"J'étais terrifié !" : au procès des viols de Mazan, les explications plus que douteuses de certains accusés

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Redouan E., lors de son interrogatoire sur les faits, devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, le 3 octobre 2024. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
Ils sont sept à avoir été entendus jeudi, devant la cour criminelle du Vaucluse, dans le cadre de leur interrogatoire sur les faits. Trois d'entre eux ont livré des explications alambiquées pour tenter de justifier leurs actes.

Peut-on tout dire pour se défendre ? Jeudi 3 octobre, au cours d'une journée d'audience particulièrement dense, sept accusés ont été entendus devant la cour criminelle du Vaucluse, dans le cadre de leur interrogatoire sur les faits. Tous sont poursuivis pour "viols aggravés" commis sur Gisèle Pelicot et encourent vingt ans de réclusion criminelle. Un seul reconnaît les faits reprochés : Jérôme V., 46 ans, qui s'est rendu six fois à Mazan au printemps 2020, en plein confinement, pour violer la septuagénaire assommée aux anxiolytiques par son mari. Il assure qu'il "était en proie à une addiction sexuelle".

Les six autres nient l'intentionnalité et ne reconnaissent donc pas les faits de viol, malgré les vidéos retrouvées sur le disque dur de Dominique Pelicot montrant des actes de pénétrations vaginales, anales ou buccales sur la victime inerte. Trois d'entre eux ont tenté d'expliquer leurs actes, avançant des justifications douteuses, parfois même grotesques, sous les yeux de Gisèle Pelicot, qui a parfois peiné à rester stoïque.

"Pourquoi ne pas être allé voir la police ?"

Jean T., 52 ans, est le premier à s'être présenté à la barre. Il dit s'être rendu à Mazan pour une relation libertine avec le couple, mais jure ne garder aucun souvenir des faits, qui remontent au 21 septembre 2018. "Par quel artifice n'auriez-vous pas de souvenir de la soirée ?", l'interroge Roger Arata, le président de la cour. "Je pense que monsieur Pelicot m'a drogué. Il m'a proposé une boisson, un Coca, en me disant de me déshabiller", précise celui qui était en couple depuis neuf ans avec sa compagne au moment des faits. Depuis son box, l'intéressé nie en bloc, assurant n'avoir "jamais offert quoi que ce soit" aux hommes venus violer son épouse.

"En rentrant dans la chambre, j'ai vu la femme de dos. J'ai vu monsieur Pelicot faire l'amour à sa femme, et après, je ne me rappelle plus de ce qu'il s'est passé."

Jean T.

devant la cour criminelle

Cette explication semble laisser la cour sceptique."Est-ce que, sur ces vidéos, vous avez l'apparence d'une personne droguée, dans l'incapacité de contrôler ses faits et gestes ?", questionne le président, visiblement incrédule. "Je vois que mon visage est un peu… C'est de la transpiration, je ne sais pas comment on appelle ça", déclare le quinquagénaire. Pour l'heure, les vidéos ne peuvent pas être visionnées par les journalistes, Roger Arata ayant décidé de les exclure du visionnage qui doit avoir lieu vendredi, au nom du "caractère indécent et choquant" des images.

Les retranscriptions de leur contenu laissent toutefois penser que l'accusé était en pleine maîtrise de ses moyens. Selon l'horodatage effectué par la police judiciaire, "les pénétrations péniennes du vagin et de la bouche de la victime" auraient duré plus d'une heure. Sur la vidéo dénommée "bien baisée 3" par Dominique Pelicot, il lève le pouce en signe de satisfaction vers la caméra."Vous aviez une érection", pointe d'ailleurs le président.

"Si vous avez eu un trou de mémoire au moment du rapport ainsi qu'au volant de votre voiture au retour, pourquoi ne pas être allé [voir] la police ? Vous refaites 250 km pour rentrer chez vous ?", l'interroge une assesseure, s'étonnant que Jean T. ait fait l'aller-retour depuis Lyon. "Pour moi, c'était une mauvaise rencontre, on oublie tout, c'est fini", justifie l'accusé en sweat à capuche bleu, affirmant également avoir redouté que les autorités mènent "une enquête" qui aurait dévoilé son infidélité auprès de sa compagne.

"Pour moi, elle faisait semblant de dormir"

Après plus d'une heure d'interrogatoire poussif, Simoné M. lui succède à la barre. Cet ancien militaire, père de famille, était marié lorsqu'il s'est rendu au domicile du couple, le 14 novembre 2018. Lui n'avait que quelques minutes de route à faire : l'accusé, aujourd'hui âgé de 43 ans, habitait à Mazan. Il était d'ailleurs passé une première fois à leur domicile avant les faits, à la demande, dit-il, de Dominique Pelicot. "Il m'a dit : 'Un jour, tu verras comment ma femme est belle'. J'ai donc accepté de venir chez lui. Il me dit : 'Si jamais ma femme te questionne, tu diras que tu es venu pour voir mon vélo'", relate le quarantenaire, assurant n'avoir alors "aucune arrière-pensée".

Le président l'interroge sur l'état de Gisèle Pelicot le soir des faits. "Pour moi, elle faisait semblant de dormir, en attendant de participer aux actes". Quand il entre dans la chambre, il assure avoir agi "sur les directives de monsieur Pelicot". Pourquoi n'a-t-il pas mis de préservatif ? "J'étais inconscient, je n'ai pas pensé à mon ex-femme : j'aurais pu lui filer une maladie", explique l'accusé. Comme si la victime était, elle, immunisée contre les maladies sexuellement transmissibles.

"Vous mesurez le traumatisme et le choc pour madame Pelicot en découvrant que vous faisiez partie des agresseurs, alors qu'elle vous avait croisé dans son salon ?"

Stéphane Babonneau, avocat de la partie civile

devant la cour criminelle

"Est-ce que madame Pelicot a été victime d'un viol ?", poursuit l'avocat, qui tente de lui arracher un semblant de reconnaissance des faits. "Oui, elle a été victime d'un viol, il n'y avait pas de consentement", estime l'accusé. "Qui pénétrait madame Pelicot lorsqu'elle était victime de ce viol ?", renchérit Stéphane Babonneau. "Je ne comprends pas la question", rétorque Simoné M., qui semble paniquer.

Le conseil de Gisèle Pelicot ne le lâche pas : "qui a mis son pénis dans son vagin ?". L'accusé hésite. "C'était en premier son mari, puis moi", dit-il finalement. "Donc vous admettez avoir commis un viol sur madame Pelicot ?", poursuit l'avocat. "En toute logique, oui", finit enfin par admettre l'intéressé.

Un accusé évoque un coup monté

L'audience marathon se poursuit. Il est plus de midi quand Redouan E. lui succède. "Je plaide non coupable", lance cet homme de 55 ans d'une voix forte, visiblement nerveux. Sur les vidéos, il effectue "des pénétrations péniennes et digitales du vagin, de l'anus et de la bouche de la victime", selon le descriptif des enquêteurs. Mais à l'entendre, il est la véritable victime de cette affaire.

Cet infirmier libéral affirme avoir été pris au piège par Dominique Pelicot. "Il était tout rouge, j'étais terrifié !", raconte-t-il en pleurs, assurant avoir "perdu [ses] moyens" à son contact. "Pourquoi ne pas être parti ?", demande Roger Arata. "Je ne voulais pas le frustrer, j'ai fait le bon élève", justifie Redouan E. Et d'ajouter : "Quand la brebis est terrifiée, le loup saute à la gorge". A quelques mètres de lui, Gisèle Pelicot tente de réprimer un fou rire. 

"J'ai imaginé qu'elle était morte… J'imaginais tout, sauf qu'elle soit droguée !"

Redouan E.

devant la cour criminelle

"Pourtant, vous avez une expérience d'infirmier anesthésiste en bloc opératoire. Vous n'avez pas vu ça ?", insiste une magistrate. Redouan E. reste persuadé que la victime ne dormait pas et prétend avoir décelé "un réflexe en répondant à des caresses". Alors que "quelqu'un de drogué, dans le coma, manque de coordination", selon lui.

Ses propos prennent peu à peu une tournure complotiste. Il assure que certains des coaccusés sont possiblement sous le coup d'"une amnésie traumatique" à cause de la peur que leur aurait inspirée Dominique Pelicot. Il semble vouloir indirectement soutenir Jean T. La tension monte. Gisèle Pelicot fait non de la tête, ses avocats soupirent.

Mais Redouan E. poursuit et explique avoir demandé à rencontrer la juge d'instruction à sa sortie de détention provisoire pour lui faire part d'informations "troublantes". Il souhaite, en effet, que le téléphone de la victime soit fouillé par la police, estimant que Gisèle et Dominique Pelicot auraient monté une machination contre l'ensemble des accusés, car ils étaient "surendettés".

"La version de [Dominique] Pelicot, comme par hasard, c'est la version de la victime", pointe-t-il, regrettant que la parole de cette dernière "soit sacrée". "On doit être traités à égalité", réclame l'homme, qui met en garde contre une "erreur judiciaire". Gisèle Pelicot lève les yeux au ciel. Sa patience n'a pas fini d'être mise à l'épreuve : des dizaines d'accusés doivent encore être entendus.

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