: Reportage En Haute-Loire, les candidats aux élections départementales se font de plus en plus rares : "C'est grave pour la démocratie"
Le nombre de binômes en lice a été divisé par deux en six ans dans ce département d'Auvergne-Rhône-Alpes. Cinq cantons se retrouvent sans choix pour le scrutin des 20 et 27 juin.
"Ça a été une très grande surprise !" Jean-Marc Boyer, maire centriste du petit village de Blanzac, en Haute-Loire, n'en revient toujours pas. "A la sortie de la préfecture, j'étais un peu frustré...", souffle l'élu de 57 ans. Et pour cause : les 20 et 27 juin prochains, il ne va affronter aucun adversaire pour les élections départementales dans le canton de Saint-Paulien. Personne. Ni à sa gauche, ni à sa droite. "On pourrait se réjouir, mais c'est tout de même troublant", reconnaît-il en se grattant le menton.
A quelques kilomètres de route de la petite commune, sa binôme pour le scrutin paraît moins embarrassée par cette configuration inédite. "On ne change pas une équipe qui gagne !", se félicite, tout sourire, Marie-Pierre Vincent, maire de la jolie cité historique de Saint-Paulien. En 2015, cette énergique pharmacienne avait dû affronter deux binômes concurrents. "Le Rassemblement national ne savait même pas placer la commune sur une carte, se remémore-t-elle, assise à son bureau. Moi, les débats à la noix, je trouve que ça fait perdre du temps et que ça ne sert pas à grand-chose."
Deux fois moins de candidats qu'en 2015
En Haute-Loire, pas moins de cinq cantons sur 19 se retrouvent dans cette drôle de situation. Un record absolu en France. Et pour cause, le nombre total de candidats a tout bonnement été divisé par deux en six ans dans le département. A l'échelle nationale, la tendance est aussi à la baisse, avec une moyenne de 12% de binômes en moins par rapport à 2015.
Pour comprendre ce phénomène inquiétant pour la vitalité démocratique locale, il suffit parfois de regarder le visage des élus lorsqu'on aborde le sujet des élections départementales. "Ça a été assez pénible. Les élections devaient avoir lieu en mars, puis en juin, puis peut-être en septembre… On a dû faire ça un peu dans l'urgence", se lamente Marie-Pierre Vincent. La crise sanitaire a en effet rendu le scrutin longtemps incertain, avec un dernier rebondissement mi-avril lorsque le gouvernement a annoncé un nouveau décalage des deux tours.
"C'était un vrai sprint pour déposer sa candidature, la profession de foi, les bulletins..."
Jean-Marc Boyer, conseiller départemental de Haute-Loireà franceinfo
Cette année, les élections départementales sont aussi organisées le même jour que les régionales. Un double vote qui fait de l'ombre à la plus petite collectivité, certains partis ayant dû se limiter à la bataille pour les grandes régions, plus puissantes. C'est le cas d'Europe Ecologie-Les Verts, qui n'a présenté aucun candidat dans le département. "On n'a pas de forces infinies, reconnaît Celline Gacon, candidate EELV aux régionales en Haute-Loire. Et le scrutin est très décourageant, car peu démocratique."
"Les cantons sont devenus trop grands"
La grande réforme territoriale de 2015 a toujours du mal à passer chez de nombreux élus. En Haute-Loire, le nombre de cantons est ainsi passé de 35 à 19. "Les cantons sont devenus trop grands", s'insurge Nathalie Rousset. Cette conseillère départementale sortante se représente dans le canton du Mézenc et n'aura, elle non plus, aucun adversaire cette année : "On veut toujours faire plus grand, mais les gens ont besoin de racines."
Depuis 2015, chaque candidature aux départementales doit également être composée d'un binôme. "Avec les remplaçants, il faut trouver au total quatre candidats dans chaque canton, ce n'est pas facile", explique Rémi Lefebvre, politologue et professeur de sciences politiques à l'université de Lille 2. D'autant plus dans un contexte de perte de vitesse des partis les plus implantés sur le territoire. "Dans certaines fédérations, il n'y a plus personne !", complète le politologue.
Ce système paritaire a aussi donné du fil à retordre à de nombreuses formations politiques qui comptent peu de militantes dans leurs rangs. D'autant plus que l'expérience de ces nouvelles élues n'a pas toujours été concluante. "Certaines m'ont expliqué qu'elles avaient eu un rôle de potiche ou de pot de fleurs", relate Nathalie Rousset, qui a organisé plusieurs repas entre élues locales pour discuter de ces difficultés. Ainsi, malgré la parité dans les conseils départementaux depuis 2015, seules huit femmes ont été élues parmi les 98 présidents.
"Un homme dicte sa loi ici"
Au-delà de ces problématiques nationales, la Haute-Loire doit faire face à des embûches bien locales. Pour mieux en prendre la mesure, il faut sillonner les petites routes escarpées qui traversent les forêts, à la recherche des élus de tous bords. "Il y a une ambiance très pesante dans le département", annonce d'emblée Cécile Gallien, conseillère départementale centriste. La maire de Vorey, très remontée, insiste pour bien que l'on comprenne : "Un homme dicte sa loi ici." Et cet homme, c'est Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a fait de la Haute-Loire son fief depuis plusieurs années.
Ici, tout le monde pense à l'ancien président des Républicains quand on parle des élections départementales, mais peu prononcent son nom. Il faut dire que théoriquement, Laurent Wauquiez se concentre sur sa campagne électorale pour conserver la deuxième région de France. Mais son appétit ne s'arrête pas là, avec une volonté de choisir des élus proches de sa ligne. "Peut-être qu'il y a eu des éléments par derrière qui ont poussé des binômes plutôt que d'autres selon des intérêts politiques", reconnaît à demi-mot le président sortant du conseil départemental, Jean-Pierre Marcon (UDI).
"La Haute-Loire, c'est 'Wauquiezland'. Il a voulu tuer le match avant le match."
Fabrice Farison, secrétaire fédéral du PS en Haute-Loireà franceinfo
Après cinquante ans de vie politique, cette figure du centre droit de 72 ans ne brigue pas de nouveau mandat. Au grand dam de nombreux élus, de droite comme de gauche, qui saluent un président à l'écoute, à l'opposé du nouvel homme fort régional. "Jean-Pierre Marcon ne coupait pas la parole. Il offrait la possibilité à tous de s'exprimer", souligne Cécile Gallien, candidate LREM aux élections régionales. "On avait des rapports républicains", reconnaît aussi Fabrice Farison, secrétaire fédéral du PS en Haute-Loire, qui a tenté, tant bien que mal, de présenter des candidats de gauche dans quelques cantons.
Le risque de l'abstention
Jusqu'ici, le conseil départemental faisait figure d'îlot paisible au cœur d'une région historiquement marquée par le centre droit catholique. "On n'a jamais fait de politique politicienne au département", se félicite Philippe Delabre, conseiller départemental de la majorité. "Même si on n'est pas de la même famille politique, on a des très bons rapports", renchérit Laurent Barbalat, maire socialiste de Loudes. La preuve ? Sa première adjointe sera remplaçante de l'unique candidate du canton, estampillée à droite. Une liste unique "au service du territoire" qui fait grincer quelques dents. "J'en suis ravi", sourit l'ancien candidat aux départementales, cheveux courts et polo vert kaki aux allures militaires. Mieux encore, de nombreux textes comme le budget ont été votés à l'unanimité au sein de la collectivité, opposition de gauche comprise.
Mais avec le départ de Jean-Pierre Marcon, c'est la fin d'un cycle politique qui pourrait se profiler au département. "Une entité qui n'était pas totalement acquise à Laurent Waquiez est en train de basculer", s'inquiète Celline Gacon, candidate EELV aux régionales. Le président sortant du conseil départemental semble pourtant décidé à ne pas laisser le champ complètement libre au président de la région. "Il ne faut pas que le personnage que vous citez prenne les décisions à la place du nouveau président ou de la nouvelle présidente du département, prévient Jean-Pierre Marcon. Moi, j'y ai toujours fait très attention et je m'en porte très bien."
Alors, comment va évoluer le conseil départemental de Haute-Loire après ces élections si particulières ? Les élus rencontrés dans le département ne s'accordent pas sur l'analyse. Ils sont en revanche unanimes sur un constat : la diminution drastique du nombre de candidats risque bien de faire grimper l'abstention. "C'est plus serein lorsqu'on est seul, mais d'un autre côté, c'est grave pour la démocratie", reconnaît Philippe Delabre, conseiller départemental du Mézenc. Sa binôme, Nathalie Rousset, renchérit : "J'ai peur qu'on arrive à la fin d'un cycle démocratique".
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