"Je suis ému, ça me fait quelque chose" : au procès des viols de Mazan, un verdict entre soulagement, colère et frénésie médiatique

La cour criminelle du Vaucluse a livré son verdict aux 51 accusés, dans une salle particulièrement calme. A l'extérieur, l'atmosphère était bien plus agitée.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des journalistes attendent le verdict de l'affaire des viols de Mazan devant la salle d'audience, au tribunal judiciaire d'Avignon (Vaucluse), jeudi 19 décembre 2024. (JEROME REY / LA PROVENCE / MAXPPP)

"J'ai voulu, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s'y sont tenus. Je n'ai jamais regretté cette décision". Par ces mots, Gisèle Pelicot, émue, a clôturé quinze semaines du procès-fleuve de ses 51 agresseurs. A côté d'elle un visage juvénile : celui de son petit-fils Nathan, 18 ans. C'est aussi pour ses petits-enfants qu'elle a "mené ce combat". "Je respecte la cour et la décision du verdict", a ajouté celle qui est devenue une icône mondiale de la lutte contre les violences sexuelles. 

Un peu plus tôt dans la matinée, son ex-mari Dominique Pelicot, l'instigateur de sa décennie de supplice, a été condamné à la peine maximale de vingt ans de réclusion. Debout dans son box, l'homme de 72 ans accuse le coup, fixant ses pieds, les épaules lourdes. Puis se rassoit. Et le président prononce d'une traite, en 1h15, les peines de ses 50 coaccusés.

Une longue liste de peines

Il commence par Jean-Pierre M., le seul poursuivi pour plusieurs viols aggravés non pas sur Gisèle Pelicot, mais sur sa propre épouse, avec la participation de celui-ci. L'homme de 63 ans est condamné à douze ans de réclusion criminelle. Le ministère public avait réclamé dix-sept ans. On comprend d'emblée que les cinq magistrats de la cour criminelle du Vaucluse se sont démarqués du réquisitoire des deux avocats généraux. Dans une atmosphère particulièrement calme, le président poursuit et égrène des condamnations allant de trois ans de prison – dont deux avec sursis – à quinze ans de réclusion criminelle.

Chaque homme se lève, l'un après l'autre. Gisèle Pelicot se penche pour les regarder, se contorsionne pour apercevoir les 18 accusés détenus, serrés dans leur box, tout au fond de la salle. Parmi les accusés qui comparaissent libres, plusieurs ont gardé leur manteau, prêts à repartir aussitôt : 23 sont immédiatement emmenés en détention.

Pas de menottes à la barre : ils sont calmement exfiltrés dans deux salles annexes, chacun portant son sac contenant ses affaires. Aucune tension, pas de cris de colère. Un accusé lâche toutefois quelques larmes. Les enfants de Gisèle Pelicot ne semblent pas satisfaits, mais se contiennent. A l'image de Caroline Darian, qui pleure en silence, les bras croisés.  

La tension monte 

A l'extérieur, une tout autre atmosphère règne. Depuis les quatre salles de retransmission, des mères et des compagnes d'accusés fondent en larmes. Plusieurs s'exclament, sous le choc : "neuf ans, putain, neuf ans !", crie l'une d'elles. Quelques caméras les filment. Les insultes fusent de la part des femmes éplorées. Certaines veulent sortir s'aérer, mais n'osent pas, craignant la cohue à l'extérieur. 

Depuis le matin, une foule de journalistes s'est massée devant l'entrée du tribunal. Les premiers sont arrivés dès 5 heures. Près de 180 médias étaient accrédités pour couvrir l'événement, dont 86 étrangers pour un total de 350 journalistes, avec des duplex en anglais, espagnol, allemand, portugais, néerlandais et même en japonais. A 7h30, l'essentiel du contingent médiatique était sur place. Chacun guettant déjà l'arrivée de Gisèle Pelicot. Une femme est venue du Portugal pour la soutenir, une autre a fait le trajet depuis Cologne, en Allemagne.

"Justice pour Gisèle ! Justice pour les femmes !", crie soudainement une féministe, bien seule. Elle est bientôt rejointe par une dizaine d'autres. Toutes appartiennent au collectif des Amazones d'Avignon, qui donne de la voix depuis le 2 septembre."Violeur, ta bite dans un mixeur", "Case prison pour tous", est-il écrit sur les quelques panneaux qu'elles tiennent à bout de bras.

C'est vers 7h45 que les accusés arrivent, seuls ou par petites grappes. Les premiers passant inaperçus, rentrant d'un pas pressé, tête baissée, masque chirurgical sur le visage. D'autres sont rapidement repérés et tentent de se frayer un chemin dans la meute, sous les cris de "Violeurs, on vous voit !". Certaines militantes leur tendent des oranges, "pour leur séjour en prison". Une avocate de la défense est taxée de "pseudo-avocate". "Pseudo-féministes !", hurle-t-elle en retour. "C'est du délire", souffle un policier.

"Même pour Macron, j'ai jamais vu autant de journalistes !"

La sortie du verdict est encore plus tendue. Depuis l'aube, la foule a grossi, avec d'autres militantes, mais aussi des curieuses et quelques curieux. Et la décision des juges est jugée trop clémente par beaucoup. Certains des neuf accusés qui sortent libres (dont trois font l'objet d'un mandat de dépôt différé) empruntent les issues adjacentes. Mais d'autres décident de fendre volontairement l'attroupement. Ils sont copieusement invectivés, violemment bousculés. Une policière trébuche. 

Pas effrayé pour autant, Christophe Bruschi, un avocat de la défense, insulte les militantes féministes d'"hystériques" et de "furies". "Connard !", "Fils de pute !", répondent certaines. La situation dégénère, les policiers l'exfiltrent. Il revient ensuite se justifier devant les médias : "La contradiction, je l'accepte, mais avec le sourire et de manière non agressive"

Et puis, aux alentours de 13h15, Gisèle Pelicot sort à son tour. Un départ tardif, plus de deux heures après la fin du verdict : il a fallu attendre l'accord des services de police à l'extérieur. Pour la première fois, la septuagénaire fend la salle des pas perdus, entourée par les forces de l'ordre pour la protéger de la meute de journalistes."Même pour [Emmanuel] Macron, je n'ai jamais vu ça !", observe, amusé, un reporter habitué des meetings politiques.

A son arrivée en haut des marches du tribunal, elle est applaudie comme une rockstar. "Gisèle, Gisèle, Gisèle !", répète la foule en chœur. Derrière, ses fils et sa fille suivent, comme ils peuvent. Tout comme ses belles-filles, qui ont fait le déplacement. Le jeune Nathan semble amusé de la situation, mais aussi un peu effrayé. Anne-Sophie, la juriste de l'association France Victimes, qui accompagne Gisèle Pelicot depuis le début, a les larmes aux yeux. "C'est magnifique, je ne sais pas quoi dire", lâche la jeune femme, bouleversée.

"La honte change de camp !"

Gisèle Pelicot parcourt quelques mètres sur le trottoir, toujours entourée de la foule de caméras. On n'arrive même plus à distinguer son carré auburn. Bientôt, elle disparaît, à l'angle de la rue perpendiculaire au tribunal. Et rapidement, les journalistes se dispersent. 

La tension redescend. Le substitut de la procureure, chargé des relations avec la presse depuis le début du procès, semble abasourdi. Il a reçu une centaine de courriels et d'appels téléphoniques la veille du verdict. L'huissier, pris dans la foule quelques heures plus tôt pour acheminer les accusés dans le tribunal, rit nerveusement. Le policier qui a encadré les entrées et les sorties de la salle d'audience pendant 65 jours accuse le choc lui aussi : le procès des viols de Mazan est terminé. "Je suis ému, ça me fait quelque chose", confie-t-il.

Devant le tribunal, les invectives ont laissé place à la chorale féministe des Déferlantes, qui enchaîne les chants joyeux, en français et en catalan. Elles dansent, se prennent dans les bras. "La honte change de camp !", se réjouissent-elles en chœur. Elles se rappellent des mots de Gisèle Pelicot à la sortie du verdict : "J'ai confiance en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femme et homme, puisse vivre en harmonie dans le respect et la compréhension mutuelle".

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