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Comment les trains de nuit ont été effacés de la carte de France (avant un nouveau départ ?)

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'évolution des lignes de train de nuit en France entre 1981 et 2020. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Il ne reste que deux lignes ferroviaires nocturnes gérées par la SNCF en France, mais Emmanuel Macron affirme vouloir "redévelopper les trains de nuit".

Fermer les yeux à Paris et les rouvrir au bord de la Méditerranée. C'était l'une des promesses des trains de nuit de la SNCF qui sillonnaient la France, mais en quelques décennies, le nombre de gares desservies a été divisé par dix. Seules deux lignes nocturnes sont toujours exploitées par la SNCF. Un long déclin qui pourrait bientôt s'inverser. "On va redévelopper les trains de nuit, a lancé Emmanuel Macron, mardi 14 juillet. Parce que ça permet de faire des économies et ça permet de réduire nos émissions" de CO2. Un revirement complet du discours politique, après des années d'effacement des lignes de nuit.

L'évolution des lignes de train de nuit en France, entre 1981 et 2020. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Pour comprendre cette longue agonie, il faut remonter dans le temps. Le train de nuit est né en France avec la création des lignes à longue distance dans les années 1850. Des wagons-lits mythiques ont rapidement vu le jour, comme l'Orient-Express, le Train bleu ou la Flèche d'or. Les trains de nuit se développent à grande vitesse jusqu'en 1981. A cette date, pas moins de 550 gares sont desservies par un train de nuit en France, selon le décompte réalisé par Trains Directs. Cette année-là, le TGV déboule à vive allure et redessine la carte de France ferroviaire.

"Chaque billet nécessite 100 euros de subvention"

Réduction du temps de trajets, concurrence de l'avion, baisse des investissements sur le réseau secondaire… Le déclin du train de nuit est enclenché. Il accélère dans les années 2000. Des centaines d'arrêts sont supprimés, les voitures-lits sont abandonnées et les services à bord réduits au strict minimum dans des rames vieillissantes. Une note interne à la SNCF de 2015 préconise même "un arrêt organisé de cette offre" face au désamour des usagers et à une facture de plus en plus salée.

Les lignes de trains de nuit en 1981 en France. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Le déséquilibre financier du modèle des trains de nuit revient en boucle pour justifier leur abandon. "Chaque billet de train de nuit vendu nécessite plus de 100 euros de subventionnement public en moyenne", rappelle Alain Vidalies, secrétaire d'Etat aux Transports, cité par Libération en 2016. Un déficit réel, mais pas inéluctable, pour la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT). "L'Etat subventionne à la même hauteur les vols intra-muros entre les petits aéroports très déficitaires", note son président, Bruno Gazeau, interrogé par franceinfo.

Autre argument de poids, avancé par le ministre de François Hollande : "La fréquentation des trains de nuit est en baisse de 25 % depuis 2011." Une donnée très largement nuancée par l'Autorité des transports dans un rapport de 2018 (fichier PDF). "En 2015, le taux d'occupation des trains de nuit (47%) était près de 10 points au-dessus de la moyenne de l'activité Intercités", peut-on lire. Leur sort semble toutefois scellé.

"On est dans un nouveau monde"

L'Etat arrête les subventions de six des huit dernières lignes de train de nuit en 2016. Après quelques mois de sursis pour certaines, et l'absence de repreneurs, elles sont définitivement rayées de la carte. C'est le PDG de la SNCF de l'époque, Guillaume Pépy, qui prononce l'oraison funèbre, l'année suivante sur France Inter : "J'ai la nostalgie des trains de nuit, mais aujourd'hui, on est dans un nouveau monde."

On est là dans les petites contradictions françaises qu'on adore. Du temps où les trains de nuit existaient, il n'y avait pas énormément de monde dedans. Depuis qu'ils ont disparu (...), c'est dingue le nombre d'amateurs et de fans.

Guillaume Pépy

sur France Inter

Ne restent que deux lignes de nuit exploitées par la SNCF, entre Paris et Briançon et Paris et Albi (Tarn) ou Portbou (Espagne) et Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales), en passant par Toulouse. Elles sont complétées par une ligne Paris-Venise exploitée par l'Italien Thello et deux lignes Paris-Moscou et Nice-Moscou, exploitées par l'opérateur russe SZD.

Les lignes de trains de nuit en France en 2020. (AWA SANE / FRANCEINFO)

Dans les villes moyennes non-desservies par le TGV, la colère monte. "Les trains de nuit ont été complètement délaissés", regrette Jacques Montal, ancien chef de gare et membre du collectif Oui au train de nuit ! "On a réussi à en sauver deux, mais c'est très insuffisant." Une déception mêlée à de l'amertume. "Le cas de la ligne de la Palombe bleue, entre Paris et Tarbes, est particulièrement parlant, explique un autre membre du collectif. Des travaux sur la voie ont provoqué un grand détour, le temps de trajet a été considérablement allongé et des trains ont été supprimés. En 2017, on a justifié sa suppression par la baisse de fréquentation…"

"Un problème d'investissement dans le ferroviaire"

Il est vrai que les lignes nocturnes doivent faire face à de nombreux défis : les travaux sur les voies sont réalisés principalement la nuit par la SNCF, les voitures-lits ont disparu de la circulation et la concurrence des autocars et des compagnies low-cost fragilise toujours leur modèle économique. Les difficultés dépassent même les seuls trains de nuit. "Il y a un problème général d'investissement dans le ferroviaire et particulièrement dans les Intercités, de jour comme de nuit", note Bruno Gazeau, président de la FNAUT.

En 2018, changement de ton : Elisabeth Borne, alors ministre des Transports, annonce un investissement de 30 millions d'euros pour renouveler le matériel roulant. "Nous avons beaucoup d'ambition pour les trains de nuit en France", confirme son ministre délégué chargé des transports, Jean-Baptiste Djebbari, en juin sur LCI. Les lignes Paris-Nice et Paris-Tarbes devraient ainsi rouvrir d'ici 2022. Mais difficile d'avoir plus de détails. Contacté par franceinfo, le ministère de la Transition écologique renvoie au rapport sur le sujet qui devait être rendu fin juin, mais qui a été finalement été décalé à la rentrée pour cause de coronavirus. La SNCF se contente de rappeler qu'elle est "très favorable aux trains de nuit", en attendant les consignes de l'Etat.

"La dynamique va venir de l'Europe"

De quoi redonner tout de même un peu d'espoir aux défenseurs du train de nuit. "C'est encourageant, mais on est comme Saint-Thomas, on ne croit que ce que l'on voit", commente Jacques Montal. Le collectif Oui au train de nuit ! a réuni plus de 185 000 signataires pour défendre ces lignes. "Les beaux discours ne financent pas les trains de nuit !", rappelle aussi l'eurodéputée EELV Karima Delli à franceinfo. Cette fervente partisane des trains de nuit se félicite tout de même du changement de stratégie de l'exécutif.

Les avancées tant attendues sur ces lignes pourraient aussi venir d'ailleurs. "La dynamique va venir de l'Europe, parie Bruno Gazeau. L'intérêt du train de nuit est encore plus fort à ce niveau, avec de longues distances." Cela a déjà commencé : en Autriche, la compagnie ÖBB a lancé ses Nightjet dans plusieurs pays limitrophes avec succès, en reprenant l'activité nocturne de la Deutsche Bahn. Un mouvement que la présidente de la commission du transport du Parlement européen, Karima Delli, compte bien amplifier : "Je dis au président de la République : si vous ne le faites pas en France, je le ferai au niveau de l'Europe. Le train de nuit, c'est une question de choix politique."

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