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Municipales : les candidats doivent-ils draguer les supporters de foot ?

Faut-il se montrer dans la tribune VIP du Parc des princes quand on est candidat aux municipales ? Faut-il faire la tournée des groupes de supporters de l'OM ? Faut-il défiler dans la rue avec le maillot du club ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) et Anne Hidalgo (PS), candidates aux municipales à Paris, dans les tribunes du Parc des princes. (SIPA)

NKM et Hidalgo rivalisent de tweets dans les tribunes du Parc des princes, Jean-Claude Gaudin fait la tournée des clubs de supporters et Christian Estrosi a les fumigènes en main. Rarement le foot a pris une telle place dans la campagne des municipales. Mais selon la ville, la situation est bien différente.

A Paris, une guerre de com

Le 8e de finale de Ligue des champions entre le PSG et le Bayer Leverkusen, les 18 février et 12 mars, s'annonce explosif, mais pas uniquement sur le terrain. Les deux duettistes de la tribune VIP, Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP) et Anne Hidalgo (PS), affûtent leurs tweets pour dégainer en premier la bonne formule et éviter les bourdes - comme la référence au Stade de France au lieu du Parc des princes pour la candidate de droite. L'une, Anne Hidalgo, joue la carte de la maîtrise du dossier, et explique avoir causé modèle social suédois avec Ibrahimovic. L'autre, Nathalie Kosciusko-Morizet, se réfugie derrière son fils - "qui a acheté une BD sur Zlatan" et vide la batterie de son iPad en jouant à Fifa 13 - pour justifier ses fréquentes apparitions au Parc... et sa relative méconnaissance du club parisien. 

"Anne Hidalgo joue la continuité, c'est normal qu'elle s'affiche auprès du club. NKM, c'est la challenger, elle est obligée de se montrer. Si elle ne le faisait pas, on le lui reprocherait, estime le politologue Mathieu Zagrodzki, chargé de cours à Sciences Po et fan du PSG. "Sans parler du fait que cela lui permet de s'acheter une crédibilité parisienne, elle qu'on accuse d'être parachutée." Les autres candidats ont aussi un positionnement cohérent vis-à-vis du PSG. L'écologiste Christophe Najdovski, né dans le 20e arrondissement, se revendique, dans une interview à So Foot, supporter du FC Nantes et hostile au foot-business. "Le PSG, c'est l'anti-modèle pour EELV et le Front de gauche", analyse Mathieu Zagrodzki.

A Paris, le seul maire vraiment connaisseur en matière de foot, c'était Jean Tiberi, un temps adjoint aux sports de Jacques Chirac. Chirac, rhabillé de la tête aux pieds en bleu et rouge par le "Bébête Show" dans les années 90, n'y connaissait rien, mais savait qu'il avait tout intérêt à aider le club. C'est à la mairie de Paris que s'est joué le rachat du club par Canal+ plutôt que par Silvio Berlusconi, un temps candidat, relève Le Roman noir du PSG. Mais le club parisien n'intervient que de façon très marginale dans le scrutin. "Je ne vois pas comment le fait de ne pas aller au Parc ou de ne pas supporter le club peut faire perdre les élections, commente Mathieu Zagrodzki. Si c'était le cas, ce serait inquiétant ! En revanche, dans les villes de foot, où le club représente énormément pour la population, comme à Marseille ou à Lens, c'est bien plus important." 

La tentation d'être "maire de l'OM"

A Marseille, le président de l'OM est un peu maire de la ville, tandis que le maire de la ville a son mot à dire sur le club. Même si la situation a évolué depuis l'ère Gaston Defferre. En 1979, ce maire tout-puissant expliquait aux journalistes, dans son bureau à dorures, qu'il fallait faire table rase de l'encadrement du club. "Il s’autoproclamait maire de l’OM", se souvient le député Avi Assouly, dans Le Parisien. Jean-Claude Gaudin, maire UMP depuis 1995, a officié un an à la tête du club, en 1995-1996, avant de trouver un repreneur. Une expérience qui l'a (un peu) initié à un monde qu'il connaît très mal. "Philippe Séguin m'expliquera un jour ce qu'est une surface de réparation, et je l'apprendrai à mon tour à Edouard Balladur", se souvient l'édile dans le livre L'Histoire secrète de l'OM.

Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille, parle à la ministre de la Défense de l'époque, Michèle Alliot-Marie, lors de la finale de la Coupe de France 2007 OM-Sochaux, au Stade de France. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Encore aujourd'hui, Gaudin va au Vélodrome deux fois par an, "plus par obligation que par passion", ce qui ne l'empêche pas d'être populaire auprès de certains groupes de supporters, qui revendiquent parfois plus de 5 000 adhérents. En visite chez les South Winners, Jean-Claude Gaudin s'est littéralement fait acclamer, en raison de son opposition à la vente du stade Vélodrome prônée par son concurrent PS, Patrick Mennucci. Et s'est fait offrir un maillot du club floqué du numéro 13, "parce que ça porte chance !" dixit un membre du groupe. Cette visite ne doit rien au hasard. "Les Winners sont le groupe le plus influent des supporters de l'OM et constituent un relais d'opinion de choix, explique David Garcia, auteur du livre L'Histoire secrète de l'OM contacté par francetv info. Leur leader, Rachid Zeroual, se dit de gauche, a un buste de Che Guevara dans son bureau, mais est en même temps très proche de José Anigo, lui-même sympathisant de Gaudin… En bon politicien marseillais, il a des amis partout. Cela dit, je ne vois pas les groupes de supporters appeler à voter contre Mennucci."

A Lens, le foot n'est plus un enjeu municipal

A Lens, être supporter du Racing n'est pas une condition. Guy Delcourt, maire socialiste de Lens de 1998 à 2013, détestait le football professionnel, et s'est hasardé à quelques prises de position maladroites. "Je ne l’ai jamais mesuré, mais Daniel Percheron [le président de la région Nord-Pas-de-Calais] m’a dit que c’était une erreur politique. Les maires de grandes villes comme Paris ou Lyon m’ont toujours déconseillé de me positionner de la sorte, que le monde du foot était sensible", confie-t-il à Nord Eclair. Sylvain Robert, le maire PS actuel, candidat à sa réélection, a dû montrer patte blanche et confier aux sites spécialisés sur le club avoir usé ses fonds de culotte sur les sièges de Bollaert.

Pour la campagne électorale, presque tous les candidats affichent leur attachement au Racing, sans en faire plus. "J'ai été président d'un groupe de supporters pendant dix ans, je n'ai jamais vu passer aucun élu", se souvient Cédric Pharisien, ancien chef des North Devils, contacté par francetv info. Sans doute parce que le RCL attire essentiellement un public régional. On estime que les habitants de Lens représentent moins de 10% du public présent dans les tribunes, qui peuvent contenir jusqu'à 40 000 personnes. 

Le dernier maire-supporter de cette ville qui respire le foot, c'est André Delelis, maire PS de 1966 à 1998. Et il ne se limitait pas à ne jamais manquer un seul match à domicile. "Je me souviens très bien l'avoir vu à un entraînement, quand j'étais petit. Un entraînement !" s'amuse Cédric Pharisien. 

Christian Estrosi, dernier maire-supporter de France

Christian Estrosi, maire de Nice (Alpes-Maritimes), avec les supporters niçois, le 1er septembre 2013. (VALERY HACHE / AFP)

Le seul maire à tenir la comparaison, c'est Christian Estrosi, premier magistrat UMP de Nice. Son défilé avec les supporters, maillot du "Gym" sur les épaules et fumigène en main, a marqué les esprits. Il entretient une relation très particulière avec le groupe de supporters de la Brigade Sud Nice, dissous en 2010 et devenu Populaires Sud. "Ce groupe-là a un poids énorme dans la ville avec des ramifications partout, analyse Franck Berteau, auteur du Dictionnaire des supporters. C'est le seul cas en France d'un groupe qui a survécu à une dissolution administrative." Un groupe de supporters devenu en quelques années l'un des plus importants de France, que le maire défend de façon inconditionnelle.

Les supporters niçois sont montrés du doigt après divers incidents ? Christian Estrosi vole à leur secours en 140 caractères. 

L'attaquant Alexy Bosetti, enfant du pays, exhibe pour un but son tatouage de la Brigade Sud Nice, le groupe interdit, et se fait sanctionner ? Christian Estrosi dégaine son tweet. 

Et n'allez pas croire qu'Estrosi les soutient seulement parce qu'ils sont catalogués à droite. "C'est une tribune très hétérogène sur le plan politique. Sans parler du fait que se voulant ultras, ils se revendiquent comme politiquement indépendants", note Franck Berteau. Jusque dans l'isoloir ? Pas sûr…

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