Mort de Nahel : quatre questions sur la fiche d'intervention de la police, qui relance le débat sur la version des policiers
"Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire." Cette phrase apparaît noir sur blanc sur la fiche d'intervention de la police, consultée par franceinfo, relative au contrôle routier au cours duquel Nahel, adolescent de 17, a été tué par un policier, le matin du 27 juin à Nanterre. Or, les images de la scène, filmées par une témoin et diffusées sur les réseaux sociaux peu de temps après les faits, viennent contredire cette version. "S'il n'y a pas de vidéo pour démentir ce document qui est faux, le procureur aurait décidé que le tir du policier est réglementaire et donc on n'aurait même pas eu d'enquête", a estimé Yassine Bouzrou, l'avocat de la famille de Nahel, jeudi 6 juillet, sur franceinfo.
Ce dernier a donc déposé plainte pour "faux en écriture publique". Car, fait-il valoir, cette fiche est "un document rédigé par un policier qui indique mensongèrement que Nahel a tenté de percuter un policier en lui fonçant dessus". "C'est un autre policier qui a rédigé cette fiche. Mais cette fiche a été rédigée sur les informations données par les policiers qui ont tenté d'interpeller Nahel", explique l'avocat. "Les policiers qui donnent ces informations fausses savent pertinemment qu'une fiche va être remplie sur la base de leurs informations", poursuit Yassine Bouzrou. Cette fiche et son contenu, au cœur de l'affaire, soulèvent plusieurs questions.
Par qui cette fiche est-elle écrite ?
D'après les informations de franceinfo, cette fiche a été créée mardi 27 juin à 8h16, sur une plateforme interne à la police, dénommée Pégase, un acronyme qui signifie Pilotage des événements, gestion de l'activité et sécurisation des équipages. Le but de ce logiciel est "d'améliorer la gestion des appels d'urgence de 'police secours' et de réduire les délais d'intervention des équipages de police sur le terrain grâce à un dispositif de géolocalisation des véhicules", est-il écrit dans l'arrêté du 21 janvier 2008, qui acte sa création.
>> Mort de Nahel : qu'est-ce qu'une fiche Pegase ?
Depuis, une nouvelle version du logiciel a vu le jour, en 2016. Déployée progressivement depuis mai 2022, on y retrouve aussi bien la retranscription des appels de n'importe quel citoyen vers le 17 que les informations transmises par les policiers sur leurs ondes, car elle "permet des échanges en mobilité avec les effectifs situés sur le terrain", précise la police nationale à franceinfo.
"Ce logiciel sert à laisser une trace écrite, via des fiches d'intervention, des appels reçus sur le 17 et des comptes rendus radio des équipages. Il relate le déroulé d'une intervention, un résumé, une synthèse, détaille la police nationale. Il s'agit d'une 'main courante' opérationnelle pour les services de police. Ces fiches d'intervention ne sont en aucun cas des procès-verbaux, ni des actes judiciaires."
Que dit cette fiche ?
Dans le cas de la mort de Nahel, le policier de la station directrice des Hauts-de-Seine est donc censé avoir retranscrit ce qu'il a compris des propos tenus par son collègue sur le terrain. Ainsi, sur la fiche d'intervention, il est écrit, à 8h19, qu'"un coup de feu a été tiré" et que le véhicule "vient de s'encastrer dans un poteau". Puis, à 8h21, que le conducteur est "inconscient". Une minute plus tard, la mention "individu blessé par balle à la poitrine côté gauche. Le fonctionnaire de police s'est mis à l'avant pour le stopper. Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire" est ajoutée. Suivi de : "Un passager à l'arrière a été interpellé. Un individu en fuite."
La fiche précise ensuite que le procureur de la République et son adjoint se rendent sur place à 9h35 et, à la même heure, que l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) est saisie. A 10h11, des précisions sur les faits qui viennent de se dérouler sont ajoutées et il est à nouveau mentionné : "Le moteur coupé est rallumé et le conducteur fonce sur le fonctionnaire de police qui fait usage de son arme."
Quelle est la version du policier ?
La défense du policier suspecté d'avoir tué Nahel maintient que le fonctionnaire n'a jamais écrit cette phrase. Pour son avocat, Laurent-Franck Liénard, il n'y pas de "faux en écriture publique, il n'y a pas d'écriture". "Mon client a tiré, il a été amené aux locaux de l'IGPN. Il a été entendu, il n'a jamais rien écrit donc le procès-verbal, il n'y en a pas", a-t-il déclaré, deux jours après les faits, sur BFMTV.
Une synthèse de ses premières auditions, réalisées par l'IGPN, figure dans le réquisitoire du parquet général de la cour d'appel de Versailles sur son maintien en détention provisoire, que franceinfo a pu consulter. D'après ce document, le policier assure qu'il s'est "retrouvé acculé contre le trottoir et le muret situé derrière lui". Le fonctionnaire raconte ensuite avoir pris "la décision d'ouvrir le feu pour éviter [que le conducteur] ne renverse quelqu'un ou 'n'embarque' son collègue et alors que lui-même avait été 'un peu poussé', lorsque le conducteur avait accéléré".
Toujours dans ce document, qui cite les premiers éléments d'analyse de l'IGPN, il est écrit que "l'exploitation des conversations tenues sur la 'conférence 32' des services de police" démontre que le policier mis en examen pour "homicide volontaire" n'a "pas utilisé", "lors de ses échanges" avec le policier de la station directrice, la phrase suivante : "Le conducteur a essayé de repartir en fonçant sur le fonctionnaire."
Pourquoi l'avocat porte-t-il plainte ?
Les deux passagers de la voiture que conduisait Nahel ont, eux aussi, affirmé que leur ami n'a pas foncé sur le policier. Le passager assis sur le siège avant, à côté de Nahel, a livré sa version des faits auprès des enquêteurs de l'IGPN qui l'avaient convoqué. Il a déclaré que Nahel a reçu des coups de crosse de la part des policiers, et qu'après le troisième coup, le pied de son ami "a enfoncé l'accélérateur". "Je l'ai vu agoniser, il tremblait", a raconté ce témoin.
Le passager arrière, un adolescent de 14 ans, a relaté dans une lettre adressée au Parisien que l'un des policiers aurait dit "qu'il allait lui mettre une [balle] dans la tête". Ensuite, le pied de Nahel aurait "lâché le frein, sûrement par panique, en essayant de se protéger". Comme le passager avant, il affirme que la voiture, dotée d'une boîte automatique, a ensuite avancé toute seule.
Pour l'avocat de la famille de Nahel, une erreur de la part d'un fonctionnaire de police dans une fiche d'intervention est difficilement envisageable. "L'agent qui remplit ce document est un professionnel. S'il note qu'un véhicule a tenté de percuter et de tuer un policier, je pense que l'information est suffisamment importante pour ne pas se tromper", estime Yassine Bouzrou. Le parquet de Nanterre, contacté par franceinfo, dit ne pas avoir encore reçu la plainte pour faux en écriture publique, mais qu'elle l'examinera avant de décider d'éventuelles suites judiciaires.
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