"Le référendum, c'est la 'trumpisation' de la vie politique"
Fichés S, regroupement familial : s'il est élu, Nicolas Sarkozy propose d'organiser deux référendums. Mais sont-ils vraiment démocratiques ? Entretien avec Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l'université Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Un référendum sur le regroupement familial ou sur l'internement des fichés S : voilà deux propositions formulées par Nicolas Sarkozy sur le plateau du journal de France 2, le 7 octobre. Proposition qui n'a pas manqué de faire réagir, y compris au sein de son camp. Un "enfumage" pour son adversaire à la primaire de la droite, François Fillon, une façon d'aborder "les problèmes par le petit bout de la lorgnette" pour le favori des sondages, Alain Juppé. En 2012 déjà, l'ancien chef de l'Etat avait proposé des référendums lors de sa campagne, alors qu'il n'en a pas organisé un seul quand il était président.
Est-ce une bonne idée ? Le référendum, puisqu'il permet de consulter directement le peuple, est-il un outil démocratique ? Franceinfo a posé la question à Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel.
Franceinfo : Nicolas Sarkozy propose, s'il est élu, d'organiser un référendum sur la suspension du regroupement familial et l'internement préventif des fichés S les plus dangereux. Est-ce possible juridiquement ?
Dominique Rousseau : Dans l'état actuel de la Constitution, la réponse est clairement non. L'article 11 prévoit la possibilité d'organiser des référendums dans trois domaines : l'organisation des pouvoirs publics, la politique économique, sociale et environnementale, et les traités internationaux qui porteraient atteinte à la souveraineté nationale. La Constitution ne prévoit donc pas de référendum sur les droits de l'homme. Or le regroupement familial, comme l'internement préventif, sont liés aux droits de l'homme. On ne peut donc pas organiser de référendum sur ces deux thématiques. Par ailleurs, l'article 66 de la Constitution prévoit que chacun a le droit d'être jugé et ne peut être mis en prison qu'après un jugement. Un internement préventif serait donc anticonstitutionnel.
Qu'est-ce qui empêcherait, malgré cela, un président de lancer de tels référendums ?
Pour organiser un référendum, il faut respecter une procédure. Le président doit publier un décret, qui est soumis à l'avis du Conseil constitutionnel. Ce dernier serait en droit de donner un avis défavorable à ce décret, puisque les sujets soumis à référendum seraient contraires à la Constitution. Bien sûr, ce n'est qu'un avis, mais vous imaginez un président qui passerait outre ? Commencer un quinquennat avec le Conseil constitutionnel qui dit, pour schématiser, que le président viole la Constitution, alors qu'il est censé en être le gardien… Cela commencerait très mal !
Le référendum revient à la mode chez les politiques, comme s'il était la forme ultime de la démocratie. Partagez-vous cet avis?
Pas du tout. Le référendum est un faux-ami. Ce n'est pas l'instrument de la démocratie dans la mesure où il est un acte d'acclamation : on demande au peuple d'acclamer une proposition – ou celui qui l'a faite – et non pas de délibérer, d'échanger des arguments raisonnés sur la question posée. Il fait appel à l'émotion plus qu'à la raison. Regardez ce qui s'est passé avec le Brexit : même ceux qui ont voté pour ont semblé le regretter. Avec le référendum, vous vous invectivez, vous ne délibérez pas.
Il s'agirait donc de populisme, selon vous ?
L'instrument du référendum conduit nécessairement à une "trumpisation" de la vie politique. Quel est l'objectif de la démocratie ? C'est de produire des décisions justes. Elles se construisent lentement, par échange d'arguments. Or, que produisent les référendums ? Des décisions rapides. Ils permettent de trancher dans le vif. Mais trancher dans le vif, d'abord cela fait mal, et souvent, on va trop vite et on prend parfois de mauvaises décisions. Regardez ce qui s'est passé en Grèce : Tsipras demande aux Grecs par référendum s'ils veulent l'austérité. Les Grecs disent non, et Tsipras mène quand même une politique d'austérité.
Nous sommes dans des sociétés complexes, où les décisions justes doivent prendre en compte l'ensemble des arguments échangés. Citez-moi un secteur où les choses peuvent être tranchées par un oui ou un non ! L'économie, l'éducation, la médecine… Dans tous ces domaines, il faut laisser les gens parler pour arriver à un accord. Le contrat, le consensus, c'est ça la démocratie !
Mais la démocratie, c'est quand même le gouvernement du peuple. Est-ce que ce n'est pas aussi ça, un référendum ?
"Vox populi, vox dei" : la voix du peuple est la voix de dieu. Le peuple aurait nécessairement et toujours raison. Mais à quoi mesure-t-on la qualité d'une démocratie ? Au fait que celui qui prend une décision doit en répondre. Or quand le peuple prend une décision, il n'a pas à en rendre compte. On ne demande pas de comptes à Dieu, n'est ce pas ? C'est la même idée. C'est un pouvoir unilatéral, qui ne peut pas se tromper et donc qui n'a pas à être contrôlé. Il n'y a aucun contre-pouvoir à celui du peuple.
Or on l'a vu, les politiques proposent de plus en plus des référendums qui touchent aux droits fondamentaux. Le risque, c'est que ces droits ne soient plus respectés, puisque le Conseil constitutionnel n'est pas à même de censurer une loi votée par référendum.
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