Procès des assistants parlementaires du FN : cinq ans de prison dont trois avec sursis et cinq ans d'inéligibilité requis contre Marine Le Pen
Marine Le Pen est désormais fixée sur ce que réclame l'accusation à son encontre. Après un mois et demi d'audience au tribunal correctionnel de Paris, le parquet a égrené, mercredi 13 novembre, les peines réclamées dans le cadre du procès des assistants parlementaires du Front national (l'ancien nom du Rassemblement national). Les procureurs Nicolas Barret et Louise Neyton ont requis contre la cheffe de file du RN cinq ans de prison, dont trois avec sursis, peine qui demeure aménageable, 300 000 euros d'amende, et cinq ans d'inéligibilité, avec exécution provisoire. L'accusation souhaite par ailleurs que le parti, poursuivi comme personne morale pour complicité de détournement de fonds publics européens, soit condamné à une amende ferme de 2 millions d'euros.
D'autres figures politiques sont aussi visées par de lourdes réquisitions : 18 mois de prison, dont 12 avec sursis, 30 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité avec exécution provisoire contre Louis Aliot, maire de Perpignan ; 10 mois de prison avec sursis, 20 000 euros d'amende et un an d'inéligibilité avec exécution provisoire contre Julien Odoul, aujourd'hui député de l'Yonne ; 18 mois de prison, dont 12 avec sursis, 30 000 euros d'amende, et trois ans d'inéligibilité avec exécution provisoire contre Nicolas Bay, eurodéputé passé chez Reconquête ; trois ans de prison, dont deux ans avec sursis, 200 000 euros d'amende et cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire contre Bruno Gollnisch, ex-eurodéputé et ancien bras droit de Jean-Marie Le Pen.
Une exécution provisoire de l'inéligibilité requise pour éviter "la récidive"
Au total, les procureurs ont demandé une peine d'inéligibilité avec exécution provisoire pour les 25 prévenus jugés dans cette affaire (dont neuf ex-eurodéputés frontistes, leurs 12 anciens assistants parlementaires, des experts-comptables et le trésorier), au nom de "la prévention de la récidive" et de "la protection de l'ordre public". Cette peine complémentaire est obligatoire depuis la loi dite "Sapin 2", entrée en vigueur le 11 décembre 2016, soit à 20 jours près dans la période des faits reprochés (2004-2016). L'exécution provisoire la rendrait effective malgré les recours, si le tribunal suivait ces réquisitions. De quoi assombrir l'avenir politique de Marine Le Pen, elle qui entend se présenter à l'élection présidentielle en 2027.
Selon le parquet, la prévention de la récidive se justifie car les faits ont été commis sur plusieurs années et "interrompus seulement par la plainte du Parlement européen". De plus, "le FN/RN a déjà été condamné pour des faits de détournement de fonds".
"Tout est fait pour repousser la décision de justice et son exécution. Or, pour être efficace et avoir du sens une peine doit intervenir dans un délai raisonnable. (...) Nous ne sommes pas ici dans une enceinte politique mais judiciaire, vous appliquerez le droit et la loi."
Le procureur Nicolas Barret,lors du réquisitoire
"Le parquet est extrêmement outrancier dans ses réclamations, notamment sur l'exécution provisoire dont il veut frapper l'ensemble de ceux qui sont poursuivis", a réagi Marine Le Pen devant la presse, en dénonçant "la violence" des réquisitions. "Je souhaite que le tribunal ne suive pas le parquet." La semaine dernière, elle avait exprimé ses craintes d'une telle peine à la barre : "Vous comprenez bien que dans le cas qui me concerne, une automaticité a évidemment des conséquences extrêmement graves. Cela aurait pour effet de me priver d'être candidate à la présidentielle, voilà."
Un "mépris pour l'emploi de fonds publics"
Pendant près de dix heures, les deux procureurs ont listé tour à tour les éléments démontrant, selon eux, la stratégie d'"enrichissement" du parti, "qui a financé avec des emplois fictifs", "sur plus de dix années", "sa propagande et son développement à hauteur de plus de 4 millions d’euros au préjudice de la vie démocratique". Louise Neyton a fustigé un "mépris pour l'emploi de fonds publics issus de la poche même de leurs électeurs". "Ils se moquent éperdument de l'illégalité de leurs actes, ils ne regrettent que d'avoir été pris", a-t-elle lancé.
"Les faits qui vous sont soumis présentent un caractère inédit par leur ampleur, leur durée et le caractère organisé, systémique et systématique de leur commission."
La procureure Louise Neytonlors du réquisitoire
Balayant l’argument de l'"acharnement politique" agité depuis le début de l’affaire par les mis en cause, les magistrats ont rappelé que les règles entourant le rôle de l'assistant parlementaire avaient toujours été les mêmes, contrairement à cette sortie de Jean-Marie Le Pen pendant l'enquête : "Un beau jour on se met à réglementer et on pinaille !"
"Le député européen ne peut pas faire un libre usage de son assistant parlementaire sinon cela est constitutif de détournements de fonds publics", a martelé le procureur Nicolas Barret. Une manière de répondre à la ligne de défense dictée, selon la partie civile, par Marine Le Pen à ses co-prévenus, à savoir que la fonction d'un assistant est "politique" et sert ainsi au parti.
"Une reconstruction a posteriori"
Une ligne de défense d'équilibriste, certains tandems d'eurodéputés et assistants ayant tout de même tenté de prouver qu'ils avaient bien travaillé ensemble, à coup de revues de presse parfois antidatées. "Une reconstruction a posteriori", selon Nicolas Barret, aucune "preuve de travail" solide n'ayant été "retrouvée".
"La preuve de travail [des assistants], si elle n'est pas retrouvée, ce n'est pas parce qu'elle n’est pas conservée mais parce qu'elle n'existe pas. 'On ne s'envoie pas de mail, on se voit de visu une fois par semaine', nous a-t-on dit. Soyons sérieux!"
Le procureur Nicolas Barret,lors du réquisitoire
D'autres mails saisis par la justice attestent en revanche, selon l'accusation, du projet de "réaliser des économies grâce au Parlement européen", avec pour "donneur d’ordre" Marine Le Pen. Ayant pris la relève de son père en 2011 à la tête du parti et du "système" de détournement, selon le parquet, celle-ci apparaît au coeur du dispositif, comme en témoigne cet échange, cité par Louise Neyton, entre un eurodéputé et l'ex-trésorier Wallerand de Saint-Just : "Ce que Marine [Le Pen] nous demande équivaut à ce qu'on signe pour des emplois fictifs", "Je crois bien que Marine sait tout cela…".
Désormais seule responsable sur le banc des prévenus, Jean-Marie Le Pen, son père de 96 ans n'étant pas en état d'être jugé en raison de son état de santé, l'actuelle cheffe de file des députés RN sera fixée sur son sort dans quelques mois, la décision devant être rendue au premier trimestre 2025.
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