"C'est devenu complètement mort" : à Roncq, la réforme de l'école de musique de la mairie ne s'est pas faite sans fausse note
Grâce à l'opération #MonMaire, des habitants de cette petite ville du Nord ont signalé la reprise en main par la municipalité de l'école de musique et le conflit social qui oppose désormais certains professeurs à la mairie. Ils regrettent une hausse des tarifs et une baisse de la fréquentation. "Le maire a tué la musique", accuse l'une d'entre eux.
Aux abords de l'école de musique de Roncq (Nord), le calme règne en cette fin novembre. Seul le chant d'une chorale composée de personnes âgées vient perturber le silence du parc Paul-Vansteenkiste, écrin de verdure autour du bâtiment. "Tout a radicalement changé. Avant, le mercredi, il y avait plein de monde et on entendait la musique dans tout le parc. Désormais, on n'entend quasiment plus le bruit d'un instrument, assure Nicolas, un ancien élève de l'école âgé de 17 ans. J'ai vraiment vu un changement sur l'ambiance, sur le moral au sein de l'école après la réforme. Les activités, les concerts n'avaient plus lieu."
"Le maire a tué la musique", confirme Anaïs qui a fréquenté l'école de musique pendant plus de dix ans. "Je veux témoigner pour ne pas que cela se produise dans d'autres villes." Cette jeune femme a contacté franceinfo via l'opération #MonMaire pour dénoncer la réforme de l'école de musique décidée par la municipalité de cette petite ville de 13 000 habitants.
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L'harmonie au sein de l'école de musique de Roncq a pris fin au cours de l'année 2018. Le nouveau maire, Rodrigue Desmet, qui a pris la suite du député Vincent Ledoux (groupe UDI) au milieu de son mandat, a alors présenté une nouvelle organisation aux professeurs de musique de l'établissement. "L'idée était d'insérer l'école de musique au sein de la ville et de l'ouvrir toute l'année pour apporter 44% d'offres culturelles en plus aux habitants", explique le maire sans étiquette (mais élu sur une liste de droite).
"Avant on était une équipe soudée"
Mais cette nouvelle dynamique a entraîné un lourd conflit social entre la mairie et les professeurs de musique, notamment au sujet du nombre de semaines travaillées. Une trentaine de procédures judiciaires sont actuellement en cours, ce qui suffit à résumer l'ambiance qui règne entre les pupitres de l'école. "C'est devenu complètement mort, constate aujourd'hui Arthur*, professeur à Roncq depuis de nombreuses années. On avait monté quelque chose d'assez exceptionnel et là il ne se passe plus rien. C'est quand même une école qui a sorti 16 élèves qui sont devenus professionnels en trente-cinq ans."
De nombreuses personnes sont parties, parce qu'il ne se déroulait plus rien d'intéressant.
Arthur, prof de musiqueà franceinfo
"On est tous un petit peu dans notre coin maintenant, alors qu'avant on était une équipe soudée... Il y a eu pas mal de départs, de gens qui se sont fait virer", complète Raphaël*, un autre professeur de l'école. Il confirme également la baisse drastique des effectifs. Il est passé d'environ 40 élèves à un peu plus de 20 dans ses classes. "Du coup, je m'adapte. Je donne des cours plus longs." La baisse des inscriptions a entraîné la fermeture de certaines classes d'instrument, comme le tuba ou le trombone.
"La mairie bidouille les chiffres"
La fuite d'une partie des élèves s'explique aussi par une hausse des tarifs décidée par la municipalité à la rentrée 2018. Pour une personne extérieure à la commune, l'inscription avait été fixée entre 240 et 660 euros (en fonction du quotient familial), contre 180 euros maximum les années précédentes. "La tarification n'avait pas été revue depuis 2007", justifie François Verheecken, le directeur général des services de la ville, véritable chef d'orchestre de cette réforme.
Une école de musique coûte excessivement cher à l'année. Pour Roncq, c'est un budget d'environ 750 000 euros.
François Verheeckenà franceinfo
La mairie reconnaît quelques fausses notes dans cette tarification et les prix ont été revus à la baisse pour la rentrée 2019. Selon le maire, les effectifs sont aussi désormais revenus à la jauge d'avant la réforme, c'est-à-dire 280 élèves environ. "Ils bidouillent les chiffres. Ils comptabilisent un peu tout, notamment les chorales d'adultes qui ont été fusionné avec l'école", répond Arthur. Ce professeur assure, de son côté, que l'école comptait environ 340 élèves avant la réforme.
"Ils ont voulu tout changer sans concertation"
Les professeurs de musique insistent aussi sur le problème des congés. Pour faire fonctionner l'école pendant 52 semaines, la mairie a souhaité modifier les règles. Les enseignants, qui travaillaient jusque-là 36 semaines par an dans un rythme calqué sur le calendrier scolaire, doivent désormais se rendre disponibles 47 semaines. "C'est une question d'équité. Certains fonctionnaires territoriaux soulignaient cette différence de traitement", assure Rodrigue Desmet. Son directeur général des services le dit en d'autres termes :
Pourquoi celui qui bosse aux espaces verts devrait bosser 47 semaines par an, alors que celui qui souffle dans une flûte traversière n'aurait que 36 semaines à faire ?
François Verheeckenà franceinfo
Lors des vacances scolaires, les professeurs de musique sont désormais invités à animer des stages. "Ce n'est pas du tout le même métier, ni la même pédagogie. On se retrouve avec des gamins qui jouent du tam-tam pendant une semaine", se désespère Arthur. "C'est comme si on demandait à un professeur de maths de venir faire faire du coloriage à ses élèves", ajoute Anaïs. "On n'a jamais demandé aux profs de faire de l'animation. On leur a même réclamé de nous faire des propositions et on attend toujours", rétorque François Verheecken. Le directeur général des services de la ville dénonce le "corporatisme" d'un corps enseignant attaché à "ses privilèges".
Pour synthétiser, on nous dit qu'on est de la merde et qu'on coûte trop cher.
Raphaël, prof de musiqueà franceinfo
"Ils ont voulu tout changer sans concertation", s'agace encore Arthur, qui souhaite "défendre le statut particulier des professeurs de musique". Il dénonce un passage en force du maire et les méthodes parfois "brutales" du responsable municipal. "Certains contractuels ont appris qu'ils étaient débarqués du jour au lendemain lors d'une réunion de présentation de la réforme", raconte-t-il. Depuis, le dialogue est rompu. La mairie estime qu'il s'agit d'un problème isolé qui concerne quatre ou cinq professeurs réfractaires. "Etonnamment, les professeurs qui acceptent de jouer le jeu ont du monde dans leurs classes, alors que les autres ont de moins en moins d'élèves", pique François Verheecken.
"Utiliser l'argent public à bon escient"
La justice va désormais devoir trancher. Les professeurs, soutenus par le Syndicat national des enseignants et artistes (SNEA-Unsa), se disent confiants en se tournant vers la jurisprudence. La cour administrative d'appel de Nantes s'est par exemple prononcée en 2017 sur le temps de vacances des enseignants en précisant qu'un "assistant territorial spécialisé d'enseignement artistique (...) n'est tenu de travailler 20 heures par semaine que durant les périodes, représentant environ 36 semaines, correspondant à l'activité scolaire, alors même que sa rémunération est versée sur 12 mois".
Les tribunaux administratifs ont "donné tort à toutes les villes qui s'étaient lancées dans la même procédure", assure dans La Voix du Nord Philippe Lorthios, délégué régional du SNEA-Unsa. "Mais c'était à chaque fois des cas différents du nôtre", balaye François Verheecken, qui assure avoir mené une sérieuse étude juridique sur la question avant de lancer la réforme. Il s'appuie notamment sur une réponse faite par Gérald Darmanin en septembre 2017. Interpellé par le député Yves Jégo (UDI), le ministre de l'Action et des Comptes publics avait indiqué qu'il était "possible de demander aux agents en charge de l'enseignement artistique d'exercer une activité pendant les vacances scolaires dès lors qu'elle s'effectue dans le respect de leurs missions statutaires".
Mais cette réponse, qui semble en contradiction avec les dernières jurisprudences de Nantes et Bordeaux, n'avait pas convaincu Yves Jégo. "Il y a toujours une incertitude juridique sur le statut des enseignants des écoles municipales de musique. Est-ce qu'ils ont le droit au statut des enseignants de l'Education nationale ou est-ce qu'ils doivent être alignés sur le statut des autres fonctionnaires municipaux ?", confie-t-il à franceinfo. "Je pense qu'il y a eu des habitudes de prises et je pense qu'il y a maintenant des confusions. Il faudrait que le Parlement et le gouvernement tranchent." En attendant, le maire de Roncq tient bon. Candidat à sa succession en mars, il ne regrette rien de sa réforme qu'il juge "d'intérêt général" : "Il s'agit de faire en sorte que l'argent public soit utilisé à bon escient. Et si demain la justice nous donne tort, ça aura eu le mérite de clarifier la situation."
* Les prénoms ont été modifiés.
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