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Razzy Hammadi, l'homme pressé qui veut faire gagner le PS à Montreuil

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Razzy Hammadi, lors du lancement de sa campagne municipale à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 19 décembre 2013. (MAXPPP)

Le député PS de la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis brigue la mairie de Montreuil. L'ascension de l'ancien président du Mouvement des jeunes socialistes est rapide. Quitte à lui valoir de nombreuses inimitiés. Portrait.

Toc, toc, toc. "C'est Razzy Hammadi, pour les municipales !" Une doudoune Fred Perry sur le dos, le député socialiste fait du porte-à-porte dans un immeuble de la cité de l'Espoir, à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Douze étages, où la lumière fonctionne une fois sur deux. Une mère de famille ouvre la porte, qui libère une odeur de poisson pané. L'accueil est chaleureux. Le candidat a remarqué le prénom de l'enfant, au bas des dessins scotchés sur la porte. "Au revoir Caroline !" Malin. Aussitôt, il file au bout du couloir.

A 35 ans à peine, Razzy Hammadi est l'un des benjamins de l'Assemblée nationale. Elu dans la 7e circonscription de Seine-Saint-Denis en 2012, il a décidé de briguer le fauteuil de maire, malgré son opposition au cumul des mandats. Parmi ses adversaires, un vieux routard de la politique, le communiste Jean-Pierre Brard. L'un de ses tracts traîne justement sur les boîtes aux lettres du hall. On lui demande s'il lui arrive de les déchirer. "Non, quand même..." Le papier finira intact, c'est vrai. Mais tout au fond d'une corbeille.

"Je n'ai pas de problème de tempérament"

Razzy Hammadi cultive une réputation de fonceur à qui rien ne résiste. Quitte à frôler la ligne jaune. En témoigne la vidéo d'une altercation, exhumée puis diffusée sur les réseaux sociaux depuis la mi-janvier. "Je vais faire descendre les cités de Montreuil", y lâche le député, hors de lui. Razzy Hammadi explique avoir pris peur pour sa compagne, selon lui menacée. Mais des témoins de la scène livrent une tout autre version à francetv info. Le 15 mars 2013 au soir, l'élu débarque avec des amis à La Parole errante, un centre culturel qui organise une fête de soutien à un local anarchiste, Le Rémouleur. "Il hurlait des phrases du type : 'C'est au conseil général ici, je suis chez moi !'", explique un jeune homme. Des spectateurs excédés finissent par éconduire le député.

Dans les coulisses montreuilloises, les images font du grabuge. "Je n'ai pas été étonné par la vidéo", explique un ancien militant PS, déjà confronté à un coup de sang de l'élu. Assis au bureau de sa permanence, Razzy Hammadi est sur la défensive. "Des choses me mettent hors de moi, d'autres m'enchantent (...). Je suis entier. Mais je n'ai pas de problème de tempérament." Las, la polémique est telle que Claude Bartolone, ancien président PS du conseil général, doit intervenir. "Deux jours après l'avoir défendu à la télé, je le croise à l'Assemblée. Il me tombe dans les bras, les larmes aux yeux. Et là je lui dis : 'Arrête tes sentiments, remonte sur ton cheval'."

"Il a le cœur sur la main"

"I, I, follow... I follow you..." Bain de foule en musique, mercredi 29 janvier, sous les spots bleus et roses du club Le Chinois, à Montreuil. Une jeune Asiatique remercie Razzy Hammadi d'avoir alerté le Quai d'Orsay sur le cas de sa mère, emprisonnée par le régime de Pékin. Emploi, justice, appartement… Pendant plus d'une heure, de nombreux administrés viennent lui présenter leurs doléances. Une constante depuis son élection. "Il a le cœur sur la main, il ne sait pas dire non", explique un militant. Bon connaisseur de la vie associative locale, il recrute des habitants prometteurs dans tous les quartiers de la ville. Un jeune homme, casquette vissée sur la tête, a rejoint sa liste après une rencontre. "Il m'a dit : 'j'ai envie de développer les arts urbains, ça te dit de le faire avec moi ?'" Un autre ajoute : "Il s'intéresse à toutes les communautés, pas seulement aux Roms, comme Voynet."

Ce soir-là, Razzy Hammadi est particulièrement fier d'annoncer la présence de Bruno Rebelle, ancien de Greenpeace. Déjà, pendant la campagne 2012, il avait obtenu le soutien d'Aminata Konaté-Boune, ancienne candidate à la mairie pour l'UMP avec un score honorable de 9,62%. Une prise de guerre ? "Je n'appartiens à personne, se défend-elle. J'ai rejoint Razzy Hammadi très tôt, à cause des propos entendus à droite lors du second tour de la présidentielle." Cette fois encore, il peut compter sur elle. Entre-temps, il a consacré 25 000 euros de réserve parlementaire à l'association de sa colistière, Les Routes du futur. Une subvention en guise de récompense ? "Si ça peut aider, tant mieux ! se justifie Aminata Konaté-Boune. Cet argent a servi à organiser le grand meeting du Mali, qui a attiré 6 000 personnes en septembre 2012."

Noms d'oiseaux et mains courantes

Rassembler autant que possible, une étape nécessaire à Montreuil, où les pires ennemis du candidat PS sont à gauche. "Avec son adversaire Jean-Pierre Brard, je ne sais pas qui a promis le plus de logements pendant la campagne municipale", ironise Riva Gherchanoc, chef de file du Parti de gauche local. "Un peu fort de café", ajoute un militant écolo, qui ne lui pardonne pas de s'être présenté alors que Dominique Voynet avait activement participé à sa campagne en 2012. Dans un courrier daté du 31 janvier, consulté par francetv info, la maire écologiste reproche à Razzy Hammadi d'avoir promis à des jeunes de Montreuil d'accorder une subvention pour construire un stade, en hommage à un habitant tué en 2011. Avant de changer d'avis, puisque rien n'apparaît dans sa réserve parlementaire.

Déjà, le 25 octobre, une réunion du PS vire au vaudeville. Un conseiller municipal socialiste prône une alliance avec les Verts, avant d'être chahuté pendant une demi-heure. Dans une main courante déposée au commissariat, il explique qu'on lui a confisqué son téléphone et renversé de l'eau sur ses notes. Puis, dans une lettre adressée à la direction nationale du PS, il ajoute que Razzy Hammadi l'aurait traité de "fasciste et de gestapiste". Ambiance. Et au sein même de son équipe, les rapports sont parfois houleux. Contactée par francetv info, une collaboratrice accuse le député de harcèlement moral. Elle lui reproche un "préjudice de non-paiement et de maltraitance", dans un courrier daté du 17 janvier. Après avoir déposé une main courante au commissariat, elle a engagé une action aux prud'hommes, comme le confirme la CGT locale.

D'une radio locale aux instances du PS

"Razzy Hammadi est tout feu tout flammes, concède Karim Ben Saada, ex-conseiller régional PS et ancien camarade de classe du député à Toulon (Var). Il a toujours un peu fait le bourrin en politique." La victoire du FN à la mairie, en 1995, est un premier choc politique pour Hammadi, habitant du quartier du Jonquet. Il présente alors une émission musicale, "Fatale Rafale", diffusée sur Radio Active 100.FM, où il passe des chansons d'Oxmo Puccino ou des X-Men. A l'époque, il chante quelque temps dans un groupe de ska.

Après le bac, Razzy Hammadi s'envole pour Sfax (Tunisie), où il étudie à l'école supérieure de commerce. C'est là qu'il fait la connaissance des militants du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL, social-démocrate). "Là, je me dis que je dois m'engager", se rappelle le député. De retour en France en 1998, il prend sa carte au PS, puis rejoint le Mouvement des jeunes socialistes (MJS) l'année suivante. Il rencontre alors Benoît Hamon, ami et mentor, qui se souvient aujourd'hui d'un jeune homme "très vif et intelligent". A l'époque, de passage dans le Var, le futur ministre dort même à la maison.

Razzy Hammadi part à Paris, rejoint le bureau national du PS en 2003. Deux ans plus tard, il obtient la présidence du MJS, où il s'investit dans les mobilisations contre le CPE. Puis le secrétariat national au Service public, où il coordonne la votation citoyenne sur La Poste. Avec, déjà, un style brut de décoffrage. En août 2006, il propose à François Hollande de faire sa rentrée nationale dans le Var, au moment où Ségolène Royal a le vent en poupe. "Il a prévenu les instances locales 48 heures avant, ça a été un bordel", raconte Karim Ben Saada. Mais le jeune cadre politique ronge son frein. Il lui faut un mandat.

"Il a parfois brûlé les étapes"

Débute alors un tour de France. A 26 ans, il frappe d'abord à la porte d'Orly (Val-de-Marne), à l'occasion des municipales 2008. Une équipe d'une douzaine de colistiers est constituée, avec des éléments de toute la France. La mairie rejette une première fois leur inscription sur les listes, faute d'attaches avec la ville. Razzy Hammadi parvient tout de même à se maintenir et termine quatrième (13,3%). "Après, j'ai songé sérieusement à arrêter la politique", explique-t-il, avant de marquer un silence. Le parachutage est un casus belli, quelques amis prennent leurs distances. "Il a parfois brûlé les étapes, concède Benoît Hamon. Mais il a déjà pris deux fois plus de coups que les autres politiques de son âge."

Il tente un retour dans le Var, en vue des régionales de 2010. Imposé par Martine Aubry, il est rejeté par les responsables locaux. Robert Alfonsi, alors secrétaire du PS local, en garde un goût amer. "Il est jeune mais il a déjà tous les défauts des hommes politiques, ça a été un vrai forcing avec Martine Aubry à son sujet." Selon lui, le jeune homme est alors capable de tenter des coups de force. "Un ami varois d'Hammadi devait défendre une motion Hamon lors d'une réunion locale, fermée aux autres sections. Et là, il me prévient 24 heures avant que Benoît Hamon va venir. Il arrive le soir avec une cohorte de gars de Marseille et de tout le Paca, qui n'ont rien à faire là. Je l'ai fait attendre dehors avec ses amis." Razzy Hammadi doit abandonner. La même année, il tente sa chance dans le Calvados. Sans succès.

Un parachutage et quelques bobos

Il pose finalement ses valises à Montreuil il y a quatre ans, et y installe son cabinet de conseil en urbanisme et habitat, HQB. Cette fois, il oublie la fanfare et arrive sur la pointe des pieds. "Il m'a invité à déjeuner au Bar du marché. Et là, il m'a assuré qu'il n'avait aucune ambition personnelle à Montreuil", se souvient son adversaire, Jean-Pierre Brard.

Quelques signes, pourtant, le montrent déjà à l'affût. Une nuit de juin 2011, trois personnes meurent dans l'effondrement d'un immeuble, rue Parmentier. La maire, Dominique Voynet, se rend sur les lieux. Il habite juste à côté, alors lui aussi. Un peu en retrait du cordon policier, il attire les médias. Chacun doit savoir qu'il hébergera cette nuit-là des habitants sinistrés.

Martine Aubry lui a réservé la circonscription. Claude Bartolone n'a pas le choix, il doit préparer les conditions d'atterrissage du parachuté. "A partir du moment où ça vient de la direction, j'en prends acte." Pourtant, le natif du Var rejette encore aujourd'hui les accusations de parachutage. "Avec ma compagne, on est tombés amoureux d'un logement, ça s'arrête là." A l'époque, la section locale du PS fait le dos rond et tente, en vain, d'imposer un autre candidat, Belkacem Mahdi.

En février 2012, un article du Canard enchaîné évoque son contrat chez Maat, un cabinet de conseil pour les offices HLM, où il officiait en 2008. L'hebdomadaire affirme que sa rémunération est sans rapport avec le travail fourni. Aujourd'hui encore, Hammadi digère mal l'épisode. "A l'époque, quand je lis l'article, ça fait mal. Je gagnais 2 400 euros par mois pour un poste où je bossais matin, midi et soir !" 

"Il a gagné au Loto, tant mieux pour lui"

Mise devant le fait accompli, Dominique Voynet lui apporte son soutien en mai pour l'élection. François Hollande vient d'être élu, une vague rose se prépare… "Il a bénéficié de circonstances exceptionnelles. Il a gagné au Loto, tant mieux pour lui", analyse Mouna Viprey, candidate divers gauche aux municipales.

Hammadi a réussi son implantation locale et espère la parachever en conquérant la mairie. Montreuil sera-t-il le fief à partir duquel il continuera de monter les marches de la politique ? Certains lui prédisent un destin national, lui ne dirait pas non à un ministère de la Ville… Il n'en est qu'au début de sa carrière.

Benoît Hamon se félicite d'avoir fait "émerger un talent". Hammadi sait comment préparer l'avenir, fort de son influence au MJS. En 2012, beaucoup de jeunes militants viennent de Paris pour l'aider dans sa campagne à Montreuil. Et Laurianne Deniaud, qui fut de l'aventure d'Orly, préside le MJS de 2009 à 2011. C'est Laura Slimani, ancienne collaboratrice, qui en prend la tête en 2013. "Comme Valderrama, il garde un peu trop le ballon dans les pieds. Mais il s'arrange", résume Benoît Hamon, évoquant des parties de foot communes. Fou de sport, Razzy Hammadi boxe deux à trois fois par semaine au Top Rank de Bagnolet. "Pour le moment, on ne travaille que la technique, sourit son entraîneur, Ali Oubaali. Il faut qu'il soit plus explosif." Ça promet.

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