Procès des viols de Mazan : "J'ai été sacrifiée sur l'autel du vice", témoigne Gisèle Pelicot, droguée par son mari et livrée à des inconnus

La principale victime du procès qui s'est ouvert lundi à Avignon est revenue sur ce jour de novembre 2020, lorsque sa vie a basculé en apprenant l'impensable. Son mari la droguait depuis neuf ans et la faisait violer dans son sommeil par des dizaines d'hommes.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Gisèle Pelicot au tribunal d'Avignon (Vaucluse), le 5 septembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)

Elle commence par remercier le commissaire qui a chapeauté l'enquête. "Je pense qu'il m'a sauvé la vie", déclare Gisèle Pelicot, jeudi 5 septembre, devant la cour criminelle du Vaucluse à Avignon, au quatrième jour du procès dit "des viols de Mazan". Mazan, c'est le petit village au pied du mont Ventoux, où vivait cette retraitée, aujourd'hui âgée de 71 ans, avec son mari, Dominique Pelicot, depuis mars 2013. Jusqu'au "traumatisme", au "tsunami", à la "déflagration".

Comment raconter le moment où votre vie vole en éclats ? Comment expliquer ce que l'on ressent lorsqu'on vous apprend que le père de vos trois enfants, avec qui vous avez partagé cinquante ans de vie commune, vous a livré à des dizaines d'hommes pour vous faire violer ? Pendant plus d'une heure, Gisèle Pelicot a réussi à détailler, sans ciller, son calvaire.

Elle revient d'abord sur ce 12 septembre 2020, quand elle découvre "monsieur Pelicot" en pleurs. "J'ai fait une bêtise", lui dit-il, expliquant avoir été surpris dans un supermarché de Carpentras en train de filmer sous les jupes de clientes. Sidérée, elle décide tout de même de lui pardonner. "Tu vas t'excuser auprès de ces femmes et tu vas te faire suivre psychologiquement", lui impose-t-elle. Elle imagine alors l'affaire classée.

A ce moment-là, Gisèle Pelicot a d'ailleurs fort à faire avec ses sept petits-enfants : elle part pour Paris, s'occuper d'une partie de la troupe. Et puis, sa santé la préoccupe : elle a "un souci gynécologique" et demande à sa fille de lui prendre un rendez-vous avec un médecin. "Mais qu'est-ce que tu fais de tes journées ?", lui lance son mari au téléphone, d'un ton amusé.

"Je vais vous montrer des choses qui ne vont pas vous faire plaisir"

A son retour à Mazan, le 21 octobre, Dominique Pelicot l'attend : il lui a préparé son repas dès 16 heures. "Un écrasé de pommes de terre." Elle se réveille le lendemain sans aucun souvenir de sa soirée. C'était en fait l'ultime viol organisé par son mari, qui avait, comme à son habitude, caché des pilules de Temesta (un anxiolytique) dans sa nourriture pour l'endormir. "Je me dis : ça y est, ça recommence". Voilà dix ans que Gisèle Pelicot souffre d'absences, de trous noirs, qui la rendent très anxieuse. Dix ans d'errance médicale qui vont trouver une explication impensable.

Le 2 novembre, elle est attendue au commissariat. Elle pense s'y rendre pour témoigner dans l'affaire des vidéos prises à l'insu de clientes du supermarché. Entendue par le commissaire avec lequel elle avait échangé par téléphone, elle s'étonne de ses questions. Pendant plus d'une heure, on lui demande si elle a une sexualité normale, si elle pratique l'échangisme. "Je dis : 'Ecoutez, non'. Un seul homme pouvait me toucher, c'était monsieur Pelicot. Je ne pouvais supporter que les mains de monsieur Pelicot sur mon corps", déclare la septuagénaire, qui se décrit comme "une femme assez pudique".

Le commissaire poursuit et la prévient : "Je vais vous montrer des choses qui ne vont pas vous faire plaisir." Il lui présente une photo d'elle, en train d'être violée par un homme. "Je ne reconnais pas l'individu, ni la femme", se remémore-t-elle devant la cour criminelle. Devant l'insistance du policier, elle finit par se reconnaître. "Je suis habillée d'une manière qui ne me ressemble pas". Elle ne reconnaît toutefois pas l'homme. Il lui montre une deuxième, puis une troisième photo. "Je lui dis : 'On arrête. On est en train de me violer, ce sont des scènes de barbarie'", relate-t-elle à la barre. Elle est en état de choc. "Le traumatisme est immense, je n'ai qu'une envie, c'est de rentrer chez moi, me réfugier avec mon petit chien", raconte Gisèle Pelicot.

"Je n'ai qu'une envie : disparaître" 

"Mon monde s'écroule, tout s'effondre, tout mon édifice. On a eu trois beaux enfants, sept petits enfants, je croyais qu'on était un couple fusionnel. Même nos amis disaient : 'vous êtes le couple idéal'", poursuit-elle, s'exprimant avec précision et simplicité. On lui propose de voir d'autres vidéos, elle refuse. On lui prélève quelques cheveux, les policiers la raccompagnent à son domicile, qu'elle retrouve sens dessus dessous, après une perquisition. Les enquêteurs ont cherché, en vain, les médicaments utilisés pour la droguer. Elle est accompagnée d'une amie, à la demande des policiers, afin qu'elle ne reste pas seule.

"A ce moment-là, je n'ai qu'une envie, c'est disparaître. Je me dis : je prends la voiture avec mon chien et je vais en terminer. Ça dure 10 secondes, [puis] je pense à mes enfants, mes petits-enfants", raconte Gisèle Pelicot. Elle appelle ses trois enfants, pour les prévenir. Commence par l'aînée, Caroline. "J'entends une bête, j'entends ma fille hurler comme une bête". Elle informe ensuite ses fils, David et Florian : "Ils n'ont pas du tout la même réaction que leur sœur, ils sont dans la pudeur. Je ne sais pas s'ils ont bien compris." Dans les heures qui suivent, ses enfants l'appellent toutes les demi-heures. "Maman, ne disparais pas", supplient-ils. "Ils sont inquiets pour ma vie, ils ont peur que je ne tienne pas".

Le lendemain, les policiers lui annoncent que Dominique Pelicot a avoué qu'il cachait les boîtes de Temesta dans des chaussures de randonnée. "Je suis comme un boxeur qui tombe et chaque fois, je dois me relever", commente Gisèle Pelicot, stoïque. Le commissaire de Carpentras lui demande de quitter sa maison et même la région, car les hommes venus la violer connaissent son adresse. "C'est hyper angoissant, je suis complètement perdue", décrit-elle. Elle remplit deux grosses valises et part trouver refuge chez ses enfants, en région parisienne. "Tout ce qui me reste, c'est mon chien. On part à la gare, je suis dévastée… Comment vais-je pouvoir me relever ?"

"Ils me voient comme une poupée de chiffon, un sac-poubelle"

Elle organise son déménagement comme elle peut, veut se débarrasser de tout ce qui reste de sa vie avec Dominique Pelicot. Après plusieurs mois entourée de ses enfants, elle demande si elle peut s'installer dans la résidence secondaire de sa fille et de son gendre. "J'avais besoin d'être seule pour recréer ma vie à moi", décrit-elle. Dans ce nouveau lieu de vie, qu'elle garde secret, elle se reconstruit, petit à petit, depuis septembre 2021. Elle a fini par trouver un petit logement, qu'elle a "joliment décoré". "J'ai commencé à lier des amitiés, à être invitée pour le café", raconte-t-elle avec une pointe de sourire. "Mes amis m'entourent, ils sont là, mes enfants aussi. Ils ne me lâchent pas", poursuit-elle, précisant toutefois que les relations avec sa fille Caroline ont été compliquées, celle-ci ne comprenant pas que sa mère ne veuille pas se confronter au dossier.

Gisèle Pelicot a fini par accepter de visionner les vidéos retrouvées par les policiers en mai, à la demande de son avocat, pour préparer le procès. "C'est des scènes de viols insoutenables où ils sont parfois deux, trois sur moi. Je suis inanimée, anesthésiée, c'est insupportable", lance-t-elle face à la cour dans une colère froide. "J'ai été sacrifiée sur l'autel du vice", poursuit-elle. "On voit cette femme droguée, maltraitée, qui est une morte sur son lit. Le corps n'est pas froid, le corps est chaud. Mais je suis comme morte. Ils profitent de moi, ils ne se disent pas que cette femme est en détresse, ils me voient comme une poupée de chiffon, un sac-poubelle", lance-t-elle, chargeant les multiples accusés. Seuls 14 des 48 accusés présents ont reconnu les faits reprochés. Trois ont présenté leurs excuses à la victime.

"J'ai tenu pour ces quatre mois de procès. Ce n'est pas pour moi que je témoigne, mais toutes ces femmes qui subissent la soumission chimique. Le jour où une femme se lèvera, et ne se rappellera pas ce qu'elle a fait la veille, elle se dira : tiens, j'ai entendu le témoignage de madame Pelicot. C'est pour ça que je témoigne, pour que plus aucune d'elles n'ait à subir la soumission chimique", lance-t-elle dans la salle silencieuse. Au président qui l'interrogeait sur son état actuel, Gisèle Pelicot résume, en conclusion : "La façade est solide, mais l'intérieur est un champ de ruines."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.