Election présidentielle de 2022 : cinq questions sur la proposition de vote par anticipation
Un amendement déposé par le gouvernement au Sénat mardi propose d'organiser un vote par anticipation pour la présidentielle de 2022. Mais l'initiative provoque de vives réactions du côté de l'opposition.
Il s'agirait d'une première en France. Le gouvernement a présenté au Sénat, mardi 16 février, un amendement dont l'objectif est de permettre le vote par anticipation pour l'élection présidentielle de 2022. L'amendement a été ajouté au dernier moment à un texte sur l'organisation technique du scrutin présidentiel. Il a été rejeté mercredi par la commission des lois du Sénat, mais sera encore présenté jeudi au vote de tous les sénateurs. Franceinfo vous explique les modalités de cette proposition et le débat qu'elle suscite.
1Comment fonctionne ce vote ?
Beaucoup d'éléments sont encore à préciser. Pour l'instant, l'amendement prévoit juste un vote par anticipation dans certains bureaux, via une machine à voter, à une "date fixée par décret, durant la semaine précédant le scrutin". Le vote se déroulerait aux horaires prévus par le Code électoral "sur une machine à voter d’un modèle agréé". Il ne serait pas possible de voter par procuration lors de ce vote par anticipation.
Les électeurs pourraient par ailleurs "demander à voter dans une autre commune de leur choix parmi une liste de communes arrêtées par le ministre de l'Intérieur". Pour éviter les fraudes et les cas de double vote, il est prévu d'inscrire une mention sur la liste électorale de la commune d'inscription de l'électeur. "A l'inverse, s'il n'a finalement pas voté par anticipation, il peut voter dans son bureau de vote", précise l'amendement.
2Quel est l'objectif ?
"L'objectif, c'est de faire baisser l'abstention, a expliqué mercredi sur France 2 Christophe Castaner, le patron des députés LREM. Si cela permet de donner la possibilité de voter à des personnes qui ne pourraient pas ou qui n'iraient pas voter, c'est important." L'ancien ministre de l'Intérieur a ainsi pris les exemples des Etats-Unis et du Portugal, où selon lui le système fonctionne : "Le Portugal vient d'élire son président de la République, 250 000 personnes ont voté ainsi, cela marche, étudions-le."
"L'exemple américain montre qu'il y a de très nombreux Américains qui n'allaient pas voter qui sont allés voter."
Christophe Castanersur France 2
La proposition vise aussi à "anticiper" le cas où l'élection présidentielle devrait se tenir dans un contexte de crise sanitaire qui perdurerait. Les responsables politiques se souviennent notamment des polémiques qui ont suivi le premier tour des élections municipales en mars 2020, alors que l'épidémie de Covid-19 gagnait du terrain.
3Est-ce conforme à la Constitution ?
Selon le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, le texte pourrait poser quelques problèmes en cas de saisine du Conseil constitutionnel. "Il y a clairement une rupture d'égalité des électeurs face au scrutin", a estimé sur franceinfo ce spécialiste du droit constitutionnel. Les électeurs qui se rendront aux urnes avant le jour du vote "ne disposeront pas des mêmes éléments d'information dans le cadre d'une campagne électorale que les autres électeurs", estime-t-il.
"Les électeurs ne sont pas confrontés au même instant électoral, au même instant politique et ne votent pas avec les mêmes éléments d'information."
Jean-Philippe Derosier, juristeà franceinfo
Pour illustrer son propos, le juriste prend comme exemple la dernière campagne présidentielle. "Imaginons que le vote par anticipation ait débuté en 2017, avant même que n'éclate l'affaire Fillon. L'électeur qui vote avant qu'elle n'éclate ne ferait pas forcément le même choix que celui qui va voter après qu'elle a éclaté. Et donc là, il y a, à mon avis, une rupture d'égalité qui peut porter atteinte à la sincérité du scrutin."
4Quelles sont les réactions ?
L'initiative est largement critiquée dans l'opposition. Le président des sénateurs LR Bruno Retailleau y voit une "manœuvre politicienne" : "Pour l'élection présidentielle qui est la clé de voûte de nos institutions, on ne peut pas faire les choses à la va-vite."
"Un vote par anticipation est totalement opposé à la tradition française (...). C'est un amendement stupéfiant qui montre la légèreté du gouvernement sur les principes démocratiques."
Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénatà l'AFP
La tonalité est la même chez les centristes, dont le chef de file Hervé Marseille a qualifié l'amendement "d'ovni". "Tout le monde est à peu près convaincu qu'il faut repousser ce machin-là", a-t-il dit. "Sur les évolutions en matière de processus électoraux, il faut faire très attention (...) à ne pas donner l'impression qu'au nom de favoriser le vote on s'arrange avec la règle", a également mis en garde Cécile Cukierman (CRCE à majorité communiste).
Pour certains, l'initiative cacherait même des intentions néfastes. Florian Philippot (ex-FN) a ainsi lancé sur Twitter : "Alerte fraude !" "La semaine avant le scrutin, les électeurs iraient dans un bureau équipé d'une 'machine à voter', le dépouillement aurait lieu le dimanche. Quel besoin de faire ça sinon frauder ?!"
Même dans la majorité, l'amendement ne fait pas l'unanimité. "Je ne suis pas sûr de le voter", a déclaré sur franceinfo Xavier Iacovelli, sénateur LREM des Hauts-de-Seine. "Je me suis toujours opposé au vote électronique et notamment aux machines à voter dans les communes". Le député ex-LREM Matthieu Orphelin le rejoint et se déclare favorable au vote par anticipation mais "dans des vrais isoloirs et urnes, pas sur des machines à voter".
5Quelles sont les chances pour l'amendement d'être adopté ?
Pour l'instant, les chances de voir cet amendement adopté semblent donc assez minces. La commission des lois a rejeté le texte, et il doit maintenant être étudié jeudi en séance publique au Sénat. Mais la Haute-Assemblée reste dominée par la droite et le centre, qui ont déjà annoncé leur intention de rejeter l'amendement.
Le texte technique sur l'élection présidentielle de 2022 a été déjà adopté par l'Assemblée nationale en janvier, mais sans le fameux amendement. Si le Sénat ne vote pas le texte dans les mêmes termes, ce dernier repartira pour une seconde lecture devant les députés. Le gouvernement aura alors une nouvelle possibilité pour tenter de faire voter son amendement. "Le gouvernement n'imposera rien" et c'est le Parlement "qui décidera" in fine, a promis sur France 2 Christophe Castaner.
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