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Les arrestations des "gilets jaunes" lors du défilé du 14-Juillet étaient-elles légales ?

A Paris, 169 personnes ont été arrêtées. Parmi elles, trois figures du mouvement : Eric Drouet, Maxime Nicolle et Jérôme Rodrigues. Leurs interpellations font polémique, mais l'arrêté préfectoral, pris en prévision de la fête nationale, constitue "une base juridique solide", selon un avocat spécialiste du droit public.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des gendarmes chargent des manifestants, près de l'Arc de triomphe, le 14 juillet 2019, sur les Champs-Elysées à Paris. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

A l'unisson, le député insoumis Eric Coquerel et le porte-parole du Rassemblement national Sébastien Chenu ont dénoncé des arrestations d'"opposants politiques". Dimanche 14 juillet, plus d'une centaine de personnes ont été interpellées en marge du défilé, dans le secteur des Champs-Elysées. Parmi elles, trois figures du mouvement des "gilets jaunes" : Eric Drouet, Maxime Nicolle et Jérôme Rodrigues. Dans le live de franceinfo, beaucoup d'entre vous se sont également interrogés sur la légalité de ces interpellations.

Dans quelles circonstances ont-ils été arrêtés ?

Selon la préfecture de police de Paris, 169 personnes au total ont été interpellées dimanche dans la capitale. Parmi elles, 48 ont été placées en garde à vue en marge des festivités du 14-Juillet. Pour 12 d'entre elles, ces gardes à vue étaient toujours en cours lundi matin, indique le parquet de Paris à franceinfo. Enfin, lors des incidents survenus au cours de la soirée, 19 autres personnes ont été placées en garde à vue. Mais contactés par franceinfo, ni le ministère de l'Intérieur, ni la préfecture de police de Paris, ni le parquet de Paris n'ont souhaité fournir plus d'informations.

Eric Drouet a pour sa part été arrêté par des policiers vers 10h30, alors qu'il se trouvait sur les Champs-Elysées entouré de plusieurs de ses soutiens. Le leader des "gilets jaunes", petit drapeau tricolore à la main, se tenait au premier rang au milieu des spectateurs massés le long des barrières afin d'assister au défilé militaire, comme le montre une vidéo filmée par un journaliste du HuffPost.

Maxime Nicolle a, lui, été interpellé un peu plus tôt, vers 8h45, aux abords des Champs-Elysées, avenue de Friedland, d'après son avocat. "Fly Rider" marchait près de cavaliers de la Garde républicaine quand des motards de la police nationale se sont arrêtés à sa hauteur et ont procédé à son interpellation, comme le montre une vidéo qu'il a lui-même tournée. 

Jérôme Rodrigues, le "gilet jaune" qui a perdu son œil droit lors d'une manifestation en janvier, a lui aussi été arrêté dans la matinée dans le secteur des Champs-Elysées. Selon ses dires au micro de BFMTV, il a été interpellé avenue de Wagram.

Pour quels motifs ont-ils été placés en garde à vue ? 

Eric Drouet a été placé en garde à vue pour "rébellion", d'après le parquet de Paris. Il a été libéré dimanche en fin d'après-midi et la procédure a été transmise au parquet qui doit décider de l'éventuelle suite à donner. 

Jérôme Rodrigues et Maxime Nicolle ont, eux, été placés en garde à vue pour "organisation de manifestation illicite". Ils ont été relâchés dans l'après-midi. La procédure les concernant a, elle, été classée sans suite.

Comment se défendent les "gilets jaunes" ?

Eric Drouet "était là en tant que simple spectateur", a assuré à franceinfo son avocat, Khéops Lara. Ce dernier fustige une interpellation et une garde à vue "injustifiées". Le délit de "rébellion" reproché à son client a, selon lui, été "créé de toutes pièces", car sa "résistance violente à l'interpellation [...] n'a jamais eu lieu". Son arrestation a toutefois été pour le moins houleuse, les soutiens d'Eric Drouet s'opposant à son interpellation et conspuant les policiers, comme le montre cette vidéo.

"Je venais voir un défilé militaire", plaide lui aussi Jérôme Rodrigues, interviewé par BFMTV"J'ai croisé 'Fly [Rider]' par hasard", "rue de Berry", poursuit-il pour Russia Today, ajoutant : "Eric [Drouet], je ne savais même pas qu'il était sur la manif'."

Le "gilet jaune" relate sur BFMTV avoir fait les frais de quatre contrôles successifs et écopé d'une amende de 135 euros, un montant correspondant à une contravention pour participation à une manifestation interdite, avant d'être finalement arrêté. "J'ai le malheur de croiser le regard de notre préfet, monsieur Lallement. Il m'a vu, je l'ai vu, et cinq minutes après, je me fais arrêter par les policiers", raconte-t-il.

Jérôme Rodrigues a, selon son avocat, Arié Alimi, fait l'objet d'"une interpellation illégale", car décidée "sans aucune raison". Le conseil estime même que l'arrestation "peut relever d'une infraction pénale" et compte donc "déposer plainte pour violation de liberté individuelle".

"On a été refusé d'entrer sur les Champs-Elysées, Jérôme Rodrigues et moi, a confié Maxime Nicolle. On est interdit de rentrer dans le périmètre, sachant qu'on n'a pas de signes distinctifs."  Et "Fly Rider" de dénoncer une "atteinte à la liberté de circulation par personne dépositaire de l'autorité publique".

"On a été entendus pendant une heure et demie sur l'organisation, soi-disant, d'une manifestation sur Paris. Chose qui n'a pas été retenue, puisqu'il n'y a pas d'organisation, il n'y a pas d'organisateurs, et en tout cas, les organisateurs, c'était ni moi ni Jérôme Rodrigues", a déclaré Maxime Nicolle à Russia Today

Au moment de son arrestation, le "gilet jaune" "allait manger un croissant" et venait d'"envoyer une vidéo de la Garde républicaine à sa fille de 8 ans", renchérit son avocat Juan Branco sur Twitter. Et son avocat de conclure : "Il n'y avait rien" qui justifiait cette arrestation.

Leurs interpellations étaient-elles abusives ? 

Maxime Nicolle a été interpellé "alors qu'il marchait avenue de Friedland, qui ne fait pas partie du périmètre interdit", plaide son avocat, Juan Branco, dans une série de tweetsMais lorsqu'ils ont été arrêtés, les trois leaders "gilets jaunes" se trouvaient bien tous dans la large zone concernée par l'interdiction de manifestation. Un secteur comprenant effectivement les Champs-Elysées, l'avenue de Wagram et celle de Friedland, d'après la carte établie par la préfecture de police de Paris.

L'arrêté préfectoral prévoyait en effet "l'interdiction pour toute la journée du dimanche 14 juillet de tout rassemblement de personnes se revendiquant du mouvement des 'gilets jaunes'" dans un périmètre délimité au sud par le Champ-de-Mars et les Invalides, au nord par l'avenue de Villiers et la rue de Londres, à l'ouest par la porte Maillot et à l'est par le Louvre.

"Les interpellations ont été faites dans le cadre de l'arrêté délivré par le préfet pour éviter toute perturbation", confirme sur franceinfo David Michaux, secrétaire national CRS de l'Unsa Police. "Les appels à manifester lancés sur les réseaux sociaux ont déclenché ces quatre interpellations", explique le syndicaliste, ajoutant : "Les têtes du mouvement des gilets jaunes ont été interpellées à titre préventif, et surtout pour éviter que ça dégénère." Mais la manœuvre a finalement eu l'effet inverse.

"L'arrêté préfectoral est une base juridique solide permettant au moins de justifier une arrestation et une garde à vue", analyse Pierrick Gardien, avocat en droit public au barreau de Lyon, interrogé par franceinfo. Le conseil fait valoir que ce type d'arrêté est fréquemment pris lors de matchs de football à risque, afin d'éviter les affrontements entre supporters, mais aussi lors des samedis de manifestation des "gilets jaunes". "C'est un peu comme le principe de précaution, expose-t-il. On n'attend pas qu'un trouble à l'ordre public soit constitué pour agir, on considère qu'il y a un risque suffisant."

Face à cela, "les gilets jaunes" arguent qu'ils venaient assister au défilé à titre privé. L'avocat juge cet axe de défense "un peu faible juridiquement". L'infraction de "rébellion", reprochée à Eric Drouet, était constituée, selon Pierrick Gardien. "Quand la police vient vous interpeller, vous n'avez pas le droit de vous y opposer. Repoussez un policier ou tentez de vous dégager quand un policier pose ses mains sur vous et l'infraction est caractérisée." L'infraction d'"organisation de manifestation illicite", avancée pour Maxime Nicolle et Jérôme Rodrigues, "vient se surajouter à l'arrêté". Et l'avocat de conclure : "Certains estiment ce type d'arrêtés trop attentatoires aux libertés. D'autres jugent que c'est la seule solution. Mais c'est un autre débat."

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