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Municipales 2020 : bienvenue à Pont-d'Ain, la plus grosse commune de France qui ne votera pas dimanche

Cette petit ville de l'Ain de 3 000 habitants n'a pas de candidat pour les élections municipales et ne votera donc pas les 15 et 22 mars. En attendant l'organisation d'un nouveau scrutin, les habitants cherchent une solution.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La mairie de Pont-d'Ain (Ain). (CLEMENT PARROT / AWA SANE / FRANCEINFO)

"Alors, on m'a dit que c'était toi le nouveau maire", lance un habitué du café du Champ de foire de Pont-d'Ain en levant son verre de pastis. "Ah, bah ça va être un beau bordel", répond son acolyte, accoudé au comptoir. A l'heure de l'apéro, lundi 9 mars, les Pondinoises et les Pondinois préfèrent rire de la situation. Leur ville, qui compte environ 3 000 habitants, n'est pas parvenue à trouver de candidat pour les élections municipales. Les habitants de ce chef-lieu de canton de l'Ain feront partie des rares Français à ne pas pouvoir se déplacer dans un bureau de vote les 15 et les 22 mars.

Pont-d'Ain (Ain). (FRANCEINFO)

Si l'absence de liste concerne une centaine de communes françaises, Pont-d'Ain est la ville la plus peuplée à se trouver dans cette situation. "C'est un électrochoc. Tout le monde ne parle que de ça et du coronavirus, témoigne Karima Rabehi, une conseillère municipale sortante. Il y a un sentiment étrange. On est tous un petit peu dans l'expectative, dans l'attente de ce qu'il va se passer." Dans les jours suivants le second tour, la préfecture de l'Ain va désigner une délégation spéciale de trois personnes, composée d'anciens élus ou d'anciens fonctionnaires, afin de gérer les affaires courantes. Cette délégation doit également organiser dans les trois mois une nouvelle élection.

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Si le problème subsiste après cette transition, une nouvelle période de trois mois est prévue par les textes. Mais si au bout du compte, il n'y a toujours pas de liste, la préfecture peut être amenée à fusionner Pont-d'Ain avec une commune voisine. "C'est effectivement prévu dans les textes, mais ça n'est jamais arrivé, précise la préfecture de l'Ain. Et dans le cas de Pont-d'Ain, ce serait particulièrement difficile, car toutes les communes autour sont petites."

"Je souhaite profiter un peu de la vie"

L'hypothèse provoque en tout cas déjà des inquiétudes parmi les Pondinois. "Apparemment, on pourrait être repris par Priay", croit savoir Audrey, une habitante de 33 ans qui réfléchit à monter une liste. "Si on donne Pont-d'Ain à une autre commune, on va passer à trappe", se soucie Anthony, l'un de ses voisins.

Mais bon, on entend que des on-dit. On se sent complètement abandonnés par la mairie et la préfecture.

Anthony

à franceinfo

En remontant la départementale D984 vers les hauteurs du village, le visiteur tombe sur la mairie, coincée entre la route et l'Ain. A l'intérieur, Gérard Guichard reste fidèle au poste tant que la préfecture n'a pas repris les rênes. "Je suis là tous les jours de 7 heures du matin jusqu'à 21 heures ou 23 heures", souffle le maire. Cet ancien commerçant à la retraite confirme sa volonté de rendre son écharpe : "Je souhaite profiter un peu de la vie, voir grandir mes petits enfants."

Je suis élu depuis dix-neuf ans et j'ai 70 ans. Je pense qu'il est temps de passer la main, de renouveler avec une équipe plus jeune.

Gérard Guichard

à franceinfo 

Cette année, il y a quatre communes de plus de 1 000 habitants en France qui n'ont pas de candidat, contre une seule en 2014. Coïncidence : trois d'entre elles se trouvent dans l'Ain. Mais si les maires sortants de Buellas et Péron confient à franceinfo être prêts à prolonger en l'absence de solution, à Pont-d'Ain, Gérard Guichard tient à passer la main, même s'il n'a pas encore trouvé de relève. "J'ai proposé des solutions : de repartir en tant qu'adjoint, de faire une période de transition d'un an, le temps de former quelqu'un... Mais rien n'a abouti."

Quand Gérard Guichard a été élu au conseil municipal en 2001, quatre listes distinctes se disputaient le fauteuil de maire. Aujourd'hui, les Pondinois en espèrent au moins une. Cette crise des vocations révèle une évolution de la fonction de ces élus de proximité. "La charge de travail, les responsabilités peuvent faire peur", tente d'expliquer le maire sortant. "C'est un boulot de fou, ce n'est vraiment pas facile", ajoute Valérie, la patronne du café du Champ de foire. Les gens ne veulent plus être maire, parce que c'est trop difficile de gérer une commune."

C'est un boulot à plein temps. Et ce n'est pas le salaire qui va attirer les gens...

Valérie

à franceinfo

Les indemnités pour un maire d'une ville de moins de 3 500 habitants s'élevaient jusqu'à récemment à environ 1 200 euros net, mais l'Assemblée nationale a décidé de revaloriser ce montant à 2 000 euros brut (soit un peu plus de 1 500 euros net). Mais à Pont-d'Ain, pas sûr que cette carotte se révèle suffisante.

"Tout le monde se révèle un peu égoïste"

Beaucoup soulignent que le mal est plus profond. "Ils en ont marre de se faire insulter, les maires. Je pense qu'il y a un ras-le-bol des élus face au manque de respect", poursuit Valérie. "Autrefois, il y avait une valorisation dans le fait d'appartenir à un conseil municipal. Aujourd'hui, ça n'existe plus, les gens savent vous trouver uniquement quand ils ont un problème", regrette Jean-Claude Pitton, conseiller municipal d'opposition.

Les gens sont dans une attitude consumériste, on attend tout des élus, comme un consommateur attend un service d'un fournisseur.

Jean-Claude Pitton

à franceinfo

"L'engagement citoyen, on en parle, mais quand on est au pied du mur, c'est plus dur. On veut obtenir des services, mais quand on doit y mettre un peu du sien, on ne veut pas", poursuit Jean-Calude Pitton avec une pointe d'amertume. Son constat est souvent partagé par plusieurs Pondinois. "Il faut le voir au niveau associatif, ce sont toujours les mêmes personnes qui s'impliquent", confirme Karima Rabehi, conseillère municipale sortante. "C'est sûr qu'on est dans une société de consommation, où tout le monde se révèle un peu égoïste", observe Régis Gaude, président de l'Union commerciale et artisanale de Pont-d'Ain.

Pour les élections, tout le monde s'est regardé en pensant que quelqu'un allait se lancer, et finalement personne ne s'est décidé.

Régis gaude

à franceinfo

Ce chef d'entreprise de 50 ans bien implanté sur la commune a refusé lui aussi de briguer le poste, malgré les farces de ses amis qui ont imprimé de fausses affiches électorales avec son nom. "C'est trop compliqué au niveau de mon emploi du temps. Il faut avoir du temps, si on veut gérer correctement une commune comme Pont-d'Ain."

Régis Gaude dans les locaux de son entreprise, lundi 9 mars 2020, à Pont-d'Ain. (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

La société d'import-export de Régis Gaude est installée tout près du rond-point menant à l'entrée de l'autoroute. Pont-d'Ain n'est pas un territoire enclavé. Grâce à l'A40, il est possible de rejoindre les portes de Lyon en un peu plus d'une demi-heure. Ces dernières années, Pont-d'Ain a donc vu arriver de nombreux nouveaux habitants attirés par des loyers et des prix abordables. Sur la devanture de l'agence immobilière, les villas de 300 m2 à moins de 1 500 euros du m2 ont effectivement des arguments.

"Les nouveaux ne se sentent pas concernés"

Mais les nouveaux Pondinois ont parfois bien du mal à s'intégrer et à s'investir pour la commune. "Les gens réfléchissent encore avec une mentalité 'lyonnaise' quand ils arrivent", s'agace Ludovic, un jeune homme de 29 ans.

C'est le chacun pour soi et on se dit qu'il y aura toujours quelqu'un pour faire les choses.

Ludovic

à franceinfo

"Les nouveaux habitants ne se sentent pas concernés, ils restent beaucoup moins longtemps", ajoute David. "C'est devenu une cité-dortoir. On y passe. Si je vais à la Catherinette [un quartier avec des nouveaux logements situé sur les hauteurs de la ville], je ne suis pas sûr de connaître une seule personne", explique Laurent, le patron d'un restaurant du centre-ville, habitant de Pont-d'Ain depuis trente-cinq ans.

"Ce n'est pas évident de fédérer une ville en pleine mutation, de rassembler les nouvelles personnes et les anciens", explique Karima Rabehi. La conseillère municipale reconnaît un petit sentiment de "culpabilité" face à la situation actuelle. "On se dit qu'on ne laisse rien derrière nous. On n'a peut-être pas réagi à temps. On aurait sans doute pu faire une réunion publique." En se baladant dans les rues de Pont-d'Ain, il reste difficile de trouver des candidats motivés pour le poste de maire. "Je n'ai pas le temps" ou "C'est trop compliqué" demeurent les raisons le plus souvent invoquées. Mais le maire Gérard Guichar se montre optimiste. "J'ai bon espoir, car le téléphone sonne... L'annonce de l'absence de candidat a produit un électrochoc et je pense que des gens vont se déclarer. Pont-d'Ain ne restera pas sans maire et ne sombrera pas."

"Il faut remettre de la vie à Pont-d'Ain"

Dans les conversations, chacun a son idée sur un possible recours. Mais pour l'instant, aucune liste ne s'est officiellement fait connaître. "Les gens n'osent pas se dévoiler, on se croirait en campagne présidentielle", s'amuse Karima Rabehi. Beaucoup de gens discutent et disent que ça va bouger, mais il faut que ce soit concret. Normalement, cela peut prendre un an pour constituer une liste, faire une profession de foi... Trois mois, c'est très court." Le vide laissé par l'équipe actuelle a malgré tout suscité quelques envies. Delphine et Ludovic, deux quarantenaires qui habitent un peu au-dessus de la mairie, réunissent chez eux plusieurs voisins pour réfléchir à la constitution d'une liste autour d'une ou deux bouteilles de jus de fruit.

Des habitants de Pont-d'Ain se retrouvent pour réfléchir à la constitution d'une liste, lundi 9 mars 2020, à Pont-d'Ain (Ain). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

Pour l'instant, ils ne disposent que de onze noms sur les 23 nécessaires. "On est en train de chercher des gens pour finaliser. On va mettre une affiche et on prospecte à la sortie des écoles et dans le quartier", confie Audrey, 29 ans, qui se verrait bien prendre la tête de cette liste. "On n'a pas d'expérience et il faut annoncer qu'on ne réglera pas tous les problèmes en deux minutes. On cherche des gestionnaires et on fait appel à toutes les bonnes âmes pour nous rejoindre", ajoute Anthony en allumant une cigarette.

La petite troupe commence malgré tout à réfléchir à un projet, notamment de trouver des solutions aux problèmes de stationnement et d'insécurité. "Il faut aussi redonner un nouveau souffle à Pont-d'Ain, remettre de la vie, rapprocher les gens. On a un beau cadre, mais on ne l'utilise pas", constate Audrey. "Mais bon toutes les rues ne vont pas pour autant être regoudronnées du jour au lendemain, prévient Anthony. La première priorité reste d'abord de sauver Pont-d'Ain."

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