"A l'étranger, Gisèle Pelicot sera aussi célèbre que Simone de Beauvoir" : comment le procès des viols de Mazan fascine les médias internationaux
"No more shame" ("Plus de honte"). A la une de l'édition allemande du magazine Vogue, le 25 novembre dernier, s'affichaient trois mots et un visage : celui de Gisèle Pelicot, crayonné dans les tons rouge orangé, à l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Le choix détonne pour la célèbre publication de mode, plus habituée à représenter des mannequins filiformes. "Dans le procès en cours contre son mari (et 50 autres hommes qui l'ont violée), Gisèle Pelicot montre l'importance de donner de la voix", rapporte la légende du post Instagram relayant le dessin, partagé par plus de 17 000 personnes.
Voilà l'effet Gisèle Pelicot. Celle dont "le courage et la dignité" ont été salués jusqu'au Chili par la présidente de la chambre des députés, le 21 novembre, lors d'un discours devant un hôte nommé Emmanuel Macron. La septuagénaire – qui a fêté ses 72 ans samedi 7 décembre – est scrutée par les médias du monde entier depuis qu'elle a fermement refusé le huis clos des audiences, acceptant que les vidéos des viols qu'elle a subis soient diffusées publiquement. Un acte qui l'a fait passer du statut de victime à celui d'héroïne. Et a donné au procès des viols de Mazan une ampleur inédite.
A son ouverture, le 2 septembre, une trentaine de médias nationaux, dont cinq étrangers, étaient accrédités pour couvrir l'événement. Trois mois après, pas moins de 165 titres, dont 76 étrangers, ont reçu le fameux badge d'accès à la petite salle d'audience du tribunal d'Avignon, qui d'ordinaire ne peut accueillir qu'une trentaine de journalistes. Peu importe : tous veulent capter les images de la retraitée applaudie chaque jour par une foule fidèle au rendez-vous.
A l'approche du verdict, prévu au plus tard le 20 décembre, les demandes d'accès se multiplient. Les dernières concernent la presse brésilienne et canadienne. Du jamais-vu pour un procès français : l'affluence internationale dépasse celle des procès des attentats terroristes de janvier et novembre 2015.
"Je sentais que ce serait énorme"
Le New York Times fait partie des premiers médias étrangers à avoir couvert l'affaire. Catherine Porter et Ségolène Le Stradic, deux de ses correspondantes à Paris, ont même préparé un article détaillé avant le début du procès. Son titre : "La France fait face à l'horreur d'une affaire de viol et de drogue avec le procès de 51 hommes". Publié le 2 septembre, au premier jour d'audience, il a été consulté par un million de lecteurs en 24 heures, rien que sur la version numérique du quotidien.
Le 3 septembre, Catherine Porter, se rend à Avignon pour suivre le procès. "[Des confrères de] France Bleu et TF1, visiblement étonnés, me demandent : 'Mais qu'est-ce que tu fais là ?'. Je leur réponds : 'Vous pensez que ce n'est pas assez important pour le New York Times ?'", relate cette journaliste rompue au suivi des affaires de viols aux Etats-Unis, au Canada et en Haïti, où elle a vécu plusieurs années. "Je sentais que ce serait énorme", confie-t-elle.
"Pour moi, il était évident que ce procès allait bouleverser la France."
Catherine Porter, correspondante pour le "New York Times"à franceinfo
Après cinq semaines d'audiences, plusieurs titres anglo-saxons de référence s'intéressent à leur tour à l'affaire, par le prisme sociétal. C'est le cas du Time Magazine qui se penche sur la ligne de défense des accusés : des hommes qui pensaient avoir l'accord de la victime parce qu'ils avaient celui de son mari. "En France. Au XXIe siècle", s'étrangle-t-on dans les colonnes du magazine. "L'affaire Pelicot montre" que "pas tous les hommes, mais n'importe quel homme (…) quel que soit son âge, sa profession, son statut marital", peut violer des femmes, observe de son côté le mensuel américain The Atlantic.
Si le procès trouve un certain écho dans la presse américaine, il faut tout de même en relativiser la portée. "C'est une histoire très suivie dans les cercles éduqués et progressistes", pointe la journaliste américaine indépendante Monique El-Faizy, qui prépare un livre sur le "Pelicot trial" (le "procès Pelicot") ou le "French mass rape trial" ("le procès de viols de masse en France"), comme on l'appelle aux Etats-Unis.
Un documentaire en préparation sur la BBC
En Europe, l'intérêt est immense. Outre-Manche, le Guardian met "toutes ses forces" sur l'affaire, souligne Angelique Chrisafis, l'une des deux correspondantes du quotidien britannique à Paris. L'actualité judiciaire est pourtant chargée depuis la rentrée, avec le procès de l'affaire des assistants parlementaires européens du Rassemblement national ou celui de la mort de Samuel Paty. "Mais le choix a été rapide", glisse la journaliste. Régulièrement présente à Avignon, elle reste sidérée par l'audience de ses articles, qui font partie des plus consultés du site de son média. "Dès que ça concerne le procès Pelicot, les lecteurs lisent jusqu'à la fin, même quand les contenus sont très longs".
Preuve que le sujet soulève de multiples questions à l'étranger, une de ses collègues a publié une investigation sur les viols par soumission chimique en Angleterre. Un autre journaliste, basé à New York, a enquêté pour le quotidien sur le site Coco, via lequel Dominique Pelicot a pris contact avec ses 50 coaccusés.
La BBC, qui a placé la victime dans sa liste des 100 femmes de l'année 2024, couvre également l'affaire. Le groupe audiovisuel public britannique prépare un documentaire fouillé, dont la diffusion est prévue juste après le verdict. Sa concurrente, la chaîne privée Channel 5, lui a emboîté le pas et vient de terminer le sien, diffusé en prime time sur toutes les télés du Royaume-Uni le 11 décembre. "Nous nous entretiendrons avec l'un des violeurs présumés afin d'entendre sa défense, dans l'une des affaires de viol les plus choquantes au monde", annonce le synopsis, relayé par Variety.
Le procès fait aussi l'objet d'un traitement plus voyeuriste par le sulfureux Daily Mail, qui avait envoyé deux reporters à Mazan dès 2023. Ceux-ci s'étaient étonnés que "ce crime effroyable" n'ait pas "dominé les bulletins d'information pendant des semaines" en France. Depuis le début du procès, trois journalistes du tabloïd britannique se relaient, désignant Dominique Pelicot comme "le monstre d'Avignon", et allant jusqu'à publier les noms des accusés ainsi que plusieurs photos d'eux, prises à la volée.
"Les gens se disent que ça aurait pu se passer partout"
Aux Pays-Bas, la télévision publique néerlandaise a diffusé un premier reportage le 19 octobre, relatant les grandes lignes de l'affaire dans sa tranche du soir, autour de 22 heures. Le sujet rencontre depuis un large écho, ce qui pousse sa réalisatrice Saskia Dekkers à être invitée "dans toutes les radios et les talk-shows" pour en parler. L'engouement est tel que la chaîne NPO a ouvert son "20 heures" du 25 novembre sur le procès.
Même engouement outre-Rhin. Parmi les journalistes étrangers accrédités, les Allemands sont les plus nombreux, avec une quinzaine de représentants. Après un premier article sur trois pages – intitulé "Gisèle : merci" (en français dans le texte) – dans l'hebdomadaire Der Spiegel, la correspondante du journal en France pensait que le soufflé retomberait. "Mais l'intérêt est resté constant : plus les gens lisent, plus ils veulent en apprendre [sur le sujet]", constate Britta Sandberg, à tel point que le magazine lui a commandé un podcast de quatre épisodes sur le sujet.
"Je ne peux pas me souvenir d'une affaire française qui ait pris autant de place en Allemagne."
Britta Sandberg, correspondante pour "Der Spiegel"à franceinfo
Le public allemand ressent "une proximité avec les faits", relève-t-elle. "On n'est pas dans les cercles éloignés de la politique ou du cinéma, comme avec les affaires [Dominique] Strauss-Kahn ou [Gérard] Depardieu. Ça se joue dans un village, ni précaire, ni riche, tout ce qu'il y a de plus normal. Les gens se disent que ça aurait pu se passer partout".
La journaliste a pu mesurer l'impact de ses articles quand, au milieu du procès, elle s'est rendue dans un petit village de 500 âmes de la campagne bavaroise, pour un rendez-vous avec sa banque. Le directeur l'aborde et lui confie suivre l'affaire dans les moindres détails. "Il faut que la honte change de camp !", lui lance-t-il, reprenant la fameuse phrase prononcée par Stéphane Babonneau, l'un des avocats de Gisèle Pelicot.
Gisèle Pelicot, "une protagoniste incroyable"
Au-delà des faits, la personnalité de la septuagénaire semble jouer dans l'hypermédiatisation de l'affaire. "C'est la découverte d'une héroïne du peuple qui s'est élevée en faisant quelque chose d'étonnant, de courageux", estime Britta Sandberg.
En Espagne, Raquel Villaécija, qui suit l'audience pour le quotidien El Mundo, évoquait d'abord "du procès Pelicot" dans les colonnes du journal. Mais rapidement, elle n'a plus mentionné que le prénom "Gisèle" dans les titres de ses comptes rendus. Les articles centrés sur la victime peuvent rester des heures durant sur la page d'accueil du site, tandis que ceux évoquant Dominique Pelicot sont plus vite éclipsés. "Elle suscite beaucoup plus d'intérêt que lui", constate la journaliste, qui se réjouit "qu'une femme de 72 ans, victime de viols de masse, soit portée aux nues". "C'est comme si ta grand-mère devenait une icône féministe, s'amuse-t-elle. Dans vingt ans, Gisèle Pelicot sera aussi célèbre que Simone de Beauvoir à l'étranger".
Pour sa consœur Catherine Porter, c'est justement parce qu'elle "n'est pas une féministe militante" que la victime touche autant de monde. "Elle a une analyse hyper claire, ne donne pas d'interview, s'exprime juste ce qu'il faut, quand il faut", souligne la correspondante du New York Times, ajoutant que "son charisme" transparaît sur chaque photo. La journaliste résume : "à cette histoire incroyable s'ajoute une protagoniste incroyable".
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