"On pensait qu'il allait le frapper" : au procès de l'assassinat de Samuel Paty, deux anciens collégiens racontent comment ils ont désigné le professeur au terroriste
"Je regrette, je ne vais pas vous mentir, j'ai fait une erreur." Désormais majeur, Karim*, ancien élève du collège du Bois d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), a présenté ses excuses, lundi 18 novembre, à la famille de Samuel Paty. Ce n'est pas la première fois que le jeune homme se retrouve dans une enceinte judiciaire : il a été condamné il y a près d'un an par un tribunal pour enfants pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées. A l'issue du procès de six mineurs, qui s'est totalement déroulé à huis clos, il avait écopé de deux ans de prison, dont six mois ferme aménagés sous bracelet électronique, assortis d'un suivi socio-judiciaire.
Cette fois, Karim, cheveux bouclés à hauteur d'épaules, fine moustache et barbe éparse, vêtu d'un sweat noir à capuche, s'exprime en tant que témoin face à la cour d'assises spéciale de Paris, devant laquelle sont renvoyés huit accusés pour leur implication, à divers degrés, dans le projet du terroriste qui a poignardé puis décapité le professeur d'histoire-géo à la sortie de l'établissement. "Il ne s'agit pas de refaire le procès mais la cour a besoin de vous entendre sur un certain nombre de points", précise le président. Une manière de faire baisser d'un cran la tension qui règne avant que l'ex-collégien, aujourd'hui sans emploi, ne retrace sa version des faits.
"C'était juste pour l'argent"
"J'ai fini l'école, un monsieur est venu me voir. Il m'a proposé de l'argent en échange de lui montrer le prof. J'ai accepté", concède d'une voix égale Karim, âgé de 14 ans et scolarisé en classe de quatrième au moment des faits, à l'automne 2020. Une motivation pécuniaire sur laquelle il insiste tout au long de son témoignage : "C'était juste pour l'argent." "Sincèrement je n'ai pas du tout réfléchi", assure le jeune homme, qui précise un peu plus tard qu'Abdoullakh Anzorov lui a proposé "350 euros en deux temps". "On lui a dit que le prof était là et ensuite il s'est passé ce drame-là", ajoute-t-il en levant légèrement les yeux au ciel.
Le "monsieur" dont il parle, c'est Abdoullakh Anzorov, un réfugié de 18 ans originaire de la République russe de Tchétchénie, qui sera abattu par la police après avoir assassiné Samuel Paty. Un jeune homme d'apparence "normale" aux yeux de Karim.
"Il m'a dit : 'C'est pas bien ce qu'il a fait, de montrer une caricature'."
Karimdevant la cour d'assises spéciale de Paris
"Il vous explique pourquoi il le cherche ?" interroge le président de la cour, Franck Zientara. Le jeune témoin acquiesce. "Est-ce qu'il vous dit ce qu'il veut faire ?" poursuit le magistrat. "Filmer Monsieur Paty et que Monsieur Paty s'excuse de ce qu'il a fait." Franck Zientara insiste : "Vous pensiez que ça allait mal finir ?" "On pensait tous qu'il allait le frapper", avoue Karim, qui reconnaît avoir pensé "à une bagarre, mais jamais à ça", sans jamais prononcer le mot assassinat ou décapitation.
"Pourquoi ça tombe sur moi ?"
A la demande d'Abdoullakh Anzorov, Karim n'hésite pas à appeler et mettre sur haut-parleur Zohra* Chnina, la collégienne qui avait accusé Samuel Paty d'avoir montré des caricatures de Mahomet jugées obscènes. L'adolescente de 13 ans, en réalité absente du collège le jour du cours, a été condamnée au même moment que Karim à dix-huit mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Son père, Brahim Chnina, figure aujourd'hui parmi les accusés jugés devant la cour d'assises spéciale de Paris pour association de malfaiteurs criminelle terroriste.
Lors de cette conversation téléphonique, Zohra parle des caricatures de Mahomet, comme le confirme Sami*, un autre collégien entendu dans la matinée. "Karim lui a dit de raconter ce qu'il s'est passé en cours, qu'elle s'est fait exclure du cours à cause du professeur", expose le jeune homme, aujourd'hui âgé de 19 ans et scolarisé en terminale. Lui a été condamné à une peine de vingt mois de sursis probatoire le 8 décembre 2023.
"Il nous disait qu'il voulait voir le professeur pour se venger."
Samidevant la cour d'assises spéciale de Paris
L'ancien collégien tente tant bien que mal de rassembler ses souvenirs : "On parlait d'injustice, tout le monde était remonté par rapport à ça. Comme il y avait une vidéo, ça rendait la chose vraie."
"Une caricature, c'est juste un dessin pour moi", lâche de son côté Karim, qui assure ne pas avoir pris la mesure de l'ampleur de la situation. Il tord ses mains, les met devant son visage, se cache les yeux, étouffe quelques larmes puis se reprend. "Pourquoi ça tombe sur moi ?", demande-t-il d'une voix qui tremble. Face aux questions pressantes de l'avocate Hiba Rizkallah, qui défend Naïm Boudaoud, l'un des proches de l'assaillant accusé de complicité d'assassinat terroriste, le jeune homme peine à répondre. Au moment où il quitte la salle, l'avocate s'indigne et affirme qu'il vient de la menacer. Un moment de tension qui finit par s'apaiser après une courte suspension d'audience.
* Les prénoms ont été changés.
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