Procès de l'assassinat de Samuel Paty : qui sont les huit accusés jugés à partir de lundi devant la cour d'assises spéciale de Paris ?
Un deuxième procès, quatre ans après l'assassinat du professeur Samuel Paty. Alors que six mineurs ont été condamnés par un tribunal pour enfants, fin 2023, le procès de huit adultes s'ouvre devant la cour d'assises spéciale de Paris, lundi 4 novembre. Il leur est reproché d'être impliqués, à divers degrés, dans la mort de l'enseignant d'histoire-géographie, poignardé puis décapité, le 16 octobre 2020, près de son collège à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). L'assassin, Abdoullakh Anzorov, un réfugié originaire de la République russe de Tchétchénie, avait été tué dans la foulée par la police.
Deux proches de cet islamiste radicalisé de 18 ans sont renvoyés pour complicité d'assassinat terroriste, l'infraction la plus lourde, car ils sont soupçonnés d'avoir eu une connaissance précise de son projet. Ils encourent la perpétuité. Six autres personnes sont jugées pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, une peine passible de trente ans de réclusion. Franceinfo revient sur les profils de ces accusés, dont le procès est prévu jusqu'au 20 décembre.
Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, amis de l'assaillant
Azim Epsirkhanov, de nationalité russe et arrivé en France à l'âge de 9 ans, en 2010, connaissait Abdoullakh Anzorov depuis l'école primaire, selon les déclarations de sa mère pendant l'enquête. Gravitant dans la communauté tchétchène, cet habitant d'Evreux (Eure) de 23 ans vivait à Rouen avec sa petite amie au moment des faits. Le 15 octobre, veille de l'attentat, Abdoullakh Anzorov lui a rendu visite en compagnie d'une connaissance, Naïm Boudaoud, aujourd'hui âgé de 22 ans. Celui-ci est décrit par l'accusation comme "particulièrement vulnérable" et "influençable" mais "sans aucun signe visible de radicalisation violente".
Les trois jeunes hommes se rendent dans une coutellerie de Rouen pour acheter un couteau, correspondant à celui retrouvé sur la scène de crime. Azim Epsirkhanov reconnaît par ailleurs avoir tenté, en vain, de trouver une arme de poing pour son ami d'enfance. Le lendemain, Abdoullakh Anzorov demande à Naïm Boudaoud de le conduire dans un magasin de Cergy (Val-d'Oise) pour acheter deux pistolets à plombs. L'un d'eux a été retrouvé sur les lieux de l'attentat et l'autre chez Naïm Boudaoud.
Le soir même, les deux jeunes hommes sont placés en garde à vue. Lors des interrogatoires, Azim Epsirkhanov assure qu'Abdoullakh Anzorov ne lui avait pas parlé de la polémique au collège, née du cours dispensé par Samuel Paty sur les caricatures de Mahomet. Il dit aussi qu'il ignorait la finalité des armes recherchées, Abdoullakh Anzorov leur ayant assuré que le couteau était un cadeau pour son grand-père. Contactée par franceinfo, son avocate, Sarah Valduriez, n'a pas souhaité commenter ces éléments.
Naïm Boudaoud dément également avoir eu connaissance du projet d'Abdoullakh Anzorov. Son avocate, Hiba Rizkallah, rappelle qu'"il n'a jamais été établi, pendant les investigations, qu'il ait eu connaissance de l'existence de monsieur Paty et de la polémique au sein du collège". Son client, pour lequel elle compte plaider l'acquittement, vit sa détention provisoire depuis quatre ans comme "une injustice".
Brahim Chnina, l'homme qui avait appelé à se mobiliser contre Samuel Paty
De nationalité marocaine, Brahim Chnina, 52 ans, est le père de la collégienne qui avait accusé Samuel Paty d'avoir montré des caricatures de Mahomet jugées obscènes. L'adolescente de 13 ans, qui était en réalité absente de la classe ce jour-là, a été condamnée à 18 mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse.
Cofondateur d'Aide-moi, une association d'aide aux personnes à mobilité réduite pour se rendre notamment en pèlerinage à La Mecque, Brahim Chnina est accusé d'avoir lancé, avec le militant islamiste Abdelhakim Sefrioui, une campagne de cyberharcèlement contre le professeur. Les 7 et 8 octobre 2020, il a ainsi publié des vidéos sur les réseaux sociaux pour stigmatiser Samuel Paty et le désigner comme une cible, en divulgant son identité et son lieu de travail. Il s'est aussi présenté au collège avec Abdelhakim Sefrioui afin d'exiger la mise à pied de l'enseignant pour "avoir montré une photo du prophète nu" en classe. Samuel Paty avait alors porté plainte pour diffamation.
Entre le 9 et le 13 octobre, Brahim Chnina a eu par ailleurs neuf contacts téléphoniques avec Abdoullakh Anzorov. Après l'attentat, il a expliqué avoir enregistré son numéro dans son répertoire dans le but de l'informer, comme d'autres personnes, d'une manifestation envisagée devant le collège, selon ses déclarations devant les juges d'instruction. Mais il a assuré qu'il n'avait aucun lien avec "le tueur" et qu'il n'avait "incité personne à tuer" Samuel Paty.
Si les juges d'instruction ont estimé que Brahim Chnina n'avait en effet pas une connaissance précise des projets d'Abdoullakh Anzorov, ils ont considéré que son action concertée avec le prédicateur Abdelhakim Sefrioui avait "contribué à la commission" de l'attentat. Contacté par franceinfo, son avocat, Nabil El Ouchikli, n'a pas souhaité s'exprimer avant le procès.
Abdelhakim Sefrioui, militant islamiste du collectif pro-Hamas Cheikh Yassine
Abdelhakim Sefrioui, Franco-Marocain de 65 ans, est un militant islamiste, fondateur du collectif pro-Hamas Cheikh Yassine, dissous le 21 octobre 2020. Il est accusé d'avoir participé avec Brahim Chnina "à l'élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine" à l'égard de Samuel Paty.
A partir d'images filmées devant l'entrée du collège, Abdelhakim Sefrioui a réalisé un montage vidéo, posté sur YouTube le 11 octobre, dans lequel il dénonce une France islamophobe. Il y qualifie Samuel Paty de "voyou enseignant". Lors d'un interrogatoire, il a expliqué qu'il n'aurait jamais posté sa vidéo s'il y avait eu "un milliardième de chance que cela [l'attentat] arrive". "On voulait juste des sanctions administratives" contre Samuel Paty, soutient-il. Pour l'accusation, Abdelhakim Sefrioui avait au contraire "l'intention manifeste de s'adresser à un public sensibilisé ou radicalisé par la question des caricatures, en lien avec les appels au meurtre diffusés en septembre par les organisations terroristes" après la republication des caricatures à l'occasion du procès des attentats de janvier 2015.
Ses avocats dénoncent une "aberration intellectuelle et judiciaire", estimant qu'aucun contact n'a été établi entre leur client et Abdoullakh Anzorov et qu'il n'existe pas de preuve que l'assaillant ait vu la vidéo postée cinq jours avant l'attentat. "On lui reproche finalement de ne pas avoir anticipé l'inimaginable (...) Il n'avait pas de boule de cristal", fustige Vincent Brengarth. Lors du procès, l'avocat compte plaider l'acquittement.
Priscilla Mangel, active au sein de la jihadosphère et en lien avec l'assassin
Cette trentenaire, qui évolue depuis l'adolescence dans le milieu de l'islam radical, a échangé de nombreux messages avec Abdoullakh Anzorov, en particulier dans les jours qui ont précédé l'attentat, selon l'accusation. Ils ont conversé via un compte sur Twitter qu'elle a immédiatement supprimé après l'assassinat de Samuel Paty. Ils ont notamment parlé des vidéos réalisées par Brahim Chnina. Pour les juges d'instruction, Priscilla Mangel, sous contrôle judiciaire depuis le 25 juin 2021, ne pouvait "ignorer ni l'impact de ses publications et de ses échanges avec des individus radicalisés, ni le contexte des menaces terroristes très élevées".
Les magistrats instructeurs considèrent en effet qu'elle "a participé à la préparation" du "projet" de l'assassin, non seulement au regard de ses échanges avec lui, mais aussi "en lui présentant le cours de Samuel Paty comme blasphématoire" et "en faisant référence à une guerre des institutions contre les musulmans". Une "incidence" sur l'attentat que l'intéressée nie formellement, d'après son avocate. "Priscilla Mangel estime qu'elle n'a pas conforté l'auteur du crime dans son passage à l'acte, qu'elle ne pouvait d'ailleurs pas imaginer", expose à franceinfo Margot Pugliese.
Yusuf Cinar, Ismaïl Gamaev et Louqmane Ingar, membres de groupes Snapchat avec le terroriste
Ces trois jeunes hommes sont accusés d'avoir apporté un soutien idéologique au terroriste. De nationalité turque et déscolarisé dès ses 14 ans, Yusuf Cinar, 22 ans, a partagé un groupe Snapchat baptisé "Zbrr" avec Abdoullakh Anzorov, qu'il considérait comme "un ami proche", voire "comme un frère". Ce groupe, qui diffusait de la propagande jihadiste, a publié après l'attentat le message de revendication du terroriste et des photographies du corps de Samuel Paty. Yusuf Cinar, dont l'incarcération a été rythmée par de nombreux incidents, comparaîtra détenu.
Arrivé en France en 2013, Ismaïl Gamaev, Russe d'origine tchétchène également âgé de 22 ans, a, selon l'accusation, "participé activement" avec Abdoullakh Anzorov et Louqmane Ingar à un autre groupe Snapchat baptisé "Etudiants en médecine", dans lequel ils échangeaient des messages à caractère jihadiste. Il aurait notamment "conforté Abdoullakh Anzorov" dans son projet d'assassinat dans les semaines précédant le passage à l'acte. Il a en outre publié des smileys souriants après la diffusion dans le groupe Snapchat de la tête décapitée de l'enseignant. Ismaïl Gamaev est sous contrôle judiciaire après deux ans de détention provisoire.
Louqmane Ingar, 22 ans lui aussi, est accusé d'avoir administré et "participé activement" au même groupe Snapchat. Il envisageait, selon les juges, de quitter la France pour rejoindre l'Afghanistan ou la Syrie "dans les rangs d'une organisation terroriste". Il a passé un an en détention provisoire avant d'être placé sous contrôle judiciaire en novembre 2021.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.