LUCAS)

Un "gilet jaune" a eu la main arrachée à Paris par une grenade GLI-F4 samedi dernier. Ces engins explosifs sont uniques en leur genre et sont souvent pointés du doigt pour leur dangerosité.

Après le contesté lanceur de balles de défense LBD 40, dont l'usage a été pourtant validé par le Conseil d'Etat, le débat se focalise maintenant sur les grenades GLI-F4. Des avocats vont saisir le Conseil d'Etat pour demander l'interdiction de la grenade à l'origine, samedi 9 février à Paris, de la grave blessure à la main d'un manifestant, lors de la XIIIe journée de mobilisation des "gilets jaunes". Le secrétaire d'Etat, Laurent Nuñez, a estimé sur franceinfo que "l'armement intermédiaire [était] indispensable pour éviter du corps-à-corps" dans les situations "d'émeutes urbaines".

Mais que sait-on de ces GLI-F4 dont l'usage est contesté par un nombre croissant de manifestants ? Eléments de réponse.

1En quoi consistent les GLI-F4 ?

Ces grenades GLI-F4 sont définies comme des munitions "spécifiquement destinées à l'usage militaire ou au maintien de l'ordre" (catégorie A2) dans le Code de la sécurité intérieure. De petite taille (17,8 cm de hauteur, 5,6 cm de diamètre, 190 g), les GLI-F4 sont uniques dans l'arsenal des forces de l'ordre. Elles contiennent un gaz lacrymogène, qui disperse un nuage de poudre, mais celui-ci est incolore car il ne contient pas de produit fumigène.

A la différence des grenades lacrymogènes MP7 et CM6 et des grenades de désencerclement (GMD), elle est aussi composée d'une charge explosive de 25 grammes de tolite (TNT). Objectif : provoquer une forte détonation — 165 décibels à une distance de 5 mètres, soit un volume sonore supérieur à celui d'un avion au décollage  et un effet de souffle (un "blast"). Ce fort pouvoir explosif fait débat, d'autant que la tolite était également employée dans les grenades dites "OF-F1", en cause dans la mort du militant Rémi Fraisse à Sivens, en octobre 2014, et désormais interdites.

Un officier de police tient une grenade explosive GLI-F4 dans la main lors d'une manifestation de "gilets jaunes" à Paris, le 26 janvier 2019, sur la place de la Bastille. (KARINE PIERRE / HANS LUCAS)

Selon un rapport général sur le maintien de l'ordre remis en 2018 par le Défenseur des droits, ce type de grenade est fréquemment utilisé au cours d’opérations de maintien de l'ordre, et les forces de l'ordre y ont massivement recouru au cours des manifestations contre la loi Travail de 2016 mais aussi lors des évacuations de ZAD, comme à Bure et à Notre-Dame-des-Landes, toutes deux en 2018.

"Cela permet à quelqu'un qui est en difficulté, agressé par un groupe, de pouvoir se dégager d'une situation, elle disperse", détaille à l'AFP François Trinta, formateur dans la police. Leur effet dissuasif et psychologique fait ainsi préalable "à une manœuvre de décrochage, c'est-à-dire de mise à distance", précisait encore à franceinfo le colonel Stéphane Fauvelet, du centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG).

Le recours à ces grenades explosives peut également venir en appui à des mouvements d'unités ou à des interpellations, dans le cadre d'importantes violences ou émeutes.

Nos gaz sont parfois inefficaces quand une partie des manifestants sont équipés en conséquence, mais les F4 sont l'ultime recours et leur usage est proportionné. Vous ne pouvez pas en tirer sur quelqu'un qui lancerait de petites balles en caoutchouc.

Le colonel Stéphane Fauvelet, formateur dans la police

à franceinfo

En effet, ces grenades explosives ne conviennent pas à tous les terrains. Elles sont généralement utilisées dans des sites ouverts et aérés, par exemple en milieu rural, quand les gaz lacrymogènes ne peuvent pas saturer l'air ambiant assez longtemps pour avoir une réelle efficacité dans le maintien de l'ordre.

2Qui est autorisé à les utiliser parmi les forces de l’ordre ?

Ces grenades explosives sont à la fois utilisées par les policiers et les gendarmes mobiles. Du côté de la police, ce sont généralement les CRS et les compagnies départementales d'intervention qui sont habilités à s'en servir. La formation dure une heure, avec une partie théorique et pratique, et est "souvent intégrée à l'usage du lanceur de grenade Cougar. Elle doit être refaite tous les trois ans", explique-t-on au service communication de la police nationale.

Du côté des gendarmes, seuls les escadrons de gendarmerie mobile disposent de GLI-F4. Les tireurs doivent détenir un certificat initial d'aptitude à la pratique du tir, valable trente-six mois et renouvelable. La formation comprend un module réglementaire et un module connaissance/manipulation de l'arme et dure une demi-journée.

3Quelles sont les règles précises pour les utiliser ?

Après le drame de Sivens, les règles d'emploi des GLI-F4 ont été durcies. Le ministère de l'Intérieur a introduit l'obligation d'être à deux pour utiliser les grenades GLI-F4. Le deuxième fonctionnaire est censé aider le lanceur à viser une zone sans manifestant. Les jets peuvent être effectués à la main, en cloche pour que les GLI-F4 explosent en l'air, ou au lanceur. Dans ce deuxième cas de figure, elles peuvent alors être propulsés à une distance atteignant 200 mètres.

Contrairement au LBD 40, un tir de GLI-F4 "se fait sur ordre de la hiérarchie présente dans le cadre du maintien de l'ordre, sauf lorsque les forces de l'ordre agissent dans le cadre stricte de la légitime défense", précise-t-on au service communication de la police nationale.

Trois sommations (deux fois "Obéissance à la loi, dispersez-vous" et une fois "force à la loi, nous allons faire usage de la force") doivent être faites avant le lancement d'une grenade de désencerclement ou d'une GLI-F4. Mais comme le stipule l'article L211-9 du Code de la sécurité intérieure, deux cas de figure permettent de s'en passer : "si des violences ou voies de fait sont exercées contre" les forces de l'ordre ou si elles "ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent".

4Quels sont les dangers liés aux GLI-F4 ?

Les conséquences peuvent être dramatiques. "Les traumas sonores sont les premières blessures liées à ces grenades", explique le colonel Stéphane Fauvelet. Le rapport du Défenseur des droits évoquait ainsi des "lésions possibles du tympan" qui peuvent aller jusqu'à des surdités définitives. Mais le colonel évoque également le cas des "blasts", ces blessures liées au souffle de la détonation : ces dispositifs sont susceptibles de mutiler ou de blesser mortellement un individu. Comme toutes les grenades, quel que soit leur type, "une atteinte à la tête ou sur le massif facial ne peut jamais être totalement exclue", précisaient en 2014 les inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie dans un rapport conjoint. Les conditions d'emploi (distances de sécurité) resteront toujours déterminantes."

La chaussure de Robin Pagès après l'explosion d'une grenade GLI-F4, en août 2017.  (ROBIN PAGES)

Interrogé par franceinfo, le militant Robin Pagès dit avoir eu la jambe droite et le tibia gauche bardés d'éclats métalliques, lors d'un rassemblement en août 2017, à Bure (Meuse). "Le pied était creusé sur plusieurs centimètres, les os en plein de morceaux, les ligaments en cordes de guitare", explique-t-il. "Il y a d'abord eu des broches et des prothèses et puis il a fallu tout reconstruire avec des morceaux de ma cuisse et des greffes osseuses. Certains débris sont toujours présents dans son corps".

Les GLI-F4, qui explosent parfois après être retombées au sol, provoquent aussi de graves lésions, si un manifestant tente de les repousser ou de les ramasser avec la main. "Elles n'ont pas vocation à être ramassées. Ce qui provoque la blessure, c’est de les prendre avec la main", fait-on valoir au service communication de la police nationale.

5Combien les GLI-F4 ont-elles fait de blessés depuis le début du mouvement des "gilets jaunes" ?

Aucun chiffre officiel consolidé n'est disponible sur le sujet. Selon le recensement effectué par le collectif Désarmons-les, qui fait le décompte des blessés côté manifestants depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", cinq personnes ont eu la main arrachée par une grenade GLI-F4. Ces cas, à Paris ou en région, sont à chaque fois corroborés par un article de presse : Gabriel, 21 ans, à Paris le 14 novembre, Ayhan, 52 ans, à Tours le 1er décembre, Frédéric, 35 ans, à Bordeaux le 1er décembre, Antoine, 26 ans, le 8 décembre à Bordeaux et enfin Sébastien, à Paris le 9 février.

Selon le collectif, les GLI-F4 ont également fait une dizaine d'autres blessés, touchés par des éclats (au pied et à la main) et par la détonation (perte d'audition). En comparaison, les grenades de désencerclement ont fait davantage de blessés (près d'une vingtaine, selon Désarmons-les), dont trois ont perdu leur œil. Si elles ne contiennent pas de TNT, elles projettent 18 plots en caoutchouc dur de 10 grammes chacun, à 126 km/h, sur un rayon de 30 mètres. Amnesty International a demandé leur interdiction dans un rapport publié en mai 2017.

Impossible de connaître le nombre d'enquêtes de l'IGPN (police des polices) qui concernent précisément des blessures causées par les GLI-F4 ou les grenades de désencerclement. Seul un chiffre global a été communiqué par le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, après la dernière journée de mobilisation : 133 enquêtes judiciaires sont actuellement menées par l'IGPN allant "de blessures graves […] à l'insulte simple". Quant à l'IGGN (gendarmerie), elle s'est vue confier les investigations sur l'accident du 9 février à Paris, puisque la grenade GLI-F4 a été tirée par les gendarmes mobiles.

Les autorités ne communiquent pas non plus sur le nombre précis de GLI-F4 tirées depuis le début du mouvement et par qui, policiers ou gendarmes. Selon Le Parisien, 339 GLI-F4 ont été utilisées par les CRS pour la seule journée du 1er décembre à Paris, sur 10 000 grenades lancées. Du côté du service communication de la gendarmerie, on indique qu'entre le 17 novembre 2018 et le 11 février 2019, 727 GLI-F4 ou GM2L (le modèle qui les remplace, lire ci-dessous) ont été tirées, sans distinction possible.

6Quid dans les autres pays européens ?

La France est le seul pays d’Europe à les utiliser, comme le soulignait dès 2014 le rapport commun des inspections générales de la police nationale et de la gendarmerie. "L'étude d'exemples pris dans les pays voisins a permis de confirmer la spécificité française, seule nation d'Europe à utiliser des munitions explosives en opération de maintien de l'ordre avec l'objectif de maintenir à distance les manifestants les plus violents", écrivaient les auteurs du rapport.

Comme le rappelle un rapport de l'Acat (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) adressé au Défenseur des droits en juillet 2017, neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Hongrie, Portugal, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède) ont participé à un groupe de réflexion sur le maintien de l'ordre (Godiac), qui a abouti à la définition, en mai 2013, du modèle dit "KFCD". Il repose sur plusieurs concepts clés (Knowledge, Facilitation, Communication, Differenciation), articulés autour de l’importance du dialogue et de la communication dans la gestion et la prévention des troubles à l’ordre public au cours de manifestations. La France n'y a pas participé.

En Allemagne, le mot clé est "désescalade", avec l'usage de canons à eau et de messages diffusés par haut-parleurs pour disperser les manifestants. Avec la police fédérale allemande, pas de grenade de désencerclement ni de lanceurs de balles de défense : les policiers sont souvent à mains nues, au contact des manifestants, sans même un bouclier. Au milieu du cortège, il y a aussi une brigade anti-conflit, des personnes formées à la psychologie, chargée d'encourager le dialogue. Ce genre d'unités se retrouve en Suède, aux Pays-Bas, au Danemark, en Espagne ou encore en Angleterre, comme l'explique France 2.

7Dans ce cas, pourquoi les grenades GLI-F4 sont-elles toujours utilisées en France ?

La dangerosité de ces grenades GLI-F4 est évoquée depuis de nombreuses années, mais le rapport commun des inspections générales de la police et de la gendarmerie avait donné un avis défavorable à son interdiction, en 2014. "Le signal ainsi envoyé serait susceptible d'encourager des manifestants résolus à en découdre, à conduire des affrontements encore plus violents", écrivait le document, en évoquant la possibilité d'un arsenal restreint aux seules grenades de désencerclement, lacrymogènes et lanceurs d'eau. Selon ces experts des forces de l'ordre, la suspension des GLI-F4 provoquerait une "rupture dans la conception française du maintien de l’ordre du 'maintien à distance' (...) alors même que les manifestants violents sont équipés pour résister à ces effets".

Deux ans plus tard, pourtant, une commission du Sénat évoquait déjà des études en cours sur l'évolution des grenades, dont l'objectif était de remplacer les "grenades GLI-F4 par des grenades assourdissantes lacrymogènes sans explosif". En juin 2018, le ministère de l'Intérieur a finalement annoncé à France 3 qu'il faisait le choix de "les remplacer progressivement (...) pour des questions techniques et d'effet à obtenir". La place Beauvau n'achète donc plus de GLI-F4, mais les stocks ne sont pas épuisés et les forces de l'ordre continuent de les utiliser. Pour combien de temps ? Difficile à dire mais les unités de gendarmerie disposeraient encore de dizaines de milliers d'engins, selon les informations du Figaro.

8A quoi ressemblent les GM2L, qui commencent à remplacer les GLI-F4 ?

Selon les informations de franceinfo, ce nouveau type de grenade a récemment été utilisée en Nouvelle-Calédonie, lors de heurts en marge du référendum d'indépendance. Les grenades de type GM2L provoquent un effet sonore quasi identique (le volume atteint est de 160 décibels à quinze mètres de l'impact), couplé à la dispersion d'un nuage de poudre CS lacrymogène.

La différence avec les GLI-F4 ? Elles comportent un composé pyrotechnique détonant mais pas de tolite, ce qui les rend a priori moins dangereuses. La société qui la fabrique, Sae Alsetex, affirme que les matériaux plastiques employés "pour la fabrication de cette grenade permettent de ne générer aucun éclat lors de son fonctionnement".

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