Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, la collégienne qui avait accusé le professeur présente ses excuses et retrace "un engrenage de mensonges"
C'était une parole attendue au procès de l'assassinat de Samuel Paty. Zohra* Chnina, l'adolescente qui avait prétendu que son professeur d'histoire-géographie avait montré des caricatures de Mahomet nu, publiées dans Charlie Hebdo, et demandé aux élèves musulmans de sortir de classe s'ils étaient choqués, a témoigné face à la cour d'assises spéciale de Paris, mardi 26 novembre. Il y a près d'un an, l'ancienne collégienne avait été confrontée à la justice pour ce "mensonge répété" qu'elle a reconnu. Elle avait été condamnée à 18 mois de mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Depuis le 4 novembre, c'est son père, Brahim Chnina, qui se trouve dans le box des accusés renvoyé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il lui est reproché notamment d'avoir lancé, avec le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, une campagne de cyberharcèlement contre Samuel Paty, en suscitant "un sentiment de haine".
Aujourd'hui, sa fille, âgée de 17 ans, cheveux relevés en queue de cheval par un ruban blanc, en tenue d'écolière, jupe plissée et bottines noires, raconte à la barre comment elle s'est retrouvée exclue du collège pour deux jours, en raison de son "comportement inadapté" au sein de l'établissement. Quand sa mère l'apprend, le 7 octobre 2020, elle est "furieuse" et l'appelle. Pour se justifier et éviter "de décevoir" ses parents, l'adolescente décide de mentir. Elle se souvient de propos tenus par deux copines, qui viennent de lui parler des dessins de Mahomet projetés en classe la veille et de l'attitude supposée de Samuel Paty envers les élèves de confession musulmane.
"Mon mensonge tenait et tout le monde me croyait"
"Sur le coup de la panique et du stress, je lui ai dit que j'étais exclue car j'étais à un cours, que je n'étais pas d'accord, qu'on avait vu des caricatures, etc.", explique Zohra face à la cour. En réalité, le mardi 6 octobre 2020, l'élève de 13 ans était absente du collège à cause de règles douloureuses. C'est le point de départ de la rumeur, qui enfle avec la vidéo réalisée par Abdelhakim Sefrioui, le jeudi 8 octobre. Ce jour-là, le prédicateur islamiste accompagne Brahim Chnina à la sortie du collège et se présente comme un journaliste.
Quatre ans plus tard, lui aussi se retrouve parmi les accusés. "Il m'a demandé s'il pouvait me filmer. Il n'était pas méchant, j'ai accepté juste si on ne voyait pas mon visage", relate Zohra, qui a "re-raconté" son "mensonge" face au téléphone portable du prédicateur. Des images qui deviennent virales une fois postées sur les réseaux sociaux. Le soir même, père et fille se rendent au commissariat pour porter plainte pour discrimination. "Mon mensonge tenait et tout le monde me croyait", se désole Zohra Chnina. Huit jours plus tard, l'ado le raconte encore une fois par téléphone à son ami Karim*. L'adolescent vient d'être abordé par Abdoullakh Anzorov, le terroriste qui cherche Samuel Paty pour le poignarder et le décapiter peu après, à quelques rues de la sortie du collège.
"J'ai détruit votre vie"
En achevant sa déclaration devant les juges, Zohra tient à présenter des excuses, pour la première fois, auprès de la famille de Samuel Paty. "J'ai détruit votre vie, je me plains de pas avoir vu mon père depuis quatre à cinq mois, mais vous, ça fait plus de quatre ans que vous ne l'avez pas vu", déclare-t-elle en triturant un bout de papier entre ses doigts. "Je tenais à m'excuser auprès des professeurs pour mon comportement et mon mensonge qui nous a tous ramenés ici", "auprès des personnes qui sont dans le box car sans mon mensonge elles ne seraient pas ici", ajoute la jeune fille, qui se met à pleurer. Elle renifle et présente à nouveau des excuses, cette fois à son père, qui l'écoute avec attention, assis dans le box des accusés.
Le président de la cour d'assises spéciale reprend sur un ton professoral, posant une salve de questions. Les réponses de Zohra sont courtes : "Non", son père n'a "jamais" été violent avec elle. "Non", elle ne craignait pas d'être frappée. Alors pourquoi avoir continué à mentir, y compris pendant 30 heures en garde à vue ? "J'étais juste dans un engrenage de mensonges", "Je n'arrivais pas à dire aux policiers que c'était faux", souffle la jeune fille, qui concède avoir eu "peur". "Vous vous en voulez à vous, mais pas aux adultes ?", insiste le magistrat. "Non. Je ne peux m'en vouloir qu'à moi-même, sans mon mensonge il n'y aurait pas eu tout ça."
"C'est un affront"
Le ton de la déposition prend des allures de récitation. Virginie Le Roy, l'une des avocates de la famille de Samuel Paty, s'interroge sur les excuses formulées par Zohra, "qui n'étaient pas arrivées" en 2023 devant le tribunal pour enfants. "Il y a un an, j'ai tenté, je n'ai pas réussi comme il fallait. Aujourd'hui c'est la dernière fois que je prends la parole comme ça, donc ça me tenait à cœur", répond avec aplomb la jeune fille, qui conserve son calme. L'avocate est "surprise" de cette "volte-face" et rétorque que ces déclarations ne peuvent pas "avoir de valeur s'il n'y a pas de vérité et d'authenticité". "C'est un affront", estime en marge de l'audience Virginie Le Roy.
Gaëlle Paty, la sœur de l'enseignant tué, se dit "en colère contre la jeune fille qu'elle est devenue". Elle ajoute face à la caméra de France Télévisions : "Elle n'a fait aucun chemin de vérité." Le père de Zohra était-il "en capacité de savoir" que sa fille mentait, comme le demande l'un des avocats de Brahim Chnina ? Zohra assure que non. "Comme je vous l'ai dit, j'abusais de sa naïveté et de sa gentillesse", répond-elle du tac au tac. Frank Berton, second avocat de l'accusé de 52 ans, lui intime de le regarder. "Il a changé votre père ?" Zohra se tourne vers lui. "Oui." "Il a vieilli ?" Cette fois, la jeune fille fond en larmes. L'interrogatoire de son père est prévu lundi 2 décembre.
* Les prénoms ont été changés.
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