: Reportage Présidentielle 2022 : en tractage dans des logements sociaux parisiens, les soutiens de Yannick Jadot peinent à convaincre
Si les électeurs croisés lors de cette opération militante sont souvent soucieux de l'écologie, le vote en faveur du candidat des Verts est loin d'être acquis.
Les bras chargés de tracts à l'effigie de Yannick Jadot, Françoise confie ses piles de prospectus aux jeunes militants EELV. Il est 18h30, ce mercredi 30 mars : l'heure est à la mobilisation, à seulement dix jours du premier tour de l'élection présidentielle. Une douzaine de personnes sont venues participer à une opération de porte-à-porte dans des logements sociaux du 14e arrondissement de Paris. "Il y a huit bâtiments, avec entre six et neuf étages chacun, et on a 800 tracts à distribuer", résume Françoise. Des élections, cette pétillante sexagénaire en a vu passer, mais celle-ci "est difficile", reconnaît-elle. "Il y a une cacophonie de tous les côtés et puis, c'est la première campagne des écolos depuis longtemps, il y a un rodage."
Dans les sondages, le candidat Jadot n'apparaît qu'en sixième position, oscillant entre 3 et 8%, loin derrière Jean-Luc Mélenchon. Loin, aussi, des ambitions des Verts, qui ambitionnaient de devenir la première force à gauche. Mais pas de quoi décourager Corentin et ses jeunes camarades. A 24 ans, cet ancien socialiste motive les troupes avant de partir sur le terrain et donne quelques conseils.
"On leur parle du programme. S'ils nous répondent 'vote utile', on leur dit qu'il faut voter par conviction et que les sondages ne prédisent pas le résultat."
Corentin, soutien de Yannick Jadotà franceinfo
Les militants se séparent et partent à l'assaut des étages par équipes de deux ou trois. Corentin fait équipe avec Fabien, ingénieur en informatique, et Lena, une jeune étudiante, tous deux novices dans cet exercice du porte-à-porte. "J'avais fait la campagne de Benoît Hamon, j'espère qu'on fera mieux au niveau du score", soupire Corentin dans l'ascenseur. "Je ne dis pas qu'on va faire 20% mais il peut y avoir de bonnes surprises", veut croire le militant, encarté à Génération.s, le parti créé par l'ancien candidat socialiste à la présidentielle 2017.
"C'est Mélenchon qui ressort, il a un bon marketing"
De bonnes surprises, il n'y en aura pas aux premières portes du 9e étage : les quatre premières sonnettes résonnent dans le vide. Quand une porte s'entrouvre enfin, on devine une large moustache dans l'entrebâillement. "Oui, vous me dérangez un peu". L'homme accepte quand même un tract avant de refermer sa porte illico.
La chance sourit aux militants devant l'appartement 212. Tuco, étudiant en commerce de 19 ans, accepte de discuter. Corentin déroule le programme du candidat écologiste en insistant sur le thème de la justice sociale. "Vous savez que Yannick Jadot veut élargir le montant du chèque énergie ?" Quelques minutes auparavant, il avait lancé aux militants : "Parlez du grand plan d'isolation des logements, c'est une mesure top, vu le lieu !"
Tuco opine du chef poliment face à l'argumentaire qui lui est présenté. Le jeune homme "ne se sent pas représenté" et pense voter blanc. Lorsqu'on l'interroge sur l'écologie, l'étudiant admet que "c'est le futur" et que "ça l'intéresse". Alors, pourquoi ne pas voter Yannick Jadot ? Tuco identifie à peine l'ancien directeur des campagnes de Greenpeace. "Je l'ai vu ce matin à la télé et je l'avais déjà vu avant", concède-t-il. Le candidat écolo a fait campagne dans une relative indifférence en partant avec un handicap de notoriété. "C'est beaucoup Mélenchon qui ressort, il a un bon marketing", glisse Tuco en refermant sa porte.
"Est-ce qu'on pourra avoir un sapin de Noël avec Jadot ?"
Deux étages plus bas, ce sont leurs dissensions internes que ces militants verts vont devoir justifier. En leur ouvrant sa porte, Agnès, une retraitée qui n'a pas la langue dans sa poche, s'en prend directement à Sandrine Rousseau. La finaliste de la primaire écolo, qui défendait une écologie radicale, n'a jamais vraiment digéré sa défaite. Elle a été écartée, début mars, de l'équipe de campagne après des propos très critiques envers Yannick Jadot. Malgré cette éviction, Agnès n'a que le mot "Sandrine Rousseau" à la bouche, une femme "anti-hommes".
"[Sandrine] Rousseau, c'est pas possible. Elle a abîmé [Yannick] Jadot. Elle fait peur, c'est une extrémiste."
Agnès, retraitéeà franceinfo
"Mais c'est Yannick Jadot qui a gagné en fin de compte ! C'est son programme que l'on appliquera, pas celui de Sandrine Rousseau", tente de répondre Corentin. L'argument est à peine entendu. "Est-ce que l'on pourra encore avoir un sapin de Noël avec Yannick Jadot ?", poursuit Agnès, en réference à la décision du maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, de bannir le traditionnel sapin devant l'hôtel de ville. Corentin la rassure. Mais à 62 ans, Agnès "n'a presque plus envie de voter".
"Beaucoup de gens se disent : ça va changer quoi dans ma vie ?" Elle met tout de même en avant deux critères : le social et la sécurité. "On a des voyous ici à 3 heures du matin", murmure-t-elle. "Et Jadot, il n'en parle pas trop, de la sécurité." Corentin vante les recrutements que veut faire son candidat dans la police et la justice. Peine perdue, Agnès a déjà un autre choix en tête : "Peut-être Marine Le Pen".
Fin du mois plutôt que fin du monde
Au deuxième étage, Bruno, lui, est un électeur fidèle de la candidate d'extrême droite. Engoncé dans son peignoir de bain, ce retraité est incapable de citer une mesure de la candidate du RN mais il "aime ses idées" et "elle parle bien". Les militants écolos engagent la conversation, même si l'homme apparaît sûr de son vote. Corentin tente d'orienter la discussion sur la pollution de l'air qui a fait 30 000 morts prématurés en France en 2019. "On n'a pas cinq ans pour attendre ! Marine Le Pen ne propose rien sur l'écologie", assène-t-il. Bruno, peu réceptif à ce discours écolo, n'a pas l'air déstabilisé.
"Il y aura toujours de la pollution. On ne peut rien y changer."
Bruno, électeur de Marine Le Penà franceinfo
Entre la fin du mois et la fin du monde, ces Parisiens aux revenus modestes ont leur priorité. Tous conscients des effets du dérèglement climatique, ce électeurs restent bien plus préoccupés par le pouvoir d'achat, thème peu identifié chez Yannick Jadot. Une étudiante sri lankaise, qui ne souhaite pas donner son prénom, estime que le climat ne peut pas être au cœur d'un programme électoral, contrairement au pouvoir d'achat, "qui reste au centre des préoccupations". "Yannick Jadot ne va pas penser qu'au climat", rebondit Lena, la militante EELV. "Il sait que tout ce qu'il fait a un impact sur la vie des gens", ajoute-t-elle.
Dans son pyjama rose à l'effigie d'un chaton, l'étudiante en sciences sociales écoute et accepte de prendre le tract du candidat écolo. "Vous m'avez dit des choses intéressantes", concède-t-elle à la fin de la conversation. Peut-être une future électrice ?
Pas le temps de s'attarder, les militants changent de bâtiment. Devant la porte de l'immeuble, Corentin a sa technique pour accéder à l'intérieur. "Oui, bonjour, c'est pour une livraison Amazon, vous pouvez m'ouvrir ?" Et c'est reparti pour un tour. A 20h10, la tournée s'achève, sans que l'on sache vraiment combien d'habitants auront été convaincus. "La fatigue, quand même", souffle Corentin.
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