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Présidentielle 2022 : le foie gras, l'invité qui joue les trouble-fêtes dans le débat politique

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Mets phare des réveillons, le foie gras est devenu, fin 2021, un sujet de débat pour les candidats à l'élection présidentielle de 2022. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Mets phare des réveillons, le foie gras est devenu un sujet de débat pour les candidats à l'élection présidentielle. Retour sur les dernières semaines, qui ont vu ce produit festif s'installer au centre de l'attention politique.

Pouvoir d'achat, chômage, santé, terrorisme, climat et… foie gras. L'aliment star des agapes de fin d'année a fait une irruption fracassante, ces dernières semaines, au menu des thèmes incontournables de l'élection présidentielle, plusieurs candidats comme Valérie Pécresse ou Eric Zemmour défendant ardemment ce produit issu du gavage d'oies et de canards.

Depuis plusieurs mois, l'association de défense des animaux PETA incite publiquement les municipalités à abandonner le foie gras. Jeanne Barseghian (EELV), maire de Strasbourg (Bas-Rhin), a annoncé le 25 novembre à l'ONG ne plus passer de commandes publiques de foie gras depuis sa prise de fonction en 2020. La capitale alsacienne suit ainsi le mouvement initié par Grenoble depuis 2014, Lyon et Besançon depuis 2020 ainsi que Villeurbanne depuis mai 2021. "Il ne s'agit ni d'un appel au boycott, ni d'une mesure d'interdiction", temporise Grégory Doucet (EELV), maire de Lyon, dans une tribune publiée dans Le JDD le 12 décembre, face à l'émoi provoqué par ce bannissement. 

Des réactions en cascade

Pas d'appel au boycott donc, mais une mesure assez forte symboliquement pour pousser la classe politique à réagir, particulièrement en temps de campagne électorale. Alors que Nicolas Dupont-Aignan a dénoncé le "sectarisme" et le "dogmatisme" des écologistes, le candidat d'extrême droite Eric Zemmour s'est fendu d'un tweet priant les Verts de manger "ce que bon leur semble" et de laisser "la France être la France". Sur la même ligne, la candidate LR, Valérie Pécresse, a associé le fait "d'être français" et l'art de consommer l'aliment de la discorde.

A gauche, Jean-Luc Mélenchon a regretté le 17 décembre, sur LCP, une pratique qui "donne une vision punitive et agressive de l'écologie politique." A l'instar de Fabien Roussel (PCF) et de Marine Le Pen (RN), Anne Hidalgo n'a pas pris publiquement position sur la question du foie gras. Contactée par franceinfo, son équipe de campagne tient à rappeler "l'attachement" de la candidate du PS à "l'excellence gastronomique et aux traditions culinaires françaises". Ian Brossat, porte-parole du candidat communiste, assure ne pas être non plus favorable à l'interdiction du foie gras. "D'ailleurs, aucune de nos villes ne l'applique", clarifie-t-il.

Dans cet enchaînement de réactions, l'écologiste Yannick Jadot a été sommé de se positionner. Soutient-il l'initiative des élus de son bord politique ? "Le foie gras, c'est un produit de luxe. Moi j'en mange, du foie gras, mais du foie gras artisanal", a défendu le candidat d'Europe Ecologie-Les Verts, le 13 décembre sur franceinfo. Alexis Braud, son porte-parole, justifie la décision des mairies par une nécessité d'exemplarité budgétaire : "100% des gens ne souhaitent pas que leurs impôts partent en buffets luxueux". 

Les éléments de langage se bousculent, et parfois se contredisent, pour justifier une décision politique prise à l'échelle locale. "Yannick Jadot est embêté, lui qui souhaite incarner une écologie plus large, plus consensuelle" que celle défendue par les maires et représentée par Sandrine Rousseau, analyse Daniel Boy, politologue spécialiste de l'écologie politique. Déchargée de l'impératif de rassemblement, la finaliste malheureuse de la primaire écolo s'est ainsi fendue d'un tweet sarcastique vantant les mérites du "faux gras", nom donné à l'imitation végétale du foie gras.

Yannick Jadot se trouve dans une position politique inconfortable, avec la peur de froisser l'opinion en tenant un discours sur le foie gras jugé trop radical. "Il y a un vieux conflit entre le milieu rural et les écologistes. Lorsque l'on analyse la carte électorale, le mouvement attire surtout dans les grandes villes. Il n'y a presque pas de vote écologiste en milieu rural, mais beaucoup d'enjeux environnementaux sont liés à l'agriculture et la ruralité", souligne le politologue.

Un enjeu électoral

Que l'on soit pour la consommation du foie gras, pour ou contre son interdiction, cet empressement des politiques à se positionner est à analyser à l'aune de l'enjeu électoral. Selon une enquête de l'Ifop parue en janvier 2021, 84% des Français jugent la protection des animaux importante et 69% considèrent que les politiques ne défendent pas suffisamment bien les animaux. Cette thématique pourrait peser dans le vote en avril prochain. Alors qu'en décembre 2011, seulement 29% des sondés déclaraient vouloir voter pour un candidat en fonction de son programme pour le bien-être animal lors de la présidentielle de 2012, ils étaient 47% à répondre favorablement à cette même question en septembre 2021, selon un sondage Ifop pour le site Woopets.

"La cause animale est un sujet important, notamment pour l'électorat du Rassemblement national, et y compris pour les franges les plus éloignées de la politique", explique Paul Cébille, chargé d'études au pôle politique-actualités de l'Ifop. Bien que sensibilisée sur la question, la majorité des Français n'est pas pour autant prête à arrêter sa consommation de foie gras. Un sondage réalisé en novembre par l'institut CSA pour le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog) révèle que 75% des personnes interrogées prévoyaient d'en consommer durant les fêtes. "Le rapport des Français aux animaux d'élevage est assez distant", tente d'analyser Paul Cébille.

Cette contradiction n'a rien d'absurde, selon le politologue Daniel Boy. "Lorsque l'on arrive à des enjeux spécifiques du bien-être animal comme le foie gras, ça se complique".

"Ne plus consommer de foie gras, cela signifierait se priver de quelque chose.Il ne s'agit plus seulement d'exprimer une idée abstraite."

Daniel Boy, politologue spécialiste de l'écologie politique

à franceinfo

C'est là toute la difficulté que rencontrent les politiques pour se positionner. D'ailleurs, des candidats comme Yannick Jadot, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, qui revendiquent un souci de la cause animale, n'ont pas pour autant pris le parti de défendre la démarche anti-foie gras des maires écologistes. 

"Une attaque au bien-vivre"

La force du symbole dans la communication politique joue également dans cet arbitrage. La consommation de foie gras est principalement associée à des moments de joie. "Il est très difficile pour les candidats de défendre une mesure qui est considérée unanimement comme une attaque au bien-vivre", selon Daniel Boy. "Au moment des fêtes, le foie gras fait partie de notre culture et de notre patrimoine", défend Germinal Peiro, président du conseil départemental de la Dordogne et cosignataire de la tribune "Soyons fiers de notre foie gras et de nos artisans", aux côtés de 55 autres élus du Périgord. En France, l'aliment est en outre reconnu "patrimoine culturel et gastronomique protégé" depuis 2006 (article 654-27-1 du Code rural).

Elément du patrimoine, ce produit issu du gavage est-il pour autant indissociable de l'identité française ? Les candidats de droite et d'extrême droite à l'élection présidentielle convoquent le patriotisme face à une supposée menace écologiste qui tenterait de changer les mœurs. "L'identité signifie 'identique' à ce que l'on connaissait hier. Mais, dans les faits, une culture n'est pas immuable. Il s'agit là d'un mythe tout à fait réactionnaire", estime Jean Viard, sociologue spécialiste du monde rural et auteur du livre La révolution que l'on attendait est arrivée (éditions de L'Aube, 2021). Selon le chercheur, le débat renvoie à des conflits plus profonds. "La consommation de viande et de foie gras a longtemps été symbole de force et de pouvoir politique, d'émancipation populaire. Et là, une minorité active arrive et nous culpabilise, ça ne passe pas."

Le foie gras est donc sorti des cuisines pour devenir un marqueur politique, un sujet sur lequel les candidats sont attendus et doivent se positionner. Ce changement n'est pas du goût de tous. "La polémique est complètement disproportionnée, regrette Ian Brossat, porte-parole de Fabien Roussel (PCF). "Il y a suffisamment de sujets qui divisent les Français en ce moment pour qu'on n'aille pas organiser une guerre civile sur le foie gras."

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