: Enquête franceinfo Après la contamination de plusieurs puits, Perrier a suspendu la production de ses bouteilles d’un litre
"Perrier, l'eau qui fait pschitt", "Perrier, c'est fou !" Les slogans imaginés pour la marque d'eau gazeuse du groupe Nestlé, exploitée depuis plus de 160 ans sur le site de Vergèze, dans le Gard, n'ont peut-être jamais été si pertinents. En effet, selon les informations du Monde et de la cellule investigation de Radio France, après avoir appris en avril l'arrêt d'un des puits de l'usine après la survenue d'un épisode de contamination, il apparaît que deux autres captages ont subi récemment des opérations de désinfection ayant impacté les activités de production.
Interrogé sur ce point par la cellule investigation de Radio France, le groupe Nestlé évoque une "opération de maintenance régulière". Deux autres forages, sujets à des contaminations régulières, ont quant à eux, définitivement cessé de produire la marque Perrier. Mais l'entreprise a obtenu le droit par arrêté préfectoral de les consacrer à la production d'une nouvelle boisson gazeuse baptisée Maison Perrier, qui, elle, ne bénéficie plus de l'appellation eau minérale naturelle.
Sur les sept puits exploités il y a quelques mois encore, pour produire la marque Perrier, une majorité est donc aujourd'hui, soit dédiée à la production d'une autre marque, soit suspendue, soit hors service. Conséquence directe de cette situation : selon nos informations, l'entreprise a stoppé provisoirement la production des bouteilles de "Perrier vert" d'un litre, qui représente les plus gros volumes de la marque. Une situation qui devrait perdurer au moins jusqu'à la fin de l'été. Pour maintenir sa présence en magasin pendant les mois de juillet et d'août, la marque multiplie les petits formats, selon une source proche du dossier. Dans un communiqué, le groupe Perrier affirme vendredi que "la production de Perrier vert 1 litre n'est pas arrêtée. Nous reviendrons avec une meilleure capacité à servir nos produits dès la fin de ces opérations, et après une phase de reconstitution de nos stocks."
Une visite inopinée a, par ailleurs, eu lieu dans l'usine, le 30 mai, à l'initiative de l'agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie et de la direction départementale de la protection des populations (DDPP). Ce jour-là, huit inspecteurs ont conduit, sous l'œil attentif des avocats de la firme, une inspection pointilleuse de l'usine, de ses forages et de son laboratoire d'autosurveillance de la qualité de l'eau, ainsi que des opérations de contrôle des étiquettes. Les résultats de ce contrôle n'ont pas été rendus publics pour l'instant.
Deux millions de bouteilles détruites
La suspension de deux forages pour désinfection est intervenue alors que le 19 avril dernier déjà, le préfet du Gard avait demandé à la firme de suspendre sans délai l'exploitation d'un autre captage, dit "Romaine VIII", ce dernier ayant présenté "un épisode de contamination sur plusieurs jours par des germes témoins d'une contamination d'origine fécale", pouvant "faire courir un risque pour la santé des consommateurs". Les services de l'État avaient également ordonné la destruction d'un lot d'au moins deux millions de bouteilles de Perrier. Mais selon nos informations ce chiffre était plus proche des trois millions, ce que le groupe Nestlé nous confirme. Il évalue désormais, "après inventaire" à 2,9 millions le nombre de bouteilles détruites. "Ces bouteilles, bloquées en application du principe de précaution, n'avaient jamais été mises sur le marché", précise l'entreprise.
Le risque sanitaire, lié à une dégradation générale de la qualité des nappes d'eau de Nestlé, sur le site de Vergèze mais aussi dans les Vosges où sont puisées les marques Hépar, Contrex et Vittel, était connu du gouvernement depuis des années. La firme avait en effet admis auprès du cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre déléguée à l'Industrie, lors d'une réunion confidentielle à Bercy en août 2021, avoir recours à des traitements illicites (filtres UV, filtres à charbon, microfiltration), pour dissimuler la contamination chronique, bactériologique et chimique de ses nappes d'eau.
Depuis, plusieurs alertes ont confirmé la matérialité de ce risque. On le voit notamment dans un rapport resté confidentiel jusqu'à la publication de l'enquête du Monde et de la cellule investigation de Radio France. Dans ce document, remis au gouvernement en juillet 2022, des agents de l'Inspection générale des affaires sociales s'inquiétaient du retrait des traitements illicites, susceptible "d'exposer les consommateurs à un risque sanitaire, les traitements ayant été mis en place pour pallier un défaut de qualité de la ressource".
La survie de l'usine en question
En octobre, l'Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale (Anses) avait de nouveau alerté le gouvernement d'un "niveau de confiance insuffisant" pour assurer "la qualité sanitaire des produits finis", c'est-à-dire des bouteilles d'eau destinées aux consommateurs. L'Anses mentionnait le fait que plusieurs forages du site de Vergèze étaient "situés à proximité de potentielles sources de contamination d'origine anthropique et faisaient l'objet de pollutions périodiques de nature microbiologique mais aussi physicochimique". Dès le mois de juin 2023, dans un courrier envoyé à l'Anses, le directeur de l'ARS Occitanie, Didier Jaffre, mentionnait déjà une "contamination bactériologique régulière de l'eau brute sur au moins cinq des sept forages autorisés (coliformes, e.coli, entérocoques, pseudomonas aeruginosa)".
Après les révélations du Monde et de la cellule investigation de Radio France, l'entreprise Nestlé assurait avoir engagé un plan de transformation de ses usines, en accord avec les autorités. Selon la réglementation, les eaux minérales naturelles sont en effet censées provenir de ressources préservées de toute forme de pollution. Face à la dégradation généralisée des nappes, les autorités s'interrogent donc désormais en coulisses sur l'avenir même de l'activité de production des eaux minérales naturelles de Nestlé sur son site gardois. Le retrait des autorisations d'exploitation de la firme, en cours d'instruction, n'est plus exclu. Si cela devait se confirmer, la marque Perrier pourrait être menacée de disparition.
Confrontés à l'incertitude qui pèse désormais sur l'avenir de leur usine et de ses 1 000 salariés, les syndicats ont, selon nos informations, enclenché leur droit d'alerte prévu, selon le Code du travail, lorsque le CSE a connaissance "de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l'entreprise". Interrogée à propos de ces inquiétudes, la direction du groupe Nestlé s'est voulue rassurante : "Nous avons investi significativement, et continuerons de le faire, pour protéger ce patrimoine unique et assurer son avenir."
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