En grève, les géants d'internet dénoncent la censure
Aux Etats-Unis, Sopa et Pipa mettent le web en émoi. Ces projets de loi anti-piratage s'apparentent selon leurs détracteurs à des mesures liberticides. Des mastodontes tels que Wikipedia se mobilisent.
Google, Mozilla, Wikipedia et d’autres géants d’internet, listés sur le site Sopastrike, se mobilisent pour protester contre deux projets de loi examinés au Congrès américain : Sopa et Pipa. Ces lois anti-piratage ont pour objectif d’empêcher l’internaute d’accéder à des sites jugés illégaux. Un "blackout" a été organisé mercredi 18 janvier : de nombreux sites ont fermé l’accès à leurs pages pour la journée, afin d'alerter sur les conséquences possibles de telles lois. Alors, nécessaire contrôle de la toile ou mesures liberticides ?
• Que prévoient les projets de loi Sopa et Pipa ?
Sopa Le Stop Online Piracy Act (Sopa) vise à lutter contre les contenus illégaux - vidéos, musique, photos - diffusés sur internet. Proposé en octobre, le projet est au point mort et doit être examiné par la Chambre des représentants en février.
S’il est mis en place, tout site ou blog diffusant par exemple de la musique dont il ne détient pas les droits ou même facilitant le piratage tombera sous le coup de la loi. L’ensemble des sites internet seraient ainsi incités à collaborer avec la justice américaine. Par exemple, les sites de paiement, comme Paypal, devraient refuser toute transaction financière avec des sites utilisant le piratage.
Pipa Déposé au Congrès en mai 2010, le Protect IP Act (Pipa) est considéré comme la loi sœur de Sopa. Elle étendrait ses pouvoirs. Le texte permettrait de bloquer les sites en infraction avec le droit d’auteur. Il sera soumis au vote du Sénat le 24 janvier.
Ces textes sont soutenus par l’industrie musicale et cinématographique car ils protègent le droit des auteurs et des ayants-droits. Mais, même s’ils étaient adoptés par les deux chambres du Congrès américain (Chambre des représentants et Sénat), le président Barack Obama pourrait opposer son véto et stopper ces projets. La Maison Blanche a indiqué le 14 janvier qu’elle ne soutiendrait pas "une législation qui réduit la liberté d'expression (…) et sape le dynamisme et le caractère innovant de l'internet mondial." (lien en anglais)
• Qu’est-ce qui changerait si ces lois étaient appliquées ?
Tout auteur ou ayant-droits jugeant ses droits bafoués pourrait faire fermer un site à la suite d'une procédure simplifiée et sans faire appel à un juge. Trois leviers d’action sont prévus pour réduire l’accès des internautes aux contenus illégaux.
Le blocage Les premières moutures de Sopa envisageaient la mise en place d’un blocage DNS (Domain Name System). Cela signifie que les autorités peuvent imposer aux fournisseurs d’accès à internet le blocage d’un site qui contrevient aux droits d’auteur. Le lien entre le nom de domaine d’un site, comme http://www.francetv.fr/info, et son adresse IP, composée d’une série de chiffres, serait supprimé. Cela empêcherait l’internaute d’accéder au site en tapant l’adresse classique. Le blocage DNS a été remis en cause, y compris parmi les soutiens de ces lois anti-piratage.
Le déréférencement Partant du principe qu'il est impossible d'agir contre un site situé hors du sol américain, ces lois suggèrent que les sites ou moteurs de recherche pourront empêcher tout lien ou tout site conduisant vers des contenus contrefaits, sans recours à un juge.
En punissant les sites intermédiaires, Sopa restreint l’accès aux illégaux, même s’ils ne sont pas hébergés aux Etats-Unis, comme Megavidéo, basé à Hong-Kong, qui permet de regarder des films en streaming. Si le principe est suivi à la lettre, les plateformes de partage comme Facebook, Twitter, Tumblr ou Wikipedia pourraient être bloquées aux Etats-Unis s'il est constaté qu'un de leurs utilisateurs a publié un lien "illégal".
Les sanctions financières Les tribunaux américains pourront empêcher les régies publicitaires ou les fournisseurs de systèmes de paiement, comme Paypal, de travailler avec les sites incriminés.
• Pourquoi les géants d’internet y sont-ils opposés ?
Le mouvement de contestation réclame le droit à un internet libre, non contrôlé par des Etats ou des entreprises. Pour les protestataires, ces projets de loi se rapprochent de la censure et attaquent la neutralité du net. Les plus grands acteurs de l’économie numérique sont mobilisés contre Sopa et Pipa : Google, Wikipedia, Yahoo, Linkedin, Mozilla, Facebook et d’autres ont exprimé publiquement leur désaccord. Dans une interview accordée au Nouvel Observateur, le responsable de la communication de Wikipédia France affirme même qu'avec de telles lois, "Wikipédia pourrait fermer définitivement".
Certaines dispositions de la loi font particulièrement débat :
Les droits de la défense pas respectés Selon la loi, un site pourra être bloqué sans que les personnes incriminées aient la possibilité de se défendre. Dans une lettre ouverte (en anglais), des professeurs de droit américains soulignent que cette mesure viole le principe de droit à la défense.
Un rôle de censeur et non d'hébergeur Depuis 1998 (PDF en anglais), les hébergeurs américains ne sont pas responsables du contenu publié sur leurs plateformes. En revanche, ils doivent retirer rapidement les contenus illégaux quand ils en ont connaissance. Une vidéo qui ne respecte pas le droit d’auteur sera enlevée de la plateforme sans que cette dernière soit personnellement attaquée.
Avec la loi Sopa, un site pourra être bloqué s'il propose un seul contenu illégal, même si les autres pages sont respectueuses du droit d'auteur. En clair, il suffit d'un seul lien menant vers un contenu illégal, posté sur Facebook, Twitter ou YouTube, pour que ces derniers soient menacés juridiquement.
Les grosses sociétés estiment que ce projet de loi les forcerait à devenir censeurs en faisant reposer sur eux la légalité d’autres sites.
Une question de philosophie Pour de nombreux détracteurs, la lutte contre le couple Sopa/Pipa est un moyen de sensibiliser les citoyens à la nécessaire liberté d’expression sur internet. "Il ne faudrait pas que le coup de grâce aux libertés numériques soit porté par le pays qui a vu naître internet”, a déclaré Reporters sans frontières. L'ONG souligne notamment qu'une telle décision, en portant atteinte aux sites de partage, affaiblirait les "net-citoyens utilisant les outils de contournement de la censure."
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