Egypte. Le projet de Constitution adopté et toujours décrié
Ce texte, qui sera soumis à référendum, inquiète notamment les laïques et les défenseurs des droits de l'homme.
EGYPTE - La nouvelle Constitution égyptienne est prête. La commission constituante a adopté, vendredi 30 novembre, un projet de loi fondamentale pour remplacer celle qui avait été abrogée après la chute d'Hosni Moubarak début 2011. "Nous appellerons aujourd'hui le président à une heure raisonnable pour l'informer que l'assemblée a terminé son travail", a déclaré le juge Hossam El-Ghiriani, le président de la constituante.
Une fois le texte ratifié par le président Mohamed Morsi, il sera soumis à référendum dans les quinze jours. Hossam El-Ghiriani a exhorté les membres de la constituante à sillonner l'Egypte pour "expliquer à la nation" cette Constitution "révolutionnaire". Car les querelles autour de la commission et du texte sont nombreuses.
Un contexte agité
L'adoption en toute hâte de ce projet qui était enlisé depuis des mois survient en pleine crise politique sur les pouvoirs présidentiels renforcés que Mohamed Morsi s'est octroyés la semaine dernière. De nouvelles manifestations anti-Morsi sont attendues vendredi 30 novembre, tandis que les partisans du président islamiste ont prévu de manifester samedi 1er décembre. Mohamed Morsi a réaffirmé jeudi soir que ces pouvoirs renforcés n'étaient que "temporaires". "Cela se terminera dès que le peuple aura voté sur une Constitution (...). Il n'y a pas de place pour la dictature", a-t-il assuré dans une intervention télévisée.
Une commission constituante controversée
Les membres de la commission constituante, dominée par les islamistes, ont adopté à l'unanimité les 234 articles qui leur étaient soumis au cours d'une séance-marathon entamée jeudi en début d'après-midi et qui s'est poursuivie toute la nuit.
Mais l'opposition libérale et laïque, de même que les Eglises chrétiennes coptes, ont boycotté les travaux de la commission, l'accusant de préparer un texte faisant la part belle aux vues des islamistes, dont est issu le président Morsi, et offrant peu de garanties en matière de protection des droits. "Cette Constitution n'a pas de valeur, pas d'avenir, elle sera à jeter dans les poubelles de l'Histoire", a déclaré à la télévision l'une des figures de l'opposition, Mohamed El-Baradei, ancien chef de l'agence nucléaire de l'ONU.
Les coptes et les laïques inquiets
Comme dans l'ancienne Constitution, le projet fait des "principes de la charia" la "source principale de la législation", une formulation assez consensuelle en Egypte, qui ne fait pas des préceptes de la loi islamique la source unique du droit. Mais d'autres articles faisant référence à la charia sont toutefois très décriés par les Coptes et l'opposition laïque, qui y voient une possibilité de renforcer la place de la loi islamique, en particulier dans ses interprétations les plus rigoristes. La liberté de croyance est protégée, mais le texte ne se réfère qu'à l'islam, au christianisme et au judaïsme, ce qui laisse la porte ouverte à des discriminations contre les adeptes de religions minoritaires comme les bahaïs, selon des défenseurs des droits.
Certains droits protégés…
Le texte contient des avancées démocratiques, comme la limitation du mandat présidentiel à quatre ans renouvelables une fois, alors qu'Hosni Moubarak avait dirigé le pays pendant trois décennies. La fonction de vice-président est supprimée, l'intérim étant assuré par le Premier ministre pour les empêchements temporaires et par le président de la Chambre des députés en cas de vacance de la présidence. Les syndicats ne peuvent être dissous et les journaux ne peuvent être saisis ni suspendus, sauf sur décision de justice.
En outre, les anciens cadres dirigeants du parti de Hosni Moubarak, le Parti national démocrate, en fonction lors de la révolte contre le régime, ne peuvent plus se présenter aux élections présidentielles, législatives et municipales.
… d'autres "sapés"
Mais certaines parties du texte sont très critiquées par les défenseurs des droits. Un article permet notamment de traduire des civils devant des tribunaux militaires "en cas de crise de nature à nuire aux forces armées".
"Il y a de bons articles, favorables aux libertés, mais il y en a d'autres qui sont catastrophiques, comme celui concernant les injures, qui pourrait être utilisé contre les journalistes critiquant le président ou d'autres représentants de l'Etat", a mis en garde le militant des droits de l'homme Gamal Eid. Les poursuites pour "injure au président" et "insulte à l'autorité judicaire" ont augmenté depuis l'arrivée de Mohamed Morsi au pouvoir, note Human Rights Watch dans un communiqué. "Le projet [de Constitution] protège certains droits mais en sape d'autres", estime l'ONG.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.