Présidentielle 2022 : pourquoi le programme de Marine Le Pen reste ancré à l'extrême droite, malgré la dédiabolisation
Derrière son discours de banalisation, la candidate défend un programme xénophobe et autoritaire, qui affaiblirait les contre-pouvoirs et mettrait la France au ban des démocraties européennes.
Sur sa nouvelle affiche de campagne, Marine Le Pen a choisi la sobriété. La candidate du Rassemblement national pose, tout sourire, les mains sur un bureau. Son nom et son prénom sont absents de la photo, seul son slogan "pour tous les Français" est inscrit. Une communication à l'image de sa campagne, qu'elle a voulue apaisée et centrée sur le pouvoir d'achat.
Si Marine Le Pen se défend de présenter un projet d'extrême droite, l'essentiel de son programme est pourtant consacré aux thématiques traditionnelles de cette famille politique. La candidate du RN entend entre autres réviser la Constitution, refonder les droits des étrangers, renforcer le pouvoir des forces de l'ordre, affaiblir les contre-pouvoirs et "éradiquer l'islamisme".
>> Election présidentielle : les informations sur l'entre-deux-tours en direct
Pour le politologue Jean-Yves Camus, aucune définition de l'extrême droite ne fait l'unanimité, mais son essence se base sur "une conception organiciste de la communauté dont la base est l'ethnie, la nationalité ou la race" et le refus de la "démocratie représentative". Cette vision du monde trouve une traduction concrète dans de nombreuses mesures proposées par Marine Le Pen.
La Constitution serait modifiée sans l'aval du Parlement
Une fois élue, Marine Le Pen compte modifier la Constitution afin d'y inscrire la "priorité nationale". Il s'agit de rendre légale la discrimination entre les Français et les étrangers pour l'accès à l'emploi public, au logement social, à l'hôpital et aux aides sociales. Problème : une telle inscription est contraire aux principes d'égalité de la République et est donc inconstitutionnelle. "Dès lors que des étrangers sont installés de façon régulière sur notre territoire, ils ont les mêmes droits que les nationaux", rappelle le constitutionnaliste Dominique Rousseau.
Pour l'entériner malgré tout, Marine Le Pen veut se passer du Parlement et soumettre à référendum un projet de loi, déjà rédigé, sur l'immigration et l'identité. Elle fera appel à l'article 11 de la Constitution, qui traite de l'organisation de référendums mais hors du cadre des révisions constitutionnelles. "Le Conseil constitutionnel n'a pas son mot à dire dans le cadre de cet article, c'est le peuple qui nous dira si c'est oui ou si c'est non", justifie auprès de franceinfo Jean-Paul Garraud, cadre du RN. La candidate défend son usage par le général de Gaulle en 1962 pour l'élection du président de la République au suffrage universel. "Utiliser cet article pour réviser la Constitution était déjà anticonstitutionnel", souligne d'ailleurs Dominique Rousseau.
Tout changement de la Constitution doit en effet passer par l'article 89, qui implique que le texte de loi soit adopté en des termes identiques par l'Assemblée nationale et le Sénat.
"Cette 'démocratie référendaire' voulue par Marine Le Pen, qui met à l'écart les élus et les institutions susceptibles d'exercer un contre-pouvoir, est illibérale."
Dominique Rousseau, constitutionnalisteà franceinfo
Pour le politologue Erwan Lecœur, spécialiste de l'extrême droite et proche d'EELV, cette pratique est "clairement une vision d'extrême droite". Il s'agit selon lui d'une forme "d'hyper-démocratisme, l'idée que les institutions de la République doivent être remplacées par le bon sens populaire".
Les étrangers seraient discriminés
Une "règle élémentaire" cimente également tout le programme de Marine Le Pen : "faire passer les nôtres avant les autres". Elle veut limiter l'accès à la nationalité sur des critères de "mérite et d'assimilation". Les étrangers en situation irrégulière ne pourront pas être régularisés "sauf cas exceptionnels" et les demandes de droit d'asile seront traitées uniquement depuis l'étranger. Les allocations familiales seront allouées aux seuls Français et les regroupements familiaux seront arrêtés.
"Marine Le Pen est dans la continuité historique de ce que son père a fait au Front national. L'anti-immigration, la xénophobie, c'est un marqueur du logiciel frontiste et de l'extrême droite"
Valérie Igounet, historienne, spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
La candidate veut abroger la naturalisation par le mariage et supprimer le droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers eux-mêmes nés en France. Une disposition en vigueur depuis 1889 qui n'a jamais été remise en cause, même durant le régime de Pétain, rappelle Le Monde (article payant). "Marine Le Pen veut ramener la nationalité française au droit du sang. Or, ce qui fait le peuple français, ce n'est pas le sang, la couleur de la peau, la religion, c'est l'adhésion aux valeurs inscrites dans la Déclaration des droits de l'homme", décrit Dominique Rousseau.
La pratique de l'islam serait réglementée
Concernant la religion, l'islam est particulièrement visé par Marine Le Pen. Avant le premier tour de l'élection présidentielle, elle voulait interdire le port du voile dans l'espace public. "Une mesure contraire à la laïcité, qui n'interdit en aucun cas le port de signe religieux dans l'espace public par des citoyens", rappelle le juriste Nicolas Hervieu, spécialiste du droit des libertés. Elle veut "combattre les idéologies islamistes", mais n'en donne pas de définition. "Nous considérons qu'une personne qui porte le voile est une islamiste", illustre le directeur de cabinet de Marine Le Pen, Renaud Labaye, auprès du Monde.
Signe d'un flottement sur le sujet du voile, la candidate est revenue sur cette mesure, samedi 16 avril, lors d'un déplacement en Eure-et-Loir, pour la nuancer. Elle a expliqué que l'interdiction du port du voile dans l'espace public était un "problème complexe" et qu'elle serait soumise à la "discussion, à des débats" au Parlement.
La candidate distingue par ailleurs les signes religieux musulmans de ceux des autres religions, rompant ainsi avec l'égalité des cultes garantie par la loi de 1905. Dans ce même état d'esprit, elle entend réviser la Constitution pour protéger l'installation de crèches de Noël catholiques dans les lieux publics. "Il n'y a pas de rupture. C'est ce qu'on retrouvait déjà dans les programmes du FN, même si cela prend des atours nouveaux : lutter contre l'islam sous des prétextes de laïcité", pointe Nicolas Hervieu.
Une politique ultra-sécuritaire serait mise en œuvre
Afin de combattre le "laxisme" des gouvernements successifs face aux "voyous", Marine Le Pen consacre un livret entier de son programme à la lutte contre l'insécurité et la délinquance. La candidate du RN veut par exemple recruter 7 000 policiers et gendarmes et passer de 60 000 à 85 000 places de prison en France si elle est élue. Elle veut également obliger les communes de plus de 10 000 habitants à se doter d'une police municipale armée. En matière de justice, Marine Le Pen entend "doubler le nombre de magistrats pour le porter à 20 000".
Dans le même temps, l'avocate de profession veut rétablir les peines planchers pour que tous les criminels et les délinquants reçoivent une sanction, en plus d'instituer "une présomption de légitime défense" pour les forces de l'ordre. "La loi prévoit déjà de nombreux cas de légitime défense lorsque les policiers font usage de leur arme. Dire que ce n'est pas suffisant, c'est vouloir en faire une présomption indiscutable, s'alarme auprès de Mediapart l'avocate Nathalie Tehio, membre du bureau de la Ligue des droits de l'homme (LDH). Les policiers pourront s'affranchir des conditions qui encadrent l'usage de leur arme ou de la force en général."
"Le fait que la police soit prééminente face à la justice marque ce caractère d'extrême droite" dans le programme de la fille de Jean-Marie Le Pen, juge le politologue Erwan Lecœur.
"Dans la France de Marine Le Pen, le pilier, c'est la police et l'ordre, et pas la justice."
Erwan Lecœur, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Les naissances seraient encouragées face à la "submersion migratoire"
Comment répondre à la supposée "submersion migratoire" qui serait "de nature à modifier la composition et l'identité du peuple français", allusion déguisée à la notion raciste de "grand remplacement" ? "L'idée centrale et constante de l'extrême droite est d'expliquer que la nation est en péril, parce qu'elle est à la fois attaquée de l'extérieur et en même temps minée de l'intérieur par une sorte d'hédonisme et d'individualisme qui pousse les gens à ne pas faire d'enfants", expliquait Jean-Yves Camus à Libération, en juillet 2021.
C'est ce qui conduit Marine Le Pen à défendre la "natalité française" avec l'octroi d'un "prêt à 0% pour les jeunes familles françaises transformé en subvention pour les couples qui auront un troisième enfant". En matière de politique familiale, si elle ne souhaite pas dérembourser l'Interruption volontaire de grossesse (IVG), la candidate du RN voit dans l'allongement de son délai légal de 12 à 14 semaines une "dérive idéologique".
Les contre-pouvoirs seraient affaiblis
Le Rassemblement national dit "vouloir redonner toute cette force à ces corps intermédiaires" face aux "lobbies divers et variés", selon les mots de l'eurodéputé Jean-Paul Garraud. Marine Le Pen est pourtant régulièrement décriée pour sa conception de la liberté de la presse, comme lorsqu'elle a affirmé, lors d'une conférence de presse le 12 avril, qu'elle se réservait le droit de choisir qui était journaliste et qui ne l'était pas.
"Selon sa vision, les corps intermédiaires et tout un tas de contre-pouvoirs ne valent plus, insiste Erwan Lecœur. Les médias, la justice, les syndicats… Elle veut clairement les abolir." Comme Emmanuel Macron, Marine Le Pen propose la suppression de la redevance audiovisuelle, qui est pourtant un gage d'indépendance pour les médias publics. Elle veut aller plus loin en privatisant les médias de l'audiovisuel public. Les syndicats ne sont pas mieux lotis : "On a toutes les raisons de détester la CGT et [son président] Philippe Martinez", fustigeait-elle lors du mouvement social contre la réforme des retraites, en 2020.
La France se rapprocherait de démocraties "illibérales"
Si elle est élue, avec qui Marine Le Pen tenterait-elle de former un bloc national-populiste, d'inspiration d'extrême droite, en Europe ? "Ses alliés sont clairement des partis et des personnalités d'extrême droite", explique Gilles Ivaldi, politologue au Cevipof, à propos de l'AfD en Allemagne, du Parti de la liberté en Autriche ou de la Ligue de Matteo Salvini, en Italie.
Certains de ces partis ont accédé au pouvoir, comme le Fidesz de Viktor Orban, l'un de ses "modèles" sur le Vieux continent. Le Premier ministre hongrois "est en train de créer un régime autocratique", poursuit Gilles Ivaldi, "une démocratie illibérale, autoritaire, sous la coupe d'un leader qui va s'arranger pour que le peuple pense comme lui", ajoute Erwan Lecœur.
"En Hongrie, il n'y a plus de médias libres, les universités ne peuvent plus dire ce qu'elles veulent, les homosexuels sont pourchassés. Un tas de libertés sont abolies."
Erwan Lecœurà franceinfo
Une situation que réfute Jean-Paul Garraud, qui "refuse de faire la morale au monde entier". "La Hongrie est une démocratie", insiste-t-il. Les cadres du Rassemblement national ont d'ailleurs plusieurs fois confié qu'ils s'inspiraient de ce pays d'Europe centrale. Dans ce type de régime, "une fois le pouvoir acquis, la majorité ne souhaite pas l'abandonner et peut empêcher toute possibilité d'alternance", met en garde le juriste Nicolas Hervieu.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.