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Infographies Journées perdues, fréquence des mobilisations… Y a-t-il une "gréviculture" à la SNCF ?

Les agents de la SNCF se mettent-ils en grève tous les ans ? Les mobilisations sont-elles très suivies ?  Pour le savoir, franceinfo s’est plongé dans les données mises en ligne par la société des chemins de fer.

Article rédigé par franceinfo - Mahaut Landaz
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Des agents de la SNCF en grève, à Paris, mardi 3 avril 2018. (NEDIM ABAZ / ANADOLU AGENCY / AFP)

Alors que la grève de la SNCF, prévue pour s'étaler sur trois mois, doit reprendre dimanche 8 et lundi 9 avril, la ministre des Transports a déploré sur franceinfo la poursuite de ce mouvement social. Les syndicats de cheminots ont rencontré pendant six heures Elisabeth Borne jeudi 5 avril, une réunion que la CGT a jugé "pénible et inutile". "Je déploreC’est plus utile pour défendre les cheminots de passer des journées à discuter que d’appeler à une grève qui va pénaliser les usagers", a réagi la ministre vendredi. Ce bras de fer avec le gouvernement ravive les critiques sur une supposée culture de la grève à la SNCF. Au micro de France Inter, Gabriel Attal, le porte-parole de La République en marche, a par exemple appelé les syndicats à sortir de "la gréviculture". Mais cette remarque est-elle vraiment justifiée ? Franceinfo a étudié les bases de données de la SNCF dédiées aux mouvements sociaux.

Combien y a-t-il eu de "journées perdues" à la SNCF à cause des grèves ?

Un peu plus de 8 millions de journées ont été "perdues" pour cause de grève depuis 1980. Par "journée perdue", la SNCF entend les jours non travaillés des agents en équivalent temps plein pour cause de mouvement social. Contacté par franceinfo, Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux, relativise ce chiffre en soulignant que la taille de l’entreprise "déforme" les statistiques. "Dès qu’un mouvement est suivi à la SNCF, ça fait 60 000 journées perdues d’un seul coup, explique-t-il. Ça ne veut pas forcément dire que les cheminots font davantage la grève que les autres, ou qu’ils ont une culture de la grève."

Attention, ces chiffres ne prennent pas en compte la baisse des effectifs au sein de la compagnie ferroviaire, qui sont passés de 254 400 en 1980 à 144 639 en 2017.

Le record de "journées perdues" a été atteint en 1995 : cette année-là, la SNCF en dénombre un peu plus d’un million. Un pic qui correspond à la grève générale contre la réforme des retraites et le projet de révision du statut de la SNCF annoncé par le gouvernement Juppé. Plus récemment, 2010 a été marquée par deux fortes mobilisations qui ont fait "perdre" 572 161 journées de travail à l’entreprise. La première, au mois d’avril, répondait aux projets de réorganisation des effectifs et de réforme du fret ; la seconde visait la réforme des retraites.

Stéphane Sirot qualifie ces deux importants mouvements de "défensifs". Selon lui, les agents de la SNCF "se mobilisent en réponse aux réformes", notamment celles liées aux retraites et à l’ouverture à la concurrence. "Les grèves d’ampleur sont en quelque sorte indexées aux projets de réforme. Le cheminot ne fait plus de grève offensive pour revendiquer des droits comme l’augmentation des salaires ou la baisse du temps de travail", souligne le chercheur.

Les cheminots sont-ils souvent en grève ?

En moyenne, depuis 1980, un cheminot fait grève 1,18 jour par an, selon les données de la SNCF. Le nombre de grèves est "supérieur dans les transports en général, surtout si on le compare au privé", estime Stéphane Sirot. Mais ça ne suffit pas, selon lui, à expliquer la réputation de gréviste des cheminots. "Ce qui est vrai, c’est qu’ils mènent régulièrement des conflits spectaculaires de par leurs implications", souligne-t-il.

La moyenne de 1,18 jour de grève par agent cache de fortes disparités entre les années et les corps de métier. En 1995, les employés de la SNCF étaient tout proches d'avoir fait six jours de grève en moyenne. Au contraire, en 2006, un an avant l’adoption de la loi sur service minimum, chaque agent avait fait grève moins d’une journée.

Depuis 1947, il n'y a pas eu une année sans mouvements de grève, confirment les chiffres de la SNCF. Toutefois, la majorité d'entre eux sont peu suivis. Depuis 1980, il y a eu 24 années au cours desquelles les agents de la SNCF ont fait grève moins d’un jour chacun. Ces conflits sont "beaucoup moins importants, plus localisés et font généralement partie d’un rapport de force classique où la grève appuie la négociation", analyse Stéphane Sirot. "Comme aujourd’hui, les grands mouvements de 2010 ou 2016 s’inscrivaient déjà dans une résistance à l’alignement de la SNCF sur les directives européennes", précise le chercheur.

Combien y a-t-il eu de grèves depuis 2003 ? 

D'après nos calculs, 190 mouvements sociaux ont eu lieu à la SNCF depuis 2003. Pour arriver à ce chiffre, nous avons rassemblé les préavis de grève qui couraient sur des dates consécutives ou sur les mêmes jours, considérant qu'il s'agissait du même mouvement social. C'est en 2009 que la SNCF a connu le plus de mouvements de grève, avec 28 préavis. Mais la moyenne des "journées perdues" par agent, faible en 2009, montre que les grèves, bien que nombreuses, ont été peu suivies. La faible mobilisation indique qu'il s'agissait de mouvements locaux, très fréquents à la SNCF.

Au contraire, en 2010, seulement 15 mouvements sociaux ont mobilisé les agents, mais le pic de "journées perdues" cette année-là indique qu'il s'agissait de grèves d'ampleur, particulièrement suivies.

En revanche, difficile de déterminer une durée moyenne d'une grève à la SNCF, car rien ne prouve que les mouvements sociaux aient effectivement duré jusqu'à la date initialement prévue par le préavis, comme le notait déjà Le Monde en 2014. De plus, certains préavis courent sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Quel syndicat appelle le plus à la grève ?

Le syndicat SUD arrive largement en tête avec 144 appels à la grève depuis 2003. Pour arriver à ce chiffre, nous avons rassemblé les différents préavis de grève publiés par la SNCF portant sur la même période, considérant qu'il s'agissait du même mouvement de grève. "La première place de SUD n’est pas étonnante, car ils mettent la grève au cœur de leurs modalités d’action, remarque Stéphane Sirot. Et la concurrence avec la CGT peut parfois susciter une émulation entre les deux syndicats. C’est un peu à qui est le plus combatif." 

Troisième syndicat, SUD représente 17% des cheminots, tandis que la CGT, majoritaire, rassemble 33% d’entre eux. Cette dernière a appelé à la grève 112 fois depuis 2003. Stéphane Risot voit en cette deuxième place la preuve "qu’il y a quand même une culture de la négociation à la CGT". Effectivement, selon les données de la SNCF, SUD appelle plus souvent à la grève de façon unilatérale, sans se coordonner avec les autres syndicats.

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