L'Afrique de l'Ouest, nouvel eldorado de la piraterie maritime ?
La piraterie maritime a fait son retour dans l'actualité le
1er février dernier, avec le verdict rendu par la cour d'assises d'appel
de Seine-et-Marne dans le procès de cinq pirates somaliens, accusés d'avoir
attaqué le voilier Carré d'As dans le golfe d'Aden en septembre 2008. Le gouvernement ivoirien a également confirmé l'attaque d'un tanker français et ses 17 membres d'équipage, retenus depuis dimanche dernier. Et pourtant, ces derniers mois, les actes de piraterie dans la
zone ont singulièrement baissé.
Moins d'actes de piraterie en 2012
C'est un rapport du Bureau maritime international (BMI) qui le
montre. L'année dernière, les attaques attribuées à des pirates à travers le
monde sont passées de 439 en 2011, à 297.
Plus spectaculaire encore, la chute de la Somalie dans ce "palmarès".
Premier pays touché en 2011 avec 160 attaques répertoriées, elle est passée
derrière l'Indonésie, avec un bilan de "seulement" 49 attaques sur
des navires croisant en mer l'année dernière.
Malgré tout, l'Afrique est restée en 2012 la région la plus
dangereuse au monde, concentrant plus de la moitié des actes de piraterie
répertoriés. Dans le détail, toujours selon le rapport du BMI, 174 navires ont
été attaqués, et 28 détournés. Sans compter les 87 tentatives d'attaques. En
tout, six membres d'équipage ont été tués au cours de ces attaques, et 32
blessés.
Des causes diverses
Depuis la nuit des temps, la piraterie est motivée par les mêmes
causes : pauvreté, et appât du gain. Cela n'a pas changé en 2012 ; l'essentiel
des attaques ont eu lieu au large de pays frappés par la misère et/ou une
instabilité politique chronique (Indonésie, Nigeria, Guinée, Côte d'Ivoire...).
La réponse, elle, est toujours plus ou moins la même :
la force. C'est ce qui explique en grande partie la baisse des actes de
piraterie au large de la Corne de l'Afrique, dans le golfe d'Aden. L'opération
Atalante a porté ses fruits.
Depuis le 10 novembre 2008, au lendemain de l'attaque sur le
voilier français Carré d'As, le Conseil de l'Union européenne, sous pression de
la France, a adopté une action commune face au phénomène, en complément de
plusieurs résolutions du Conseil de Sécurité des Nations Unies. L'opération,
qui court désormais jusqu'en 2014, est en deux volets : la protection des
navires acheminant l'aide du Programme alimentaire mondial (PAM) aux Somaliens,
ainsi que celle des navires dits "vulnérables".
Actuellement, neuf
pays apportent une contribution opérationnelle : les Pays-Bas, l'Espagne,
l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, la Suède, la Belgique, le Luxembourg et donc
la France. Paris fait naviguer en permanence une frégate sur une zone couvrant
le sud de la mer Rouge, le golfe d'Aden et une partie de l'océan Indien, soit une zone équivalant à cinq fois la superficie de la France.
Un avion de patrouille français survole régulièrement la zone, tandis qu'Interpol
met à disposition les renseignements récoltés par ses services à travers le
monde. Des navires américains, japonais ou chinois qui croisent dans la zone effectuent aussi régulièrement des contrôles en mer.
Les pirates s'adaptent
La réponse semble donc la bonne pour le golfe d'Aden. Mais
une région concentre désormais les plus sérieuses inquiétudes : le golfe
de Guinée.
Car s'il y a bien une zone qui n'a pas connu de baisse de la
piraterie en 2012, c'est bien celle-là. 58 incidents répertoriés en 2012 selon
le rapport du BMI, dont 27 au large du Nigeria. Ici, toutes les
conditions sont réunies : la misère et les conflits religieux (les
attaques menées par la secte islamiste Boko Haram, notamment) jettent chaque
année des milliers de Nigérians dans le désespoir le plus total. Sans compter
que le pays, le plus peuplé d'Afrique avec plus de 170 millions d'habitants (il
est classé 142e à l'indice de développement humain de l'ONU), est
aussi le premier producteur de pétrole du continent. Dans les eaux au large du
pays, comme à proximité des complexes pétroliers à terre, les otages occidentaux
ont une grande valeur, et les rançons grimpent souvent à plusieurs millions de
dollars.
Les autorités nigérianes, déjà incapables de faire cesser
les prises d'otages et les exactions autour des raffineries, ont bien du mal à
endiguer le phénomène. Cependant, elles mènent de plus en plus fréquemment, en
liaison avec le Bénin, des patrouilles en mer.
L'ONU s'est saisie du problème et appelle les Etats concernés à agir, dans le cadre d'une action commune sous l'égide notamment de la Communauté économiques de Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao). Mais pour l'instant, une éventuelle coopération régionale a bien du mal à se mettre en place.
L'Union européenne, de son côté, a annoncé le 10 janvier dernier un nouveau projet pour renforcer la sécurité dans le golfe de Guinée. Le programme CRIMGO (routes maritimes critiques du golf de Guinée) doit permettre de former des gardes-côtes et sécuriser les grands axes maritimes. Il faut dire que le sujet est d'importance pour l'UE, suffisant en tout cas pour y contribuer à hauteur de 4,5 millions d'euros : 13 % du pétrole européen est importé du golfe de Guinée (Bénin, Cameroun, Guinée-équatoriale, Gabon, Nigeria, Sao-Tomé-et-Principe et Togo). Pour le commissaire européen au Développement Andris Piebalgs :
"Sans sécurité, le développement ne peut jamais vraiment atteindre les populations qu'il vise [...] En rendant les eaux plus sûres, nous contribuerons à dynamiser les échanges et la croissance et offrirons à ces populations davantage de possibilités d'assurer leur subsistance, ce dont elles ont si désespérément besoin."
La Côte d'Ivoire, "nouvelle" sur la liste
Mais, en perpétuelle adaptation, et chassés par les patrouilles, les pirates ont semble-t-il trouvé en
la Côte d'Ivoire un nouveau port d'attache.
En janvier dernier, un pétrolier nigérian, battant pavillon
panaméen, avait été déchargé d'une partie de sa cargaison de 5.000 tonnes de
carburant au large du port d'Abidjan, dont le terminal à conteneurs est
exploité par le groupe français Bolloré. Quelques mois plus tôt, en octobre
dernier, un tanker grec avait subi le même sort au même endroit. Et la France est
désormais directement impliquée, avec la probable capture d'un navire-citerne,
le Gascogne, et ses 19 membres d'équipage togolais, par des pirates dimanche dernier.
Mais les réponses ne peuvent ici
rester que ponctuelles, faute de l'existence d'une opération commune sur le
modèle d'Atalante dans le golfe d'Aden. Selon le colonel Mamadou Mariko, directeur technique à l'Organisation maritime de l'Afrique de l'Ouest et du Centre (OMAOC) :
"Les groupes armés qui piratent les navires sont parfaitement informés sur le potentiel de chaque pays et savent que de ce côté du golfe de Guinée, il n'y a pas beaucoup de surveillance".
En attendant, les autorités recommandent toujours d'éviter
les zones à risque. Les armateurs, qui paient des assurances de plus en plus
élevées pour transporter leurs marchandises, ont recours à des sociétés de
sécurité privées. Mais chacun est conscient que, pour lutter contre la
piraterie, mieux vaut en supprimer ses causes profondes, comme la misère et l'instabilité,
plutôt que de la voir se déplacer au rythme des opérations militaires dans les
différentes zones de la planète.
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