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Vrai ou faux Débat de la présidentielle : on a vérifié 12 affirmations d'Emmanuel Macron et Marine Le Pen

Article rédigé par franceinfo - Nicolas Carvalho, Alice Galopin, Vincent Matalon, Aurore Teboul, Joanna Yakin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Emmanuel Macron et Marine Le Pen débattent avant le second tour de la présidentielle, le 20 avril 2022, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). (ALINE MORCILLO / HANS LUCAS / AFP)

Au cours de leur duel télévisé, mercredi soir, les candidats ont manipulé les chiffres et les faits récents ou plus anciens. Franceinfo s'est assuré de leur véracité.

Près de trois heures d'échanges, huit thèmes programmés, quelques invectives et des chiffres en pagaille. Le débat de l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle, qui a opposé mercredi 20 avril au soir Emmanuel Macron à Marine Le Pen, a été l'occasion pour les deux candidats de confronter leurs projets pour la France.

>> Débat de la présidentielle : ce qu'il faut retenir du duel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron

Au cours de leurs échanges, le président sortant et la prétendante à l'Elysée n'ont pas hésité à faire appel à des chiffres ou des faits d'actualité passés pour appuyer leur propos. Franceinfo a vérifié 12 affirmations des deux finalistes pour vous aider à y voir plus clair.

1Les pensions de retraites n'ont pas été indexées sur l'inflation durant le quinquennat, selon Marine Le Pen : plutôt vrai

"L'indexation des [pensions de] retraites n'a pas été respectée lors des cinq dernières années."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Interrogée sur le dossier des retraites, Marine Le Pen a plaidé pour une revalorisation des pensions, estimant que "l'indexation des retraites n'a pas été respectée", au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron. La loi prévoit depuis trente ans que les pensions de base doivent être indexées sur l'inflation, donc revalorisées en fonction de la hausse des prix. Mais en pratique, plusieurs gouvernements ont choisi de contourner cette loi via la loi de finances de la Sécurité sociale, votée chaque année. Cela permet de sous-indexer les retraites, comme cela a été le cas lors du quinquennat d'Emmanuel Macron. En 2019, par exemple, les retraites n'ont été augmentées que de 0,3%, alors que l'inflation était de 1,8%. 

2Le Rassemblement national a voté contre le "bouclier énergétique" à l'Assemblée, assure Emmanuel Macron : vrai

"Face aux prix de l'énergie, nous avons fait le bouclier qui consistait à bloquer les prix de l'électricité et du gaz. (...) Vous aviez voté contre ce bouclier énergétique !"

Emmanuel Macron

lors du débat de l'entre-deux-tours

Lors du premier thème abordé dans ce débat, le pouvoir d'achat, Emmanuel Macron a accusé Marine Le Pen d'avoir voté à l'Assemblée nationale contre l'instauration du "bouclier tarifaire" visant à contenir la hausse des prix de l'énergie. La députée et candidate du RN a effectivement voté contre le "volet recettes" du projet de loi de finances 2022, qui contenait cette mesure, lors de la première lecture du texte, le 19 octobre dernier. Vous pouvez le constater sur le site de l'Assemblée nationale (parmi les députés non inscrits). La candidate d'extrême droite n'était pas présente dans l'hémicycle lors du vote définitif sur le projet de loi de finances, le 15 décembre. Les autres députés de son parti ont voté contre.

3Environ "1,2 million" de personnes "ont retrouvé un travail" durant le quinquennat, selon Emmanuel Macron : vrai

"C'est 1,2 million de Françaises et Français qui ont retrouvé un travail."

Emmanuel Macron

lors du débat de l'entre-deux-tours

Entre janvier 2017 et septembre 2021, environ 1,03 million d'emplois salariés ont été créés, malgré la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19, qui a provoqué la destruction de centaines de milliers d'emplois en 2020. Si on ajoute les 246 000 emplois non-salariés créés entre 2017 et 2020, selon l'Insee, on arrive bien au chiffre de 1,2 million d'emplois créés évoqué par Emmanuel Macron.

4L'inflation est supérieure d'un point à la croissance, d'après Marine Le Pen : plutôt vrai

"L'inflation est supérieure d'un point à la croissance."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Sur le pouvoir d'achat, Marine Le Pen a défendu sa proposition de supprimer la TVA sur un panier de biens de première nécessité, tant que l'inflation est supérieure d'un point à la croissance. Des conditions que la candidate juge réunies. Elle ne s'appuie pas sur des chiffres relevés, mais sur des prévisions de la Banque de France pour l'année 2022. Celle-ci projette, dans son "scénario dégradé", une croissance de 2,8% cette année et des prix à la consommation en hausse de 4,4%. Si ces prévisions se vérifient (en mars, l'inflation en France a bondi de 4,5% sur un an), l'ordre de grandeur donné par Marine Le Pen est donc inférieur à la réalité dans le contexte actuel.

5Le RN n'a pas voté l'aide à l'Ukraine au Parlement européen, assure Emmanuel Macron : vrai

"Les positions de madame Le Pen ne correspondent pas aux positions que votre parti et vos parlementaires défendent au Parlement européen. Comme l'aide à l'Ukraine, à laquelle vous vous êtes opposés."

Emmanuel Macron

lors du débat de l'entre-deux-tours

Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont affrontés sur la question du vote des élus du Rassemblement national au Parlement européen. Le président sortant a assuré que les eurodéputés RN se sont "opposés" à une aide financière à l'Ukraine. La candidate d'extrême droite a assuré que c'était "faux". Pourtant, le chef de l'Etat dit vrai.

Le président-candidat a fait référence au prêt de 1,2 milliard d'euros à l'Ukraine approuvé par le Parlement européen, voté le 16 février dernier. Dans son rapport daté du même jour, le Parlement européen liste l'ensemble des votes. Sous la proposition "assistance macrofinancière à l'Ukraine" (pages 12-13), le détail des votes confirme que les membres du groupe ID (Identité et Démocratie), auquel appartient le RN, ont voté contre la proposition d'aide financière à l'Ukraine. Jordan Bardella, Dominique Bilde ou encore Thierry Mariani se sont bien opposés à cette proposition.

6Le RN a contracté un prêt auprès d'une banque russe, lance Emmanuel Macron : vrai 

"Parce que vous dépendez du pouvoir russe et que vous dépendez de Poutine. Parce que quelques mois après avoir dit cela, madame Le Pen, vous avez contracté un prêt en 2015 auprès d'une banque russe, la First Czech-Russian Bank, proche du pouvoir, en septembre 2014. Puis vous avez reboutiqué ce prêt auprès d'autres acteurs."

Emmanuel Macron

lors du débat de l'entre-deux-tours

Sur la guerre en Ukraine, Emmanuel Macron a tenté de pointer les ambiguïtés de sa rivale face à la Russie, assurant que Marine Le Pen "dépend" de Vladimir Poutine. Ce prêt évoqué par le président-candidat a effectivement été contracté, mais Marine Le Pen réfute tout lien entre l'existence de ce contrat et ses positions vis-à-vis de la Russie.

Pour financer la campagne des régionales et départementales en 2015, le Front national, depuis devenu Rassemblement national, a bien contracté en 2014 un prêt de 9 millions auprès de la First Czech-Russian Bank (FCBR). Le parti doit rembourser cet emprunt jusqu'en 2028. Or, la FCBR a fait faillite en 2016. La créance a donc été cédée à une entreprise russe de location de voitures, Conti, puis revendue à Aviazaptchast, firme dirigée par d'anciens militaires russes.

Marine Le Pen et son parti assurent cependant que ce prêt n'a aucune incidence sur ses relations avec la Russie. La candidate affirme n'avoir eu d'autre choix que de bénéficier de financements étrangers, en raison des difficultés à obtenir des prêts auprès des banques françaises, rappelle Le Monde (article abonnés).

7600 milliards de dette publique supplémentaire sous le quinquennat d'Emmanuel Macron, dont "deux tiers" non liés à la crise sanitaire, selon Marine Le Pen : en partie vrai

"Vous êtes le président qui a créé 600 milliards de dette supplémentaire en cinq ans, dont deux tiers qui n'ont rien à voir avec le Covid."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Marine Le Pen a taclé Emmanuel Macron sur sa gestion des finances publiques, fustigeant la très forte augmentation de la dette publique pendant son quinquennat.

La dette est passée de 2 231,7 milliards d'euros à la fin du deuxième trimestre 2017, qui correspond au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, à 2 813,1 milliards d'euros à la fin du quatrième trimestre 2021, selon l'Insee. Soit 581,4 milliards d'euros de plus. Au cours des débats à l'Assemblée sur le budget 2022, le montant de 680 milliards d'euros de dette publique sur la durée du quinquennat a été avancé par plusieurs députés. 

Selon l'estimation du gouvernement, reprise par la Cour des comptes, la dette Covid de l'Etat s'élève à 165 milliards d'euros. A cela peut s'ajouter la baisse des recettes publiques imputable au repli du PIB durant la crise sanitaire. Celle-ci est estimée à 160 milliards d'euros, explique Libération. Au total, quelque 325 milliards de dette publique seraient donc liés, directement ou indirectement, à la crise du Covid-19. Ce qui signifie que moins de la moitié de la dette contractée depuis 2017 n'est pas liée à la crise sanitaire, et non deux tiers, comme l'affirme Marine Le Pen.

8Le chômage n'a pas "spectaculairement" baissé durant le quinquennat, selon Marine Le Pen : en partie vrai

"En réalité les chiffres du chômage, c'est-à-dire les chômeurs [dans les catégories] A, B et C étaient 5,5 millions quand vous avez été élu. Ils sont 5,4 millions [aujourd'hui]. Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous n'avez pas spectaculairement fait baisser le chômage."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Marine Le Pen a attaqué Emmanuel Macron sur son bilan dans la lutte contre le chômage. Elle comptabilise l'ensemble des inscrits à Pôle emploi, et pas seulement les chômeurs sans activité (catégorie A). En suivant ce mode de calcul, elle a plutôt raison. En mai 2017, quand Emmanuel Macron a débuté son mandat, les chômeurs des catégories A, B et C étaient 5 560 800 en France hexagonale, selon la Dares. Au dernier trimestre 2021, selon les derniers chiffres de la Dares, ils étaient 5 658 900. Soit 98 100 de plus. Le nombre de chômeurs sans activité (catégorie A) a toutefois diminué de plus de 370 000 en cinq ans, mais si on ajoute les emplois précaires, cette baisse doit être nuancée.

Emmanuel Macron réplique que "personne" n'inclut dans ce calcul "les catégories B et C", car celles-ci renvoient à des personnes ayant une activité partielle. Ce dernier a raison sur ce point : la plupart des pays se basent effectivement sur les normes du Bureau international du travail (BIT), un organisme international, pour comparer leurs taux de chômage. En France, c'est ce que fait l'Insee. Dans son "enquête emploi" réalisée chaque trimestre, l'Insee considère comme chômeur toute personne qui n'a pas travaillé du tout au cours d'une semaine spécifique, qui a effectué des démarches actives de recherche d'emploi et se dit disponible pour travailler dans les deux semaines qui viennent. Cela ne comprend donc pas les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi en catégorie B et C, qui ont eu une activité réduite durant le mois. 

9Les importations "représentent 50% des émissions de gaz à effet de serre", selon Marine Le Pen : plutôt vrai

"C'est le modèle économique fondé sur le libre-échange qui est responsable d'une grande partie de l'émission des gaz à effet de serre en France, 50%. Donc, on ne peut pas sérieusement dire qu'on va s'attaquer à ce problème en refusant de regarder que c'est les importations qui représentent 50% de ces gaz à effet de serre."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Le Haut Conseil pour le climat considérait en 2020 que, sur les 11,5 tonnes d'équivalent CO2 émises annuellement par chaque Français, 6,4 tonnes étaient importées, c'est-à-dire émises à l'étranger dans le cadre de la production de biens ou de services importés en France, d'après les derniers chiffres en date, remontant à 2018. 

10Emmanuel Macron veut "mettre des éoliennes sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet", affirme Marine Le Pen : faux

"J'ai rencontré les pêcheurs, ils sont tous vent debout. Je crois que vous voulez mettre des éoliennes sur toutes les côtes, sauf en face du Touquet. Tous ont été actés, sauf celui en face du Touquet."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Marine Le Pen a accusé Emmanuel Macron de vouloir installer des éoliennes en mer sur toutes les côtes françaises, sauf dans la commune du Touquet (Pas-de-Calais), où se trouve la résidence secondaire du couple présidentiel. La candidate du RN assure par ailleurs que "cinquante" projets seront lancés en ce sens. Des accusations infondées.

Un projet d'éolienne en mer entre Le Touquet et Berck, amorcé sous le mandat de François Hollande, a bien été suspendu en août 2017, notamment face à l'opposition de militants de La République en marche. La décision du préfet d'enterrer le projet s'est fondée sur une consultation publique. Or, celle-ci s'est achevée le 3 mai 2017, soit avant le second tour de l'élection présidentielle qui a permis à Emmanuel Macron d'accéder à l'Elysée.

Le nombre de projets d'éoliennes en mer est par ailleurs loin des "cinquante" mentionnés par Marine Le Pen. Le site du ministère de la Transition écologique en liste sept en développement, en mer du Nord, Manche et Atlantique. Plus précisément, au large de Dunkerque, Dieppe, Fécamp, Saint-Brieuc, Saint-Nazaire ou encore Noirmoutier, notamment. Les mises en service sont prévues pour 2023, 2027 ou 2030.

11 Neuf obligations de quitter le territoire sur dix ne sont pas appliquées, selon Marine Le Pen : plutôt vrai

"Il n'y a que 10% d'exécution des obligations de quitter le territoire."

Marine Le Pen

lors du débat de l'entre-deux-tours

Marine Le Pen a taclé Emmanuel Macron sur sa politique migratoire. Cet ordre de grandeur est vrai, mais il doit tout de même être mis en perspective.

Dans son volet "immigration, asile et intégration", le dernier projet de loi de finances évoque des "taux d'exécution des décisions d'éloignement qui demeurent minimes". En 2019, année la plus récente hors crise sanitaire, sur 122 839 obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées, 14 777 seulement ont été exécutées. Soit 12%. A titre de comparaison, le taux de d'exécution s'élevait à 16,7% en 2011 et avait atteint un pic à 22,3% en 2012. A noter qu'entre 2011 et 2019, le nombre d'OQTF prononcées a plus que doublé.

12Les violences intrafamiliales comptent pour "80%" de la hausse des faits constatés depuis cinq ans, selon Emmanuel Macron : vrai

"Je dis qu'à 80%, les chiffres qu'il y a derrière ces augmentations, ce sont ces violences intrafamiliales."

Emmanuel Macron

lors du débat d'entre-deux-tours

En 2017, au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, 233 600 faits de coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus ont été constatés par la police ou la gendarmerie, d'après le dernier état des lieux sur la délinquance du ministère de l'Intérieur. En 2021, gendarmes et policiers en ont dénombré 306 700. Soit 73 100 de plus en cinq ans.

Parmi ces faits constatés, les forces de l'ordre ont comptabilisé 100 500 cas de violences intrafamiliales en 2017, puis 157 500 en 2022. Soit 57 000 de plus au cours de la même période.

Les violences intrafamiliales ont donc représenté près de 78% de la hausse globale des faits de coups et blessures volontaires constatés par la police et la gendarmerie entre 2017 et 2021. Une statistique très proche de celle citée par Emmanuel Macron.

Lors de la publication de ces chiffres, en janvier, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, reprenait la même argumentation que celle du chef de l'Etat, expliquant que ces "tendances s'inscrivent dans le contexte de la libération de la parole et de la meilleure prise en considération de ce sujet par les forces de l'ordre".


Dans une première version de cet article, franceinfo donnait tort à Emmanuel Macron sur ce dernier point. La rédaction a rectifié cette erreur d'analyse.

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