Elections régionales : en Normandie aussi, le FN fait son nid
D'après les derniers sondages, le second tour dans la région pourrait être plus serré que prévu entre le Front national et ses adversaires. Francetv info est allé à la rencontre d'électeurs dans l'Orne, une terre où le FN prospère.
En vitrine, pas de vêtements, pas de nourriture, pas de bijoux… Rien à vendre. Juste un visage : celui de Nicolas Bay, 37 ans, secrétaire général du Front national et tête de liste en Normandie pour les élections régionales des 6 et 13 décembre. A L'Aigle, petite commune de l'Orne d'à peine 8 000 habitants, le parti de Marine Le Pen a désormais pignon sur rue.
Il y a quelques semaines, le FN a inauguré cette permanence dans la principale artère de la bourgade. Un passage obligé les jours de marché, comme ce mardi 1er décembre. "C'est un effort d'implantation", justifie Loup Mautin, le chargé de communication local. "De plus en plus de gens poussent la porte", renchérit le secrétaire départemental frontiste, Lionel Stiefel.
L'Aigle, c'est le plus grand marché de l'Orne, et on est très bien placés. Les gens nous voient, c'est important. Et on est très bien reçus !
Sur l'étal d'un primeur voisin, le Front national est au menu. "C'est serré entre la droite et l'extrême droite", souligne le vendeur de fruits et légumes, face à deux de ses clientes. Et pour cause : un sondage BVA (PDF) donne les principaux candidats au coude-à-coude au second tour, avec 34% pour Nicolas Mayer-Rossignol à gauche, 33% pour Hervé Morin à droite, et 33% pour le frontiste Nicolas Bay. Ce qui reviendrait à une progression de 20 à 25 points par rapport aux scores obtenus par le FN lors des dernières régionales de 2010 en Basse et en Haute-Normandie !
Casquette vissée sur la tête, Guillaume est venu crier sa colère ce matin-là devant la permanence du FN. L'artisan de 33 ans montre ses mains : "Moi tout ce que j'ai, c'est grâce à ça. Avec mon carnet de commandes, je n'ai que deux mois de visibilité, déplore-t-il. Je n'ai jamais vu ça ! Je suis obligé de courir après les clients. Vous avez beau faire des devis, les gens ne vous rappellent pas parce qu'ils n'ont pas l'argent pour faire les travaux finalement."
Les déçus du sarkozysme se rallient à l'extrême droite
Sa femme lui demande depuis deux ans de faire un enfant, après une première fausse couche. "Mais je n'ai pas la tête à ça avec tous ces soucis, confie-t-il. J'ai vendu mon camion, ma moto, rien que pour payer mes charges." En plus de ces
difficultés financières, Guillaume explique aussi avoir perdu un proche au Bataclan lors des attentats. Autant de raisons qui ont convaincu cet ancien abstentionniste de voter cette fois-ci. Pour le FN.
Personne n'ouvre sa gueule, moi je l'ouvre.
Dans les allées du marché, la plupart des acheteurs préfèrent effectivement éviter de parler politique. Mais à l'exception de rares passants, personne ne semble franchement troublé par cette présence très visible du Front national dans la rue. Pas même le commerçant voisin. "Au moins, ça démystifie", estime Patrice, 54 ans. Lui aussi glissera un bulletin frontiste dans l'urne, dimanche. "Avant je n'osais pas, je votais UMP, assure-t-il. Mais c'est toute la politique autour des radars qui m'a fait basculer. Et puis je trouve ça incroyable qu'on ne soit pas plus nationalistes, qu'on ne sorte pas davantage notre drapeau bleu blanc rouge."
On a un pays magnifique, on ne protège pas assez notre maison !
Comme Patrice et Guillaume, ils sont de plus en plus nombreux dans la région normande à voter extrême droite. "Dans les années 1980 ou 1990, c'était encore une terre de droite modérée, rappelle l'universitaire Cyril Crespin, auteur d'une thèse sur l'histoire du Front national en Normandie. Petit à petit, le FN a réussi à conquérir des déçus du sarkozysme, mais aussi d'anciens électeurs de Chasse, pêche, nature et traditions et de De Villiers. Et puis là, on a le sentiment que c'est le parti qui a le plus investi dans la campagne."
"Les régionales ? Les gens s'en fichent"
Au Merlerault – un peu plus de 900 habitants –, la télévision du petit café est branchée sur l'hippodrome de Vincennes. Rien de surprenant : le cheval est une institution dans le coin, le haras national du Pin n'est qu'à quelques kilomètres. Sur l'écran, Comtesse vient de battre Clef de Fa et Carla du Châtelet. La patronne a perdu son dernier pari. "Les régionales ? Les gens s'en fichent, balaye-t-elle. Ils parlent de la grande décharge de Nonant-Le-Pin, et puis c'est tout."
"Moi je vais voter", contredit France, une cliente installée dans la salle. "Mais je vais voter blanc, poursuit la senior. Ou FN tiens. Que ce soit droite ou gauche, ils font toujours des promesses mais une fois la campagne terminée y a plus personne." "Et tu penses que le FN, il a un programme ?", l'interroge la gérante. La réponse fuse : "Il a Marine Le Pen."
Des électeurs "écoeurés par la politique"
Partout où l'on va, le ras-le-bol semble général. "Les gens en ont marre", résume, accoudé à son comptoir, le patron d'un bistrot de Mortagne-au-Perche, à une trentaine de kilomètres de là. "Ce matin, j'avais deux clientes âgées. Elles étaient écœurées par la politique. Elles disaient qu'elles allaient voter blanc, parce qu'elles ne voulaient pas voter FN."
Et puis, dans les conversations, un homme revient : "Monsieur Clain, vous savez, il vient d'ici." Monsieur Clain, c'est Fabien Clain, la voix de l'Etat islamique, qui a revendiqué les attaques du 13 novembre. Son dernier domicile connu est situé à Alençon, la préfecture du département. Même à 200 km de la capitale, les attentats de Paris ont marqué les esprits.
Une campagne "plombée" par les attentats de Paris
Sur le marché de L'Aigle, les militants du Front de gauche et d'Europe Ecologie-Les Verts tractent eux aussi. La fin d'une campagne morose, "plombée" par les événements du 13 novembre, juge Monique Taupin, agricultrice dans la commune. Candidate sur la liste écologiste, elle confie son "traumatisme" lorsqu'elle a découvert l'installation de la permanence du FN dans sa petite ville. "Quand je l'ai vu, ça m'a fait froid dans le dos."
Elle va peut-être devoir s'y habituer, à cette sensation. A l'angle de la rue, Les caprices de Marine, une boutique de lingerie fine, est en "liquidation totale" avant sa fermeture. Le Front national, lui, ne compte pas baisser le rideau de sitôt. Ses responsables l'assurent : ils entendent bien pérenniser l'installation du local après les élections.
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