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Présidentielle 2022 : on a passé au crible les propositions pour le pouvoir d'achat d'Emmanuel Macron et Marine Le Pen

Article rédigé par Alice Galopin - Pierre Angrand-Benabdallah
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Franceinfo a décortiqué les mesures de pouvoir d'achat proposées par Emmanuel Macron et Marine Le Pen. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Avec l'aide de quatre économistes, franceinfo a décrypté l'impact, la faisabilité et le coût des promesses des deux finalistes de l'élection présidentielle en matière de pouvoir d'achat.

Des promesses pour tenter de répondre à la principale préoccupation des Français. En plein sprint final pour l'élection présidentielle, Marine Le Pen et Emmanuel Macron misent sur les questions de pouvoir d'achat, alors que l'inflation grimpe depuis plusieurs mois.

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Prix des carburants et de l'alimentaire, coups de pouce pour les salaires, revalorisation des pensions de retraite… A l'approche du second tour, franceinfo s'est penché sur les principales mesures proposées par les deux candidats pour garantir le pouvoir d'achat des ménages. Avec l'aide de quatre économistes, nous avons décrypté leur impact, leur faisabilité et leur coût.

Sur les prix de l'énergie et de l'alimentation

• Marine Le Pen veut "baisser la TVA de 20% à 5,5%" sur les produits énergétiques, notamment les carburants.

Cette baisse représenterait un gain de pouvoir d'achat pour des millions d'automobilistes, mais elle souffre d'un défaut important : elle n'est pas ciblée. "On subventionne des ménages aisés qui sont fortement consommateurs de carburant parce qu'ils ont des gros véhicules et on n'aide pas forcément que les plus pauvres", explique Mathieu Plane, économiste à l'OFCE, centre de recherche en économie rattaché à Sciences-Po Paris. L'autre défaut majeur de cette baisse de taxe réside dans son coût : 12 milliards d'euros par an, selon Marine Le Pen. "Alors qu'avec 10 milliards, par exemple, on pourrait doubler la prime d'activité, ce qui serait plus juste et plus efficace", analyse Xavier Timbeau, directeur de l'OFCE. Enfin, les experts interrogés pointent l'incompatibilité de cette mesure avec la transition écologique.

• Emmanuel Macron promet de "maintenir le bouclier énergétique sur le gaz et l'électricité" et "la ristourne de 18 centimes à la pompe" si les prix continuent de monter.

Même si ces mesures participent à réduire l'impact de la hausse des prix de l'énergie pour les consommateurs, elles manquent aussi de ciblage. Ces dispositifs ne sont pas non plus sans conséquence pour les finances publiques. "Entre le blocage des prix de l'électricité et du gaz et la remise sur le prix du litre d'essence, à peu près 30 milliards d'euros ont été consacrés à la hausse de l'énergie" depuis l'automne, détaille Xavier Timbeau. Du point de vue des enjeux écologiques, la mesure d'Emmanuel Macron n'est que "temporaire", "alors que la baisse de taxe de Marine Le Pen va durablement augmenter la consommation d'énergie", selon Hippolyte d'Albis, directeur de recherche au CNRS et coprésident du Cercle des économistes.

• Marine Le Pen veut supprimer la TVA sur une "centaine de produits de première nécessité". Cette mesure s'appliquerait "tant que l'inflation sera supérieure d'un point à la croissance" et serait financée par une taxe sur les rachats d'actions.

"Il est vrai que le poids des biens de première nécessité est plus important dans le budget des plus modestes", souligne Mathieu Plane. Il est cependant compliqué d'évaluer le gain pour les consommateurs d'une suppression de la TVA, car la liste des produits concernés n'est pas finalisée. Marine Le Pen a évoqué sur BFMTV "le sel, le poivre, l'huile, les pâtes, les serviettes hygiéniques, les couches". Or,la plupart de ces articles bénéficient déjà d'une TVA à 5,5%. L'efficacité de cette mesure dépendrait aussi "du comportement des producteurs", qui pourraient profiter de la suppression de la taxe pour augmenter leurs prix, expose Brice Fabre, économiste à l'Institut des politiques publiques. Enfin, le manque à gagner pour les finances publiques pourrait être conséquent. La TVA représente plus de 38% des recettes fiscales de l'Etat. Compenser la suppression de cette taxe sur les produits essentiels par une taxe sur le rachat d'actions par les entreprises apparaît "extrêmement simpliste", embraye Mathieu Plane : "Les entreprises vont modifier leur comportement pour éviter de payer cette taxe et vont préférer verser des dividendes."

• Emmanuel Macron propose un "chèque alimentaire" pour les plus modestes.

Difficile d'évaluer cette mesure car ni le montant ni les ménages concernés ne sont connus. L'équipe du candidat assure cependant que ce "chèque alimentaire" permettra d'acheter des "produits bios et locaux" qui sont parfois "inaccessibles pour les familles précaires".

Sur les pensions de retraite

• Les deux candidats défendent une revalorisation des pensions des petites retraites. Emmanuel Macron souhaite porter "la pension minimale à taux plein à 1 100 euros par mois". Marine Le Pen entend "augmenter les petites retraites", pour qu'"aucune ne soit en dessous de 1 000 euros", précise son entourage.

Actuellement, la retraite minimale pour une carrière complète s'élève en moyenne à 950 euros, explique Capital. Les propositions des deux candidats passeraient notamment par la revalorisation d'un mécanisme complexe, appelé le minimum contributif (Mico), détaille le magazine économique. Ce dispositif s'adresse aux retraités du régime général qui peuvent bénéficier d'un régime à taux plein – soit en ayant cotisé suffisamment, soit en partant à la retraite à 67 ans, soit via un dispositif dérogatoire –, mais dont la pension est faible. Le montant du Mico ne peut dépasser 713 euros par mois. Des points de retraite complémentaire permettent d'augmenter d'un tiers environ ce montant.

• Marine Le Pen veut porter le "minimum vieillesse", devenu Allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) en 2006, "à 1 000 euros par mois".

Cette allocation ne dépend pas de la carrière et est destinée aux personnes de plus de 65 ans qui n'ont pas ou peu de revenus. Emmanuel Macron l'avait déjà augmentée de 100 euros durant son quinquennat. Son montant maximum est désormais de 916 euros pour une personne seule. La nouvelle hausse promise par Marine Le Pen paraît "finançable" pour les économistes interrogés.

• Marine Le Pen promet de réindexer les pensions sur l'inflation "pour un pouvoir d'achat respectueux d'une vie de travail". Emmanuel Macron s'est engagé sur une mesure similaire qui interviendrait "dès cet été".

En théorie, la loi prévoit déjà l'indexation des pensions sur l'évolution des prix à la consommation. En pratique, ce dispositif a été régulièrement contourné, avec des années où les pensions ont été gelées. "L'indexation sur l'inflation n'est donc pas une nouvelle mesure, c'est simplement revenir à la solution par défaut", relève Brice Fabre. Par ailleurs, corréler le montant des pensions à la courbe des prix ne permet pas en soi d'augmenter le pouvoir d'achat des retraités, mais uniquement de le maintenir. Pour l'améliorer, plusieurs spécialistes évoquent plutôt un retour à l'indexation sur les salaires, en vigueur jusqu'en 1987. Car hors période exceptionnelle d'inflation significative, "les salaires réels augmentent plus vite que les prix, donc le niveau de vie des retraités par rapport aux actifs diminue", rappelle Mathieu Plane.

Sur les salaires

• Marine Le Pen souhaite inciter les entreprises à augmenter de 10% les salaires inférieurs à trois fois le montant du smic en exonérant cette hausse de cotisations patronales.

L'effet incitatif de cette proposition, qui vise à rendre les augmentations de salaires plus avantageuses pour les entreprises, est contesté par plusieurs observateurs. L'Institut Montaigne, groupe de réflexion libéral, considère que cette exonération créerait avant tout un effet d'aubaine : elle profiterait aux entreprises qui avaient déjà prévu d'augmenter les salaires sans entraîner de nouvelles augmentations. "C'est une mesure qui va totalement dépendre du comportement des entreprises", confirme Brice Fabre. "C'est une incitation qui a des avantages, mais il faut réfléchir au manque à gagner qu'elle crée pour les cotisations sociales", embraye Xavier Timbeau. "Si cette exonération n'est pas compensée, il faudra augmenter les impôts et donc reprendre d'une main ce qu'on donne de l'autre", signale l'économiste.

•  Emmanuel Macron veut baisser les charges pour les indépendants et surtout tripler la prime dite "Macron" versée aux salariés par les entreprises. Elle serait ainsi portée jusqu'à 6 000 euros par an, sans cotisations ni impôts.

Le triplement de la prime, versée depuis 2019, peut aussi engendrer des effets d'aubaine. Même en l'absence de cette mesure, des entreprises "auraient sans doute versé, sous une forme différente, au moins une partie du montant de cette prime", constatait l'Insee dans une note publiée 2020. Par ailleurs, elle avait alors été surtout distribuée dans les grandes entreprises et moins dans les petits établissements. Le renforcement de cette prime pourrait également réduire la stabilité de la rémunérations des salariés, avertit Brice Fabre : "Si vous recevez moins de salaire brut et plus de prime, votre rémunération devient potentiellement moins stable et moins protectrice."

Sur les minimas sociaux et les prestations sociales

• Emmanuel Macron veut réduire la pauvreté en instaurant la "solidarité à la source", c'est-à-dire en versant automatiquement les aides et les allocations à ceux qui y ont droit.

Le non-recours aux prestations est effectivement une réalité. Par exemple, en 2018, un tiers des foyers éligibles au RSA n'en faisait pas la demande (PDF). Les économistes interrogés par franceinfo jugent que cette mesure va dans le bon sens. "C'est une façon de redonner du pouvoir d'achat aux personnes les plus démunies et les plus éloignées du système administratif", explique Hippolyte d'Albis. Certains s'interrogent cependant sur la complexité de la mise en place d'un tel système, qui plus est avec la proposition d'Emmanuel Macron de conditionner le RSA à une activité d'insertion"Cela nécessitera une évaluation de la situation de la personne. Ça ne pourra donc pas se faire de manière totalement automatique", souligne Brice Fabre.

• Marine Le Pen souhaite mener une politique nataliste, en augmentant notamment le plafond de l'allocation de soutien familial (ASF) pour les parents qui élèvent seuls leur enfant. Pour financer ces dépenses, la candidate entend économiser plus de 15 milliards d'euros sur le quinquennat en réservant "les aides sociales aux Français".

Les plus de 15 milliards d'euros escomptés reposent sur une estimation invérifiable, puisque les statistiques en question ne sont pas publiques. La "priorité nationale" pour les prestations familiales rentrerait également en contradiction avec plusieurs conventions internationales sur les droits humains, estiment plusieurs juristes auprès du Monde (article abonnés). Avec le programme de Marine Le Pen, les étrangers "qui travaillent, paient des impôts et des cotisations n'auraient pas le droit aux prestations, selon Xavier Timbeau. C'est un projet très radical qui placerait des gens dans une situation de grande pauvreté".

Sur la fiscalité

• Marine Le Pen promet d'exonérer d'impôt sur le revenu "tous les moins de 30 ans", indépendamment de leurs ressources. Une mesure qui permettrait "d'améliorer leur niveau de vie" et de dissuader les jeunes de s'installer à l'étranger.

"Le revenu moyen des 18-25 ans (7 490 euros par an) est tellement bas que, dans leur immense majorité, ils ne sont pas assujettis" à l'impôt sur le revenu, analyse la fondation Terra Nova. Les 26-30 ans sont eux exposés "à une pression fiscale très faible dans la majorité des cas", ajoute ce groupe de réflexion proche de la gauche. Une exonération pour les moins de 30 ans bénéficierait donc davantage aux jeunes actifs les plus aisés. "C'est une fausse bonne idée, juge Mathieu Plane. Ce ne sont pas ces jeunes-là qui ont besoin d'être aidés." L'économiste pointe également les limites du critère de l'âge : "Un technicien de 40 ans qui gagne 2 000 euros paiera l'impôt sur le revenu alors qu'un jeune cadre dans la finance ne sera pas taxé ? Ça n'a pas beaucoup de sens en termes de justice sociale." Accorder un régime préférentiel sur la base de l'âge et non des revenus pourrait contrevenir au principe d'égalité devant l'impôt. Cette mesure apparaît donc difficilement faisable d'un point de vue constitutionnel, selon l'Institut Montaigne.

• Emmanuel Macron veut permettre aux couples en union libre de payer moins d'impôts en mutualisant leur déclaration, ce qui est aujourd'hui réservé aux ménages mariés ou pacsés.

Environ un couple sur cinq vit en union libre, selon l'Insee. "Cette proposition a ceci de progressiste qu'elle reconnaît les couples vivant en union libre et aligne leur régime fiscal sur celui des couples mariés et pacsés", analyse l'OFCE. Toutefois, elle "conduirait à réduire les recettes fiscales d'environ 800 millions d'euros par an, dont 44% reviendraient à des couples faisant partie des 20% des ménages les plus riches", souligne l'organisme.

• Emmanuel Macron et Marine Le Pen proposent tous deux de supprimer la "redevance télé", fixée à 138 euros par an (88 euros en outre-mer) pour les foyers qui possèdent une télévision.

Les économistes s'interrogent sur la contrepartie de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, payée par près de 23 millions de foyers, selon le Sénat. Si Marine Le Pen prévoit de privatiser une grande partie de l'audiovisuel public, du côté d'Emmanuel Macron, son entourage assure que l'Etat continuera de le financer. Les "3,9 milliards d'euros" que rapporte la redevance seront "pris sur le budget de l'Etat", assure-t-on sans plus de précision à ce stade.

Sur l'héritage

• Le programme d'Emmanuel Macron vante la "baisse des impôts sur les successions" comme une mesure "pour notre pouvoir d'achat". Le président-candidat souhaite qu'il n'y ait "aucun impôt sur les successions jusqu'à 150 000 euros par enfant". Marine Le Pen propose d'exonérer de droits de succession les biens immobiliers "à hauteur de 300 000 euros" et d'encourager les donations effectuées du vivant.

Seule une "minorité de Français paye des droits de succession en ligne directe", expose l'économiste Mathieu Plane. La moitié "des individus auront hérité de moins de 70 000 euros de patrimoine tout au long de leur vie, et parmi ceux-là, une large fraction n'aura hérité d'aucun patrimoine", écrit le Conseil d'analyse économique dans une note publiée en décembre (PDF). Les propositions des deux candidats posent donc question "du point de vue de la justice sociale", estime Brice Fabre, car elles "favorisent les personnes dont les proches ont assez de patrimoine pour leur transmettre des sommes relativement importantes". Ces mesures n'auraient par conséquent "aucun effet pour ceux qui ont le plus besoin d'une hausse de pouvoir d'achat", tranche Xavier Timbeau.

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