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En Egypte, une présidentielle dans le brouillard et la ferveur

Qui sortira vainqueur du premier tour ? Impossible de le dire mais les Egyptiens se passionnent pour cette élection.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Ferveur lors du dernier meeting des Frères musulmans, le 20 mai 2012. (MOSA'AB ELSHAMY / CITIZENSIDE / AFP)

L'Egypte est en effervescence mercredi 23 mai. Deux jours durant, les citoyens se choisissent un chef et dessinent leur futur, plus d'un an après les manifestations de la place Tahrir qui ont provoqué la chute du régime d'Hosni Moubarak. Un événement dans ce pays, le plus peuplé du monde arabe, où 50 millions d'électeurs sont appelés à voter.

C'est que jamais élection présidentielle n'a été aussi ouverte et son issue aussi incertaine. "Tout le monde parle de ça. C'est très important. Cette élection parle à tous les Egyptiens", s'enthousiasme Enzo, 24 ans, guide touristique. La campagne s'est arrêtée lundi mais les banderoles et les affiches couvrent toujours les rues, décrit-il. 

"Les Egyptiens aiment voter"

Dans un article, The New York Times (en anglais) relate la "fièvre de la campagne" qui, en comparaison, ferait passer une finale de Coupe du monde de foot pour terne. Shadi Hamid, spécialiste américano-égyptien, remarque que les gens sont "obsédés" par l'élection et relève avec malice qu'il semble que "les Egyptiens aiment voter"Le président du Parlement, Saad al-Katatni, membre des Frères musulmans, a estimé que "l'Egypte était le théâtre d'une expérience démocratique sans précédent".

Hicham Ezzat, activiste et révolutionnaire de 28 ans, parle de "ferveur". Pas possible de passer "quatre minutes dans un café sans entendre le nom d'un candidat", dit-il. Bien qu'il ait des réserves sur la bone tenue du scrutin et soit très critique sur l'organisation des précédentes législatives, il se réjouit que "le petit marchand de légumes influence le destin du futur président. Il y a un sentiment d'ailes qui poussent dans le dos". Alors que la figure du "pharaon reste importante" en Egypte, les gens se disent : "On va choisir notre raïs."

Quatre candidats en tête

Des douze candidats, quatre retiennent l'attention. D'un côté, deux islamistes qui se livrent bataille : Mohamed Morsi, investi par les Frères musulmans (grands vainqueurs des récentes législatives) et un dissident de l'influente confrérie, Abdel Moneim Aboul Fotouh, qui se présente comme "moderne", rassemblant des salafistes comme des libéraux. De l'autre, deux "fellouls", un sobriquet péjoratif désignant les anciens du régime : Amr Moussa, ex-ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de la Ligue arabe, et le militaire Ahmad Chafiq, dernier Premier ministre d'Hosni Moubarak. Le premier a la stature d'un important homme d'Etat, quand le second évoque aux révolutionnaires l'armée et les services de renseignement.

L'activiste Hicham Ezzat, lui, ajoute à la liste le nassérien et nationaliste Hamdin Sabahi, présenté comme le "candidat des pauvres", des "paysans". Il espère qu'il sera un bon outsider et créera la surprise. Pour Enzo, c'est Ahmad Chafiq et Aboul Fotouh qui seront au second tour. Lui souhaiterait voir le deuxième, islamiste parfois comparé au président turc Erdogan, l'emporter parce qu'il "est le meilleur pour l'Egypte, il rassemble".

Un partisan de l'islamiste Abdel Moneim Aboul Fotouh brandit les couleurs de son candidat jusque sur la voile de son embarcation, au Caire, le 20 mai 2012. (MAHMUD HAMS / AFP)
Les Egyptiens indécis

Mais ce scrutin est une nouveauté et les sondages ne sont pas du tout fiables. Dans un contexte où la vie politique compte un grand nombre d'acteurs, il serait hasardeux de pronostiquer les noms des deux finalistes. Comme le souligne la correspondante de France Info, Claude Guibal, "beaucoup de personnes disent ici qu'elles changent d'avis tous les jours, et selon un sondage, plus de 36 % des Egyptiens disent leur incapacité à choisir".

Ainsi, les Frères musulmans, donnés à la traîne avec Mohamed Morsi, surnommé "la roue de secours", pourraient créer la surprise par leur importante capacité de mobilisation. "Pour le moment, rien n'est clair, c'est la seule chose qui est claire", sourit Hicham Ezzat.

Le flou sur de nombreux points

D'autant que le pays saute à pieds joint dans l'inconnu. Il n'est pas parvenu à se doter d'une nouvelle Constitution. A la suite d'un recours de juristes et libéraux mécontents, la justice administrative a suspendu la commission chargée de la rédiger. Elle était dominée par les islamistes et boycottée par les libéraux. On ignore donc quels seront les pouvoirs du chef de l'Etat. Avant même de se prononcer la charia, la Constitution devra trancher entre régime présidentiel ou parlementaire - un choix qui pourrait être lourd de conséquences si le nouveau président n'est, contrairement au Parlement, pas islamiste.

Alors que le président devra relancer une économie en panne, lutter contre la pauvreté, le chômage, l'effondrement des services publics et du système éducatif, "on va élire un homme dont les prérogatives ne sont pas définies", regrette Hicham Ezzat. "On est en train de jouer à la roulette russe les yeux bandés."

Les militaires, qui dirigent le pays depuis la chute du président, ont promis que le scrutin serait "100% transparent". Le chef du gouvernement, Kamal al-Ganzouri, a demandé à la population de "rester unie pour assurer la réussite de ce processus électoral et accepter la décision de la majorité qui sortira des urnes". Il a espéré que cette élection "se déroule dans le calme" et appelé candidats et forces politiques "à demander à leurs partisans de respecter la volonté des autres".

Mais comment réagiront les Frères s'ils ratent leur "grand moment" ou les révolutionnaires si Ahmad Chafiq, perçu comme le candidat de l'ancien régime, l'emporte ?

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