Départementales : en Haute-Loire, des candidats FN au nom du père, du fils, de la mère, de la fille, de la nièce et du beau-fils
Francetv info a suivi, à quelques jours du premier tour, les six membres de la famille Cardaire, qui se présentent tous dans ce département sous les couleurs du Front national.
"Est-ce que tu sais où est ta cousine ? J'ai perdu ma colistière !" Sur le marché d'Yssingeaux, jeudi 19 mars, Gabriel Jean Cardaire est à la recherche de sa nièce, Emilie Vocanson, candidate comme lui sur ce canton. Dans ce département de la Haute-Loire, la campagne électorale du Front national a pris des airs de réunion de famille. Car ce jour-là, en plus du père et de la nièce, naviguent entre les étals la mère et le fils, Christine et Gabriel Jacques, associés dans le canton du Pays de Lafayette. Et Alison, la fille, candidate à Bas-en-Basset. Manque encore à l'appel le gendre, Joris, qui se présente, lui, sur le plateau du Haut-Velay granitique.
"Ce n'est pas la famille Bidochon !"
Ne voyez pas là une manœuvre du parti pour remplir les listes électorales, jure le FN de Haute-Loire. "Ce n'est ni la famille Bidochon, ni de gros dégueulasses, comme s'attendent à le découvrir les médias, tempête au téléphone Roxane-Maria Raïa, chargée de mission à la fédération locale. Je les ai pris parce qu'ils étaient compétents et parce qu'ils méritent d'être élus. Le fils est érudit dans bien des domaines, y compris la politique. Le père s'est toujours intéressé à l'économie... Ce sont des gens exquis, brillants !"
Pour boucler leur campagne électorale, les Cardaire ont de la chance. Ce jeudi est un jour d'affluence à Yssingeaux. Au sortir de l'hiver, les potentiels électeurs sont nombreux à déambuler dans les rues de la ville, entre les stands de fruits et légumes, les cages à poules et les cartons où les lapins vivent leurs derniers instants. Armée de ses tracts au milieu de cette basse-cour, la famille est plutôt bien accueillie. "Continuez comme ça, on vous soutient !", lance un homme. "Travaillez bien, bonne chance", glisse une habitante. "On compte sur vous", lâche un commerçant, qui accompagne ses mots d'une tape sur l'épaule de Gabriel Jean.
"Je sais ce que c'est que la vie"
Sur cette terre habituellement promise au centre-droit, le FN est arrivé deuxième lors des dernières élections européennes : avec 25,9% des suffrages dans la commune, le parti a talonné l'UMP de huit petites voix. Ici, comme ailleurs, l'abstention fait son lit et le syndrome du "tous pourris" se fait entendre dans les rues. "Faut pas faire comme les autres qui tiennent pas leurs promesses", réclame un riverain. "Dès qu'il y a des élections, on voit du monde, après y a plus personne", vitupère un marchand de fruits et légumes. A ces déçus de la politique, Alison sert un discours anti-système bien rodé :
"Il faut voter dimanche, c'est important.
- Mouais, c'est surtout important pour celui qui va être élu.
- Moi, j'en avais marre de râler derrière mon poste de télé. J'ai travaillé dans les usines, dans la salaison, la maroquinerie. Moi, je sais ce que c'est la vie, je ne suis pas née avec une cuillère en argent dans la bouche."
Des enfants convertis au frontisme sur le tard
La jeune femme explique avoir suivi la voie tracée par son aîné, qui raconte s'être d'abord engagé auprès des centristes de Force démocrate, puis de l'UDF et du MoDem, avant de finir à l'UMP. "Je l'ai suivi, je suis même allée au meeting de Villepinte de Nicolas Sarkozy [pour la présidentielle de 2012], affirme Alison, 29 ans. J'ai été très déçue. A part secouer des petits drapeaux, il ne s'est rien passé. Et puis, après, il y a eu la guerre Copé-Fillon [pour la présidence de l'UMP] qui m'a totalement dégoûtée." Le même discours, à la virgule près ou presque, que son grand frère, Gabriel Jacques, 47 ans. "A l'UMP, on agitait des drapeaux, il n'y avait pas de débat, répète-t-il de son côté un peu plus tard. Après la guerre des chefs, je n'ai pas renouvelé ma carte."
Les enfants ont sauté le pas en fin d'année dernière et ont rejoint finalement le FN. Ce dont n'est visiblement pas peu fière Roxane-Maria Raïa. La chargée de mission du FN en Haute-Loire tient là ce qu'elle considère comme un symbole : "Les médias et les autres partis veulent cacher le raz-de-marée, mais c'est un fait : des déçus, des adhérents, des militants quittent les autres partis pour rejoindre le Front national."
Le père, militant pour Tixier-Vignancour
En plus de satisfaire la responsable locale, la conversion tardive des enfants aux idées frontistes a été accueillie avec bonheur par le père, qui a pris, avec sa femme, sa carte du parti dans la foulée. "J'ai milité pour Tixier-Vignancour [candidat d'extrême droite à la présidentielle de 1965] dans ma jeunesse, explique Gabriel Jean, 68 ans. Depuis, j'attendais que mes enfants me disent 'on y va' pour me lancer, à condition de ne pas faire de la figuration. Avant, on était vraiment mal vus, maintenant, mis à part quelques ministres qui s'énervent contre le FN..."
Les Cardaire se sont trouvé un adversaire commun : Bruxelles. "Ma fille vit dans le Gard, interpelle une habitante. Vous savez qui c'est là-bas ? C'est Collard [l'avocat, élu député sous la bannière du Rassemblement Bleu Marine]. Et ben, y a pas plus de boulot qu'ailleurs." "Oui, mais ça c'est à cause de l'Europe, argumente Alison. C'est l'Europe le problème." "L'Europe qui ne protège pas les citoyens", complète son frère. L'Europe "sans régulation", qui a "aggravé" le chômage, "notamment après Maastricht", abonde le père.
"Des gens de bonne composition"
Dans leur commune de Retournac, leur candidature a surpris le maire. "Je les connais bien, mais je ne les imaginais pas du tout politisés, explique Pierre Astor, conseiller général sortant et candidat DVD face à Alison Cardaire dans son canton. Je l'ai d'ailleurs mariée samedi, les parents s'occupent d'un club de tai-chi, le fils a été correspondant d'un journal local. Ce sont des gens de bonne composition." L'édile s'amuse de cette "sacrée famille". "Ma femme n'est pas candidate, ni la première, ni la seconde, ironise-t-il. Je me demande si la salle à manger des Cardaire va être une annexe du conseil départemental. C'est d'un goût un peu douteux, mais ils sont dans leur droit."
A droite, d'autres rient moins. Madeleine Dubois représente l'union de la droite dans le canton d'Yssingeaux, celui où se présente le père Cardaire, Gabriel Jean. "Je suis conseiller générale depuis 2004, j'ai un bilan que je peux défendre, comme l'investissement dans le collège de la ville, argue-t-elle. Les autres candidats ne sont pas connus." "Vous avez une famille quasiment entière qui se présente, c'est un déni de démocratie", poursuit l'élue sortante, candidate en binôme avec Jean-Noël Barrot, le fils de Jacques, auquel elle a succédé dans le canton. Elle tacle notamment la mère Cardaire, Christine, qui se présente sous son nom de jeune fille, Girard. "Cocasse, commente Madeleine Dubois. Ce n'est pas acceptable, c'est se moquer des électeurs."
Après les Le Pen, la dynastie Cardaire ?
Les Cardaire font bloc face aux critiques. "Je ne comprends pas pourquoi tout le monde voit notre candidature comme une chose négative, estime Christine, 65 ans, la plus discrète. Pour moi, être en famille, c'est plutôt positif." "Il faut des familles qui s'engagent", abonde le père. En cas d'échec aux départementales, Roxane-Maria Raïa ne s'avoue pas vaincue. "Il va falloir s'habituer à la famille Cardaire parce qu'ils seront de nouveau là aux régionales", prévient-elle. "Pas forcément candidats, mais quoi qu'il arrive militants", corrigent le père et la mère. En attendant, pas de grande réunion de famille au programme pour les Cardaire ce week-end : certains d'entre eux seront postés à la préfecture, à attendre les résultats dimanche.
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