Présidentielle : à Lannion, entre dépit et confusion, le "vote utile" profite à Macron
A l'instar de Jean-Yves Le Drian, de nombreux élus socialistes bretons ont annoncé soutenir le leader d'En marche !, provoquant des tensions dans les rangs du PS. A quinze jours du premier tour, franceinfo est allé sur les terres socialistes des Côtes-d'Armor pour prendre la température.
En ce jour anniversaire de la création du mouvement En marche !, le 6 avril 2017, l'austère permanence du Parti socialiste de Lannion a mauvaise mine. Le local est fermé mais, à travers les vitres, on aperçoit quelques tracts de Benoît Hamon et des affiches des campagnes victorieuses du passé en guise de décoration murale. Les visages de Jean-Yves Le Drian et de la députée Corinne Erhel n'ont pas été décrochés. Pourtant, comme de nombreux élus socialistes en Bretagne, ces derniers ont rallié Emmanuel Macron.
Mais dans cette commune des Côtes-d'Armor, qui a voté à près de 70% pour François Hollande en 2012, les militants socialistes ne sont pas insensibles aux charmes de l’ancien ministre de l’Economie. "Plus de 80% des adhérents PS de Lannion ne font pas la campagne de Benoît Hamon, et sur les autres sections alentour, c'est du 50/50, assure Corinne Erhel, députée de la circonscription qui est "en marche" depuis l’été dernier. Beaucoup voteront Macron dès le premier tour".
"Un certain malaise"
Sur le marché de cette petite ville de 20 000 habitants, les militants de la France insoumise et d’En marche ! se répartissent le terrain. Les socialistes ne sont pas encore là. "Ils ne font pas campagne ici. Comme ils ne sont pas du tout hamonistes dans la section, ils sont bien contents de rester en retrait", se moque Xavier, militant socialiste de 61 ans, qui roule pour Macron.
Il faut attendre 11 heures pour voir enfin débarquer des militants avec des tracts de Benoît Hamon. Des hamonistes qui ne viennent pas de Lannion, mais des communes voisines. Ils ne cachent pas leur colère contre les élus bretons "qui ont trahi leur parole", comme le dit Alain Faivre, maire de Trébeurden et représentant local de Benoît Hamon : "C’est de l’opportunisme, ils se sont assis sur un certain nombre de leurs valeurs, pour moi ils ne sont plus de gauche." Corinne Erhel lui répond à distance : "Je reste socialiste et de gauche, mais le PS a arrêté de réfléchir et de travailler depuis trop longtemps".
"On s’est engueulés fort"
Patrice Kervaon, adjoint au maire PS de Lannion, est resté fidèle à Benoît Hamon, mais il avoue "un certain malaise", "une confusion" au sein de sa section : "Certains militants ont fait toutes les campagnes de Corinne Erhel, donc l’affectif et le politique se mélangent." Il rappelle quand même que Benoît Hamon a largement remporté la primaire dans sa commune, avec environ 65% des voix au second tour.
La tension est palpable entre ces socialistes qui ont choisi des voies différentes. Parfois, le ton monte sur les marchés, raconte Jean-Michel Bouriah, référent En marche ! pour Lannion : "Après le ralliement de Le Drian, ils étaient très en colère et assez désagréables." Les réunions socialistes peuvent également tourner au règlement de comptes. "Ma section sur Perros-Guirec est très divisée, on s’est engueulés fort la dernière fois", témoigne Xavier. A Lannion aussi, le dialogue est difficile. Paul Le Bihan, le maire socialiste de la ville, avait soutenu Manuel Valls à la primaire de la gauche, mais il reste en campagne pour Benoît Hamon. Il rapporte le sentiment de certains encartés de sa section : "Beaucoup nous disent que, tout en restant socialistes, ils veulent éviter un duel Fillon-Le Pen."
La question du vote utile joue à fond.
Paul Le Bihanà franceinfo
Entre deux tracts, les mots sont lâchés : "vote utile". Ce concept, hérité du traumatisme socialiste du 21 avril 2002, inonde la campagne et sert d’argument de base aux "marcheurs" d'Emmanuel Macron. "C’est le candidat le plus sérieux pour battre le FN au second tour", martèle Jean-Michel Bouriah. Et l’argument fonctionne pour une partie des électeurs présents sur le marché. "J’ai très peur de madame Le Pen, donc je vais voter pour lui", lance Yvonne.
"Ce sera peut-être notre Justin Trudeau"
"Macron, ce n’est pas le choix du cœur, mais un duel Fillon - Le Pen, ce serait la peste ou le choléra", ajoute Christian. Ce retraité de 68 ans, qui avait voté Hollande en 2012, avoue ne pas vraiment croire en l’ancien ministre de l’Economie, mais espère une bonne surprise : "Il est jeune, ce sera peut-être notre Justin Trudeau à nous. Et puis c’est le seul, selon moi, qui ne veut pas casser l’Europe."
Côté socialiste, sans surprise, l’argument du vote utile donne des boutons. "Le gros problème, ce sont les sondages manipulés. Il faudrait vraiment arrêter avec les enquêtes d’opinion", s’énerve Alain Faivre. Les gens ne savent plus où ils en sont et on joue là-dessus en parlant tout le temps du score du FN." Le maire de Trébeurden tente de renverser l’argument : "Je pense que le danger vient d’un quinquennat Macron, car cela renforcera encore le vote frontiste. Il va naviguer à vue et nous emmener nulle part."
Au second tour, entre Macron et Le Pen, moi je vote blanc. Je ne peux pas voter pour la finance sans programme.
Alain Faivre - mandataire de Benoît Hamonà franceinfo
Electeurs en manque de repères
Dans cette guerre socialiste entre légitimistes et "marcheurs", de nombreux électeurs de gauche s'avouent dépités ou désorientés. "A quinze jours du premier tour, je ne sais toujours pas pour qui voter", avoue Françoise. "J'hésite encore, mais je suis sûre d'une chose : ce sera un vote par dépit", confie Yvelines, 67 ans. "Je suis un peu perdu", concède Manon, "j’hésite entre Macron et Hamon, mais le premier n’est pas de gauche et je ne suis pas favorable au revenu universel du second". Les militants d'En marche ! ont encore bien du mal à susciter un vote d'adhésion. "C'est pour ça que notre présence sur le marché est importante, afin de bien expliquer le programme", concède Jean-Michel Bouriah.
Mais à Lannion, deux dossiers collent à la peau d'Emmanuel Macron : la fusion Alcatel-Nokia et l’extraction de sable dans la baie de Lannion. Pour Alcatel, certains lui reprochent de ne pas avoir empêché l'entreprise de passer sous pavillon finlandais; lui se défend en évoquant la sauvegarde des emplois en France. Pour l'extraction du sable coquillier, une partie des Lannionnais en veulent à Emmanuel Macron d'avoir signé le décret d’exploitation. "C’est compliqué parce que ce n’est pas binaire, oui il a signé le décret, mais il a introduit la nécessité d'un arrêté préfectoral annuel qui a permis de suspendre l’exploitation", assure Corinne Erhel, qui reste farouchement opposée à ce projet minier.
Ah non ! Pas l'ami des banques ! On a vu ce qu'il donnait avec l'extraction de sable.
Un passant, sur le marché de Lannionà franceinfo
Après la présidentielle, les divisions socialistes risquent de reprendre de plus belle dans la circonscription de Lannion. Corinne Erhel, qui a pourtant été réinvestie par les militants socialistes pour les législatives, devrait se voir retirer l’investiture au profit d’un candidat EELV, qui sera alors officiellement soutenu par le PS. "Le Parti socialiste est en train de se crisper, il faut vraiment qu’il se transforme après l’élection pour devenir un mouvement progressiste", juge Corinne Erhel. "Il faut changer le PS et refonder un mouvement autour de Benoît Hamon après la présidentielle", estime Alain Faivre. Transformer le PS : "marcheurs" comme socialistes sont au moins d’accord sur ce point.
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