Reportage "Je pense à elle en permanence" : à Auxerre, les manifestants rendent hommage au "courage" de Gisèle Pelicot

Une cinquantaine de personnes se sont réunies, samedi, dans la préfecture de l'Yonne, pour témoigner de leur solidarité envers les victimes de viols.
Article rédigé par Yann Thompson - Envoyé spécial à Auxerre (Yonne)
France Télévisions
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Une organisatrice, Elise, prononce un discours lors du rassemblement de soutien à Gisèle Pelicot à Auxerre (Yonne), le 14 septembre 2024, avec une pancarte soulignant que "les violeurs sont des hommes ordinaires". (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Et tant pis pour le ménage. Quand elle a appris à la radio, à 11 heures, que des rassemblements de soutien à Gisèle Pelicot venaient de débuter dans plusieurs villes de France, et même à Auxerre, chez elle, Sylviane Germanique n'a pas hésité longtemps. "T'y vas ou t'y vas pas ? Non, tu ne peux pas rester chez toi. Faut que les femmes sortent. Vas-y." Elle y est allée. "J'ai laissé mon rangement en plan, je suis montée dans la voiture et je suis arrivée, un peu en retard forcément."

Dans cette commune de 35 000 habitants, plus grande ville de l'Yonne, une cinquantaine de personnes se sont retrouvées, samedi 14 septembre, devant le monument local pour l'élimination des violences à l'égard des femmes. Sans banderole partisane ni syndicale, toutes ont répondu à un appel national lancé par des collectifs féministes pour manifester en solidarité avec les victimes de viol. Avec un nom mis en avant : celui de Gisèle Pelicot, 71 ans, dont l'ex-mari, Dominique Pelicot, est jugé pour l'avoir droguée et violée durant des années avec des dizaines d'inconnus, au domicile du couple, dans le Vaucluse. 

"Cette affaire, c'est l'horreur totale", lâche Sylviane Germanique, "révoltée". Cette comédienne marionnettiste de 60 ans n'avait jamais pris part à une mobilisation sur ce thème à Auxerre. Elle serrait les dents dans son coin. "D'habitude, ce monument, je passe devant en disant 'Courage, les filles'. Aujourd'hui, me voilà. Je suis là, sans connaître personne, mais je le dis à toutes : je suis là, à vos côtés."

"On côtoie des agresseurs et on ne se doute de rien"

Pour affronter la fraîcheur matinale, Isabelle Corneille a ressorti une écharpe. Pour le soleil, des lunettes noires qui rappellent les verres teintés portés par Gisèle Pelicot au tribunal. Le visage de cette dernière, à force de faire la une, est connu de tous. "Je pense à elle en permanence", confie cette Auxerroise de 49 ans, admirative du "courage" de la victime, qui a réclamé un procès public.

Déjà sensibilisée aux violences sexuelles, la manifestante est particulièrement marquée par cette "affaire de monsieur et madame Tout-le-monde", qui implique des accusés de tous âges et milieux sociaux. "Quand je fais mes courses, j'en viens à me dire : 'Et si ça se trouve, eux, elle, lui...' On côtoie certainement des agresseurs et on ne se doute de rien", s'inquiète-t-elle.

"Quand j'ai lu le nom de tous les accusés, je n'avais qu'une peur : tomber sur un nom familier."

Isabelle Corneille, manifestante

à franceinfo

Cette affaire lui a ouvert les yeux sur la soumission chimique dans le cadre conjugal. "On entendait parler de GHB dans des fêtes et j'avais intégré que les viols étaient généralement le fait d'un membre de l'entourage, souvent un conjoint, certes. Mais une telle pratique, ça ne m'avait jamais effleuré l'esprit." 

Avec le procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés, Isabelle Corneille espère assister à "un tournant" dans la prise en compte des victimes. Elle évoque déjà un "après-Gisèle Pelicot", y compris dans sa pratique professionnelle, en tant que formatrice dans une école d'infirmières. "Entre collègues, ces derniers jours, on a beaucoup parlé des symptômes d'une soumission chimique. On doit mieux détecter les signes, mieux observer les femmes qui arrivent, les couples..."

"Le procès Pelicot va peut-être marquer un tournant"

Au bord de l'Yonne, devant le monument, couvert de mots ("courage", "emprise", "silence"...) et de visages de femmes, Elise* prend la parole. C'est elle, habituée des manifestations parisiennes, ingénieure agronome de 37 ans, sans affiliation politique ni associative, qui a tenu à inscrire Auxerre sur la carte des mobilisations du jour, avec deux autres citoyens. "Les violences sont partout et il est important de visibiliser la lutte contre la culture du viol en dehors des grandes villes", expliquait-elle à franceinfo avant le rassemblement.

Les violences sont partout, les victimes aussi. "Cette affaire Pelicot réveille un traumatisme chez beaucoup d'entre elles, confie l'organisatrice. Par notre présence, on peut les aider à faire face." L'une de ses amies, victime de viol, lui a demandé de lire un message de sa part aux manifestants. Elle y évoque la "solitude" ressentie par les femmes agressées. "Le silence" : "Toutes ces familles et cette société entière qui ne veut pas entendre." Et un appel, qui se mêle au clapotis des fontaines du square : "Vous pouvez tout changer en nous entendant, en nous lisant, en nous écoutant."

A quelques mètres de là, Jack*, 26 ans, trouve dans ce rassemblement une forme de réconfort. Ce militant trans et féministe a parcouru 75 km depuis Troyes (Aube) pour y assister. Cinq jours plus tôt, c'est au commissariat que Jack s'était rendu. Dépôt de plainte pour agression sexuelle et viol conjugal, dans une affaire qui remonte à cinq ans. "Le procès Pelicot va peut-être marquer un tournant. Mais ça me déprime un peu aussi : est-ce qu'il faut avoir un dossier aussi lourd et autant de preuves filmées pour avoir une chance d'être entendu par la justice ?"

"On n'en parle pas vraiment entre garçons"

Au milieu des écriteaux "Ras le viol", Elise brandit une pancarte "Les monstres n'existent pas : les violeurs sont des hommes ordinaires". La banalité du mal revient dans tous les discours des manifestants. Sur une dalle entre deux jets d'eau, Alice Louis, 23 ans, entend avant tout remercier Gisèle Pelicot pour le "courage" qu'elle lui apporte au quotidien. "Nous sommes là pour lui témoigner notre soutien, pas pour lui mettre encore plus de pression en disant qu'elle incarne quoi que ce soit", estime cette étudiante en design, Auxerroise expatriée à Paris, "très émue" d'assister pour la première fois à un tel rassemblement dans sa ville d'origine.

Cette affaire a chamboulé l'étudiante dans son rapport aux hommes. "Je me suis sentie énormément angoissée. On se dit qu'on peut avoir 100% confiance en certaines personnes, et voilà ce qui arrive à cette femme... Si tous les hommes peuvent être des violeurs, comment on fait ? Ça fait mal, même s'il faut bien continuer à vivre."

A côté d'elle, son petit frère, Germain, 20 ans, se dit "fier" de sa sœur féministe, qui l'a emmené là à sa toute première manifestation. "Ces sujets, on n'en parle pas vraiment entre garçons. J'en discute surtout avec mes sœurs, avec des femmes. On est dans une période où la parole se libère, mais il y a toujours des expressions qui restent entre nous, comme 'se taper une fille'. Il y a encore du chemin à faire chez les garçons." Ce soir, le sujet sera au menu du dîner de famille. En attendant peut-être une nouvelle manifestation.

* Certaines personnes interrogées n'ont pas souhaité donner leur nom de famille.


Les femmes victimes de violences peuvent contacter le 3919, un numéro de téléphone gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute, d'information et d'orientation est accessible 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Ce numéro garantit l'anonymat des personnes, mais n'est pas un numéro d'urgence comme le 17 (ou le 114 par SMS) qui permet pour sa part, en cas de danger immédiat, de téléphoner à la police ou la gendarmerie.

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