Affaire des viols de Mazan : comment l'attitude de Gisèle Pelicot a déjà donné au procès une dimension historique et internationale

Article rédigé par Catherine Fournier, Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Gisèle Pelicot et son avocat Stéphane Babonneau devant la presse, au tribunal d'Avignon (Vaucluse), le 5 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
La combativité de la victime et ex-épouse du principal accusé, qui a refusé le huis clos et témoigné publiquement jeudi, participe du retentissement de cette audience, où 50 autres hommes sont jugés pour l'avoir violée alors qu'elle était droguée et inconsciente.

Son visage est désormais connu dans le monde entier. Carré châtain et lunettes de soleil, Gisèle Pelicot, dont le patronyme se réduisait encore à l'initiale "P." quelques jours plus tôt, a été propulsée dans la lumière depuis l'ouverture du procès des viols de Mazan, lundi 2 septembre à Avignon (Vaucluse). Son mari et 50 co-accusés comparaissent pour avoir abusé d'elle pendant dix ans alors qu'elle était droguée et inconsciente. Depuis l'ébruitement de l'affaire en 2020, cette épouse était restée dans l'ombre généralement réservée aux victimes de violences sexuelles. C'est sa fille, Caroline Darian, qui avait porté le flambeau de la médiatisation au travers d'un livre et d'interviews sur le phénomène de la soumission chimique

Cette femme de bientôt 72 ans a pris le relais au premier jour de l'audience, en refusant le huis clos auquel elle avait droit. "Il faut que la honte change de camp", a martelé l'un de ses avocats, Stéphane Babonneau. Un courage salué par l'autrice Lola Lafon dans Libération, qui compare "Gisèle" aux athlètes olympiques que la France a admirés tout l'été : "On aura fêté et célébré le courage, la force, la capacité à dépasser ses limites. Aujourd'hui, une femme s'apprête à accomplir un exploit." Selon l'autrice de Chavirer, cette victime, en exposant son calvaire à la face du monde, "vient confirmer la fin d'un mythe qui a tous les atours d'un déni collectif : le mythe du monstre".

"Le procès de Mazan se distingue par le nombre des accusés, mais il est temps de cesser d'invoquer le caractère ‘particulier' de cette affaire, en la qualifiant de fait divers ‘hors norme'. Cette affaire est le miroir grossissant de tout viol conjugal, ce crime si peu entendu, si peu reconnu."

Lola Lafon

dans "Libération"

Dans la salle bondée de la cour criminelle d'Avignon, Gisèle Pelicot se retrouve face à son ex-mari, Dominique Pelicot, dont elle a récemment divorcé, et aux dizaines d'hommes jugés pour l'avoir violée alors qu'elle était inconsciente. Pompier, artisan, infirmier, gardien de prison ou encore journaliste… La majorité des accusés sont venus une fois, dix plusieurs fois et, pour certains, jusqu'à six fois. Seuls 14 d'entre eux ont reconnu les faits reprochés. Et trois ont présenté leurs excuses à la victime. "Ayez au moins une fois dans votre vie la responsabilité de vos faits", leur a-t-elle lancé jeudi.

"Je tiens à ce qu'on m'appelle Gisèle Pelicot"

Grâce à la publicité des débats, les mots puissants de Gisèle Pelicot ont résonné dans la salle et bien au-delà. Repris par les journalistes des 36 médias accrédités, ils ont fait la une de la presse internationale. "J'ai été sacrifiée sur l'autel du vice", titre le quotidien britannique The Guardian. "Il n'a eu aucune pitié, aucune pitié du tout", reprend le quotidien indien Hindustan Times, alors que l'Inde est régulièrement confrontée à de retentissantes affaires de viol collectif. "Ils m'ont traitée comme une poupée de chiffon, un sac poubelle", retient de son côté le quotidien espagnol El Mundo. Le New York Times cite pour sa part cette phrase prononcée à l'adresse de toutes les autres victimes potentielles de soumission chimique : "Lorsque d'autres femmes se réveilleront sans aucun souvenir, elles se souviendront peut-être du témoignage de Mme Pelicot."

"J'ai tenu pour ces quatre mois de procès. Ce n'est pas pour moi que je témoigne, mais pour toutes ces femmes qui subissent la soumission chimique." 

Gisèle Pelicot

devant la cour criminelle d'Avignon

C'est lors de ce premier témoignage que cette mère et grand-mère a tenu à ce qu'on l'appelle par son nom. "Je tiens à ce qu'on m'appelle Gisèle Pelicot, en solidarité avec mes enfants", a-t-elle déclaré après avoir détaillé ces années de "torture" sans ciller, alors que tous les détails de sa vie intime ont été dévoilés devant la cour.

A leur tour, ses trois enfants ont fait savoir à l'AFP, jeudi, qu'ils souhaitaient désormais que leur nom de famille soit publié par la presse. "Plus que jamais, ils sont fiers de leur mère", ont fait valoir leurs avocats, Stéphane Babonneau et Antoine Camus. Quant aux petits-enfants, "c'est une fierté pour eux d'être les petits-enfants de Gisèle Pelicot. Pour eux, il importe que cela devienne une fierté dans la cour de récréation de porter ce nom, qui aujourd'hui était celui du courage incarné et de la force sur la vie", a ajouté Antoine Camus.

"Vous marchez droit, la tête haute"

Bien que Gisèle Pelicot souhaite reprendre son nom de jeune fille à l'issue des débats, l'histoire retiendra sans doute ce patronyme comme étant celui de la victime et non celui de l'accusé. C'est en tout cas cette démarche combative – elle s'est elle-même comparée à une "boxeuse" – et publique qui semble avoir donné cette tournure historique et internationale au procès dès la première semaine. "Chère Gisèle Pelicot, vous êtes entrée dans nos vies comme au tribunal d'Avignon, par la grande porte. Vous marchez droit, tête haute", écrit Hélène Devynck dans une tribune publiée par Le Monde. A l'instar de Lola Lafon, la journaliste, qui fait partie des plaignantes dans l'affaire PPDA, pointe la "banalité des profils" des accusés, "une réalité difficile à accepter" pour l'opinion.

"Ce n'est pas seulement vous, Gisèle, qu'ils ont traitée comme une chose. Ils nous disent, à toutes, notre insignifiance. Votre force nous rend la nôtre. Merci pour ce cadeau immense."

Hélène Devynck

dans "Le Monde"

Dans le hall du tribunal, des militantes féministes remercient Gisèle Pelicot de ne pas avoir demandé le huis clos, comme on peut le voir sur des images de l'émission "Quotidien". La députée Sandrine Josso, qui accuse le sénateur Joël Guerriau de l'avoir droguée en vue de l'agresser sexuellement ou de la violer, a aussi fait le déplacement. Elle confie aux journalistes avoir été "bouleversée aux larmes" par le témoignage de Gisèle Pelicot. A distance, l'influenceuse Nabilla, ex-star de la téléréalité, avait lancé une cagnotte de soutien intitulée "Nouvelle vie pour Gisèle Pelicot", afin de "participer aux frais de justice et de l'aider à traverser cette terrible épreuve". Ouverte jeudi soir, elle a été fermée vendredi à la demande de la victime.

Par la voix de leurs avocats, Gisèle Pelicot et sa famille "remercient toutes les personnes qui ont envoyé massivement du monde entier des témoignages de soutien depuis le début du procès". Mais la principale intéressée, là encore, semble presque s'oublier pour l'intérêt supérieur du procès, dont elle souhaite "préserver la dignité et la sérénité des débats". Elle appelle à "la plus grande modération sur les réseaux sociaux". A la barre, c'est sa fille Caroline qui a pris la relève vendredi matin et raconté le "cataclysme" subi par sa famille. L'épilogue d'une semaine qui a déjà fait entrer le "procès des viols de Mazan" dans les annales judiciaires.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.