Présidentielle : ce qu'il faut retenir du premier débat de la primaire des écologistes
Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Eric Piolle et Sandrine Rousseau ont échangé pendant près de deux heures pour tenter de convaincre les sympathisants écologistes.
"J'appelle les Français à s'emparer de cette primaire, à s'emparer de l'écologie", a lancé Yannick Jadot, dimanche 5 septembre, lors du premier débat de la primaire écologiste diffusé sur France Inter et franceinfo. Les cinq candidats en lice ont échangé pendant près de deux heures, en évitant de s'attaquer frontalement. "Je ne participerai pas à nous abîmer collectivement avec une primaire où les phrases assassines prendraient le dessus", a d'ailleurs prévenu Yannick Jadot. Les cinq prétendants ont plutôt misé sur leurs propositions pour tenter de convaincre les sympathisants écologistes.
Le sujet de la décroissance
"Le vote de la primaire est un vote pour ou contre la décroissance", a assuré Delphine Batho. L'ancienne ministre de l'Ecologie a tenté à plusieurs reprises de ramener le débat sur le sujet de la décroissance, concept qu'elle porte dans cette campagne. Face au changement climatique, "nous sommes dans une situation d'urgence dont il faut tirer les conséquences", a expliqué Delphine Batho. Elle prône donc une "politique de décroissance" qui "améliore le bien-être humain".
La candidate n'est pas rentrée dans les détails pratiques car elle compte co-construire son programme avec les citoyens si elle gagne la primaire. Mais, selon elle, la France doit abandonner "l'obsession pour la croissance du PIB" pour "désormais baser ses politiques publiques sur d'autres objectifs : la pleine santé, la lutte contre la pauvreté, le niveau d'éducation, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la régénération de la biodiversité".
"L'obsession de la croissance économique est ce qui est opposé depuis des décennies à toute décision pour le climat, pour le vivant, pour la santé. Ce logiciel-là est épuisé."
Delphine Bathosur France Inter et franceinfo
Les autres candidats ont tous insisté sur l'urgence environnementale, mais n'ont pas repris le concept de décroissance à leur compte. "Je n'aurais pas employé le mot décroissance, parce qu'effectivement il est peu audible pour les dix millions de Français qui sont sous le seuil de pauvreté, a notamment répondu Jean-Marc Governatori. Mais oui, il est indispensable de revoir nos modes de vie."
La laïcité
Tous les candidats se sont levés pour défendre "le droit au blasphème", sauf Jean-Marc Governatori qui a notamment critiqué les déclarations faites par Emmanuel Macron au Liban sur "la liberté de blasphémer". "Un président est là pour apaiser, pas pour provoquer", a-t-il estimé. "Le droit au blasphème ne se discute pas, lui a répondu Sandrine Rousseau. Il n'y a même pas débat. On a le droit de se moquer de toutes les religions."
Plus globalement, le sujet de la laïcité a été longuement abordé par les candidats. "Je suis en colère contre tous ceux qui utilisent la laïcité comme vecteur de discrimination", a notamment estimé Eric Piolle en critiquant la campagne de communication du gouvernement qui doit être diffusée dans les établissements scolaires. "On a une loi de 1905 qui nous permet de régler le problème, en quoi on a besoin de revoir cette loi ?" a poursuivi Sandrine Rousseau, avant d'évoquer le sujet du voile. "Le centre du droit des femmes, c'est de disposer de son corps."
"On ne fait pas de l'émancipation par de l'interdiction sur le corps des femmes, pas plus sur des crop-tops que des voiles."
Sandrine Rousseausur France Inter et franceinfo
La déclaration a provoqué la réprobation de Delphine Batho : "Je considère qu'il y a un combat à mener contre le terrorisme islamiste et je considère que la loi qui a interdit le voile à l'école (...) a contribué à l'émancipation des filles." Sandrine Rousseau a assuré qu'elle ne reviendrait pas sur cette loi en cas de victoire à la présidentielle, mais a estimé que l'enjeu de l'émancipation des femmes passe "par une inclusion dans la société".
La sortie du nucléaire
Yannick Jadot a défendu la sortie du nucléaire à un horizon de quinze à vingt ans. "Nous sommes des écologistes responsables. Être responsable vis-à-vis du nucléaire, c'est s'organiser pour éviter la catastrophe", a dit le candidat en citant la catastrophe de Fukushima et l'enfouissement de déchets nucléaires à Bure (Meuse). Tout en sortant du nucléaire, l'eurodéputé souhaite "déployer des énergies renouvelables" et "investir massivement dans l'efficacité énergétique". "Dépendre du soleil, du vent, de la géothermie, dépendre de nos déchets, des énergies marines, c'est quand même mieux que de dépendre de Poutine, des pétromonarchies du Golfe ou de l'importation d'uranium du Niger", a déclaré Yannick Jadot.
"Il faut enclencher le processus" de sortie du nucléaire, juge également Jean-Marc Governatori. Mais "on ne peut pas dire quand" la France pourra abandonner ce modèle énergétique, nuance-t-il, "ça peut être dans dix ans, ça peut être trente ans".
Interrogé sur le risque de perdre les 220 000 emplois liés à la filière nucléaire, Eric Piolle a mis en avant les emplois créés par la transition énergétique, dont il estime le nombre à 1,5 million. Sandrine Rousseau a dénoncé de son côté la construction de l'EPR de Flamanville, dans la Manche, un réacteur de troisième génération qui est pour elle "une hérésie, une absurdité", notamment en raison de son coût. "On était partis sur le coût de l'EPR à 3 milliards d'euros. On va arriver probablement à 19 milliards d'euros."
Le financement de la transition écologique
Les candidats ont été interrogés sur leurs solutions pour financer la transition écologique et ont parfois été flous dans leur chiffrage. Delphine Batho a ainsi refusé de détailler ses chiffres, estimant que son programme devrait être construit avec les citoyens après la primaire. "Mais il est possible de trouver des marges de manœuvre économique", a estimé cette apôtre de la décroissance. Elle a notamment évoqué les "8 à 9 milliards" de financements dédiés à la Politique agricole commune.
Pour trouver des sources de financement, Sandrine Rousseau propose une mesure fiscale en augmentant le prix de la tonne de carbone qui porterait sur les entreprises. "Le carbone est aujourd'hui gratuit (...) Il faut absolument rendre ce qui nous met en danger payant, entre 200 et 250 euros la tonne sur les cinq ans, estime la candidate. Je sais, ça ne va pas être agréable."
A plusieurs reprises, les candidats ont assuré que la transition écologique s'accompagnerait de justice sociale et d'une réduction des inégalités. Eric Piolle propose ainsi un "ISF climatique" pour "taxer les plus pollueurs des particuliers". "Il nous faut faire payer ce qui est nuisible pour l'environnement", a-t-il estimé, sans rentrer plus dans les détails de cette mesure. Sur la dette, le maire de Grenoble a assuré qu'il n'était pas question de l'annuler. "Nous saurons trouver l'argent pour la transition énergétique dans la justice sociale", a-t-il assuré.
Un changement de gouvernance
Les candidats écologistes ont tous exprimé des souhaits de changement dans la gouvernance et les institutions françaises. Interrogé sur la nécessité d'une gestion verticale en période de crise sanitaire, Eric Piolle a estimé que l'Allemagne s'en sortait mieux que la France avec une gouvernance plus collective. "Nous avons aujourd'hui en France 30 000 morts de plus, a-t-il déclaré. Il y a eu un retard dans la prise de décision." En cas d'arrivée à l'Elysée, le maire de Grenoble propose un référendum afin d'instaurer la proportionnelle aux législatives et le référendum d'initiative citoyenne.
"Un homme politique n'a pas à dire : 'Allez-vous faire vacciner', la seule personne en France qui peut le faire, c'est le médecin", a déclaré de son côté Jean-Marc Governatori. Le candidat était interrogé sur ses propos polémiques concernant le vaccin, mais il n'est pas revenu dessus. Il a préféré détailler son projet de réforme constitutionnelle avec l'installation d'un triumvirat de Premiers ministres.
De son côté, Yannick Jadot a proposé "de mettre de la démocratie partout", avec une nouvelle phase de décentralisation, des référendums d'initiative locale, des conférences citoyennes. Delphine Batho a rappelé son souhait "d'abolir le présidentalisme" : "La France entrera dans l'ère des démocraties modernes, qui reposent sur un régime primo-ministériel avec un Parlement qui est souverain. (…) Il faut abattre la verticalité patriarcale de la Ve République." "La Ve République est arrivée à bout de souffle", estime également Sandrine Rousseau. Elle souhaite renforcer les moyens de la justice et la presse, "deux contre-pouvoirs qui ont été bien abîmés pendant ce mandat".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.