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"Ça fait dix ans qu'il dit qu'il va partir…" Qui sont ces maires qui ne veulent pas lâcher leur fauteuil ?

Ils dirigent leur ville depuis des décennies, et se représentent en 2020. A travers l'opération #MonMaire, lancée par franceinfo à l'occasion des municipales, vous nous avez signalé le cas de ces élus à la longévité exceptionnelle. Entre soif de pouvoir et dévouement au service de leurs administrés, la nuance est parfois fine. 

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
. (BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Lorsqu'il a pris les rênes de la mairie, le 22 mai 1958, il n'avait que 26 ans. La France était présidée par René Coty, les généraux putschistes venaient de prendre le pouvoir à Alger, et la télévision n'émettait qu'en noir et blanc. Soixante-deux printemps plus tard, Paul Girod est toujours à la tête de Droizy, un petit village de 75 habitants dans l'Aisne, qui va bientôt être relié à la fibre optique. Avec déjà onze mandats consécutifs, il est le maire en activité qui détient le record de longévité électorale en France. Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? Le 15 mars, au premier tour des élections municipales, Paul Girod tentera la passe de douze.

A son image, nombreux sont les maires qui empilent les mandats à travers les époques, comme l'ont relevé plusieurs lecteurs de franceinfo ayant participé à l'opération #MonMaire, pour s'offusquer ou au contraire saluer cette longévité. Les données officielles, qui ne sont consolidées qu'à partir de 2001, ne permettent pas de sonder l'importance du phénomène. Reste que, loin du dégagisme ambiant, le maire reste l'élu le plus à même d'être reconduit dans ses fonctions. Selon un sondage OpinionWay pour Public Sénat paru en octobre, un Français sur deux disait avoir l'intention de réélire son maire actuel. Une autre enquête, réalisée par Odoxa pour franceinfo, montrait que le maire était l'élu le plus populaire pour 63% des électeurs.

En 2014, lors des dernières municipales, 61% des quelque 36 000 maires de France ont d'ailleurs été reconduits dans leurs fonctions, selon les données compilées par franceinfo. Et, à l'approche du scrutin de mars 2020, environ un sur trois peut se targuer d'avoir effectué au moins trois mandats consécutifs à la tête de sa commune. 

"Il n'y a pas vraiment de relève"

Cette année, comme en 2014, Paul Girod va devoir se rendre à Soissons, à une quinzaine de kilomètres, pour déposer sa candidature en sous-préfecture. Une formalité dont il ne s'embarrassait pas auparavant, lorsque les électeurs des petites communes pouvaient inscrire n'importe quel nom sur le bulletin de vote. C'est d'ailleurs de cette façon que Paul Girod a accédé, il y a six décennies, à cette fonction qu'il n'allait plus quitter.

Le poste était vacant car le maire précédent avait démissionné. J'ai été élu sans même être candidat et je n'étais même pas au courant !

Paul Girod, maire de Droizy

à franceinfo

A l'époque, raconte Paul Girod, trois fermes faisaient vivre le village, et lui-même dirigeait la plus grosse exploitation, qui employait 18 personnes, toutes habitantes de la commune. "Je pense que c'est pour ça qu'ils m'ont désigné, et aussi parce que j'étais l'un des rares à avoir une voiture !" A l'aube de son probable nouveau bail municipal, le maire constate que les choses ont bien changé à Droizy. Il ne reste qu'une ferme, avec seulement deux salariés, qui ne sont même pas électeurs dans la commune. "Avant, le village vivait un peu en autarcie. Maintenant, il y a les communautés de communes, les syndicats intercommunaux… Nous sommes enserrés dans beaucoup de contraintes et de réglementations."

Malgré cette accumulation de normes "un peu casse-pieds", Paul Girod reste passionné par sa fonction. "C'est prenant mais très sympa !" témoigne celui qui a aussi été sénateur pendant trente ans, jusqu'en 2008, et président du conseil général de l'Aisne pendant dix ans, dans les années 1990.

"Quand je vois ce que la vie politique est devenue, je suis bien content de ne plus en être", affirme l'élu, pour qui servir les habitants de sa commune n'a rien d'un mandat politique. "C'est un honneur, et ce n'est pas quelque chose qui se refuse", dit-il pour expliquer sa volonté de poursuivre son œuvre.

"Les étiquettes politiques n'ont rien à faire dans une commune rurale", acquiesce, à 200 km de distance, le maire de Saint-Germain-sous-Cailly (Seine-Maritime). Elu en 1971 à l'âge de 25 ans, François Dupuis a lui aussi décidé de se représenter, pour un neuvième mandat, dans son village de 344 habitants. "Cela fait quarante-neuf ans que je suis maire. Si je repars, c'est uniquement pour gérer ma commune, à laquelle je tiens", explique-t-il. Cette fois, il a quand même hésité, lassé du peu de considération de l'Etat et des élus nationaux pour les petits maires ruraux.

J'avais envisagé de m'arrêter, mais je pense qu'après la révolte des 'gilets jaunes', nos grands élus se sont finalement rendu compte qu'il ne fallait pas nous oublier. Cela m'a réconforté et m'a incité à repartir.

François Dupuis, maire de Saint-Germain-sous-Cailly

à franceinfo

Ce retraité du BTP explique aussi avoir été poussé par les membres de son conseil municipal, la plupart d'entre eux lui ayant fait savoir qu'ils ne rempileraient pas si lui-même jetait l'éponge. "J'ai quelques jeunes dans mon équipe, mais il n'y a pas vraiment de relève, regrette-t-il. La fonction nécessite d'y consacrer toutes vos journées. Dans les communes rurales, vous avez une secrétaire de mairie et point barre, vous devez tout gérer. Vous ne pouvez donc pas poursuivre une carrière professionnelle en parallèle, ni vous contenter de votre indemnité d'élu de 500 euros par mois !" 

"Il n'y a plus aucun projet d'envergure"

"Dans les toutes petites communes, le fait que le maire se représente pour un énième mandat est lié à une absence de candidature alternative, et il ne veut alors pas laisser sa commune sans représentant démocratique", observe le chercheur en science politique Martial Foucault. Mais certains villages sont également le théâtre de luttes de pouvoir. A Lonnes (Charente), Monique Ploquin, première adjointe depuis deux mandats, pensait bien remplacer Pierre Chaussepied, qui préside aux destinées de cette localité de 178 habitants depuis 1971. L'édile a finalement fait savoir qu'il souhaitait poursuivre l'aventure, au grand dam de sa dauphine, qui a capitulé.

Ça fait dix ans qu'il dit qu'il va partir. Mais je me rends compte qu'il a en réalité tout manigancé pour que je ne me présente pas !

Monique Ploquin, première adjointe au maire de Lonnes

à franceinfo

Après huit mandats de suite, le maire sortant est donc bien parti pour en décrocher un nouveau. "C'est un problème, car au bout d'un moment, on ne voit plus le monde évoluer. Les choses ont changé, on ne gère plus un plan d'urbanisme comme il y a vingt ans… Mais lui, il est resté bloqué", tacle Monique Ploquin. L'intéressé, "déçu et blessé" après la parution dans le quotidien Charente libre d'un article sur cette "zizanie" électorale, n'a pas souhaité répondre aux questions de franceinfo.

Au sein d'une équipe municipale, "dès que la cohésion se rompt, des candidatures alternatives peuvent naître", explique Martial Foucault. Une situation qui concerne surtout les villes où la compétition politique est plus marquée. A Sisteron (Alpes-de-Haute-Provence), Daniel Spagnou (Agir, ex-LR), 79 ans, qui brigue son septième mandat, doit ainsi faire face à la concurrence de Sylvain Jaffre, qui fut son assistant parlementaire pendant dix ans, avant d'intégrer l'équipe municipale en 2014. "J'ai essayé de le conseiller, d'influer de l'intérieur, mais ce n'est plus possible, estime le quadragénaire. Depuis plusieurs années, on fait de la gestion, pas forcément mauvaise d'ailleurs ! Mais il n'y a plus aucun projet d'envergure."

Des opposants frustrés

L'usure du pouvoir, c'est aussi ce que reprochent les opposants au socialiste Laurent Cathala, maire de Créteil (Val-de-Marne) sans discontinuer depuis près de quarante-trois ans. Un record pour une ville de cette taille (90 000 habitants), où les élections se transforment invariablement en plébiscite pour cet ancien secrétaire d'Etat de François Mitterrand. Reste que les deux derniers scrutins municipaux ont été marqués par une abstention supérieure à 50%.

Laurent Cathala, maire de Créteil, salue Emmanuel Macron lors d'une inauguration, en janvier 2019. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Il y a une forme de lassitude des électeurs, qui se disent que ça ne sert à rien d'aller voter. Comme si Laurent Cathala avait implanté dans la tête des gens qu'il était imbattable", observe son opposant LR, Thierry Hebbrecht. "J'ai 30 ans, je fais partie d'une génération qui n'a connu que monsieur Cathala comme maire. On se disait qu'il fallait changer, oui, mais pour qui ? Aujourd'hui, j'incarne cette alternative", veut croire Mehmet Ceylan, qui porte les couleurs de La République en marche. "On est dans une ville qui ronronne. Que va-t-il faire en six ans qu'il n'a pas eu le temps de faire en quarante-trois ans ?" s'interroge Thierry Hebbrecht. "Cathala était connu pour être très présent dans la ville, mais ce n'est plus le cas. Il faut un renouveau", complète Mehmet Ceylan.

Contraint à un second tour en 2014 – ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1995 –, Laurent Cathala obtiendra-t-il la confiance des Cristoliens une huitième fois en 2020 ? "A l'heure qu'il est, je ne suis pas reconduit", insiste-t-il prudemment, avant d'évoquer sa "passion pour la ville" et "l'amour" qu'il porte à ses habitants, qui le poussent à briguer à nouveau "le plus beau des mandats". Un refrain qu'il répète scrutin après scrutin, à longueur d'articles et d'interviews.

Je suis parfaitement conscient qu'il faudra passer la main. Je ne l'ai pas encore fait car sur le plan physique et intellectuel, je pense avoir toutes mes capacités.

Laurent Cathala, maire PS de Créteil

à franceinfo

Opposé à la limitation du cumul des mandats dans le temps, qu'une révision constitutionnelle (pas encore adoptée) prévoit de fixer à trois mandats consécutifs, il dit penser "presque quotidiennement" à sa succession, sans rien dévoiler de ses intentions, ni évidemment citer le moindre nom. "Je me suis engagé à faire un mandat complet. Il n'y a jamais de dauphin désigné !" s'amuse-t-il, coupant court aux espoirs de ceux qui s'y verraient déjà.

A 74 ans, Laurent Cathala a encore le temps de voir venir s'il se compare à son homologue de Pamiers (Ariège), où le vétéran André Trigano a soufflé ses 94 bougies. L'entrepreneur, dont le nom est bien connu des adeptes du camping, est à nouveau candidat à sa succession après déjà quatre mandats (1995-2020), et quatre autres comme maire de la ville voisine de Mazères (1971-1995). "J'aime ma ville et les gens qui m'ont fait confiance 19 fois", pavoise-t-il en se remémorant son tableau de chasse électoral, législatives, régionales et cantonales comprises.

Le maire de Pamiers, André Trigano, en juin 2015. (REMY GABALDA / AFP)

"Les Appaméens ne sont pas là pour servir la gloire d'un homme, remplir son armoire à médailles ou l'aider à chasser des records de longévité", a récemment critiqué dans La Dépêche du midi son adjoint Xavier Fauré, qui présente sa propre liste. Des reproches partagés par Frédérique Thiennot, autre postulante (sans étiquette) au fauteuil de maire : "Il a peut-être été un excellent maire en termes de développement économique, mais toute la vraie vie a été laissée de côté. Pour moi, un maire fait ses courses à Pamiers, fait du vélo à Pamiers… Or, monsieur Trigano n'habite pas la ville, et n'y a jamais habité !"

"Quand on arrive à avoir comme thème principal 'il est trop vieux', c'est rarement bon signe", rétorque André Trigano avec un certain aplomb. "Si c'était une course à pied, c'est sûr que je serais le dernier. Mais pour diriger la ville, j'ai toute ma tête !" lâche-t-il dans un sourire.

Je suis un superactif, je ne dors que quatre heures trente par nuit, ce qui me laisse vingt heures par jour pour travailler.

André Trigano, maire de Pamiers

à franceinfo

Hors de question pour lui de lâcher prise. Surtout pas après avoir décroché 20 millions d'euros de dotations de l'Etat pour un programme de rénovation urbaine. "J'ai travaillé onze ans sur ce contrat, nous avons obtenu les fonds il y a deux ans… Je n'aime pas laisser tomber un chantier en cours !" 

Pour ce nouveau round électoral, André Trigano a reçu, "sans avoir rien demandé", le soutien officiel de La République en marche. En cas de réélection, envisage-t-il de céder sa place en cours de mandat ? "Peut-être", répond-il sans conviction, "mais je n'aime pas qu'on me l'impose". "Vous savez, enchaîne-t-il, j'ai toujours regardé quinze ans devant moi. Car si on considère qu'on est cuit, on meurt."

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