"Je suis un grand pervers et j'en suis très heureux" : plongée dans les carnets de Joël Le Scouarnec, ancien chirurgien soupçonné de pédophilie
Joël Le Scouarnec aurait fait selon la justice 349 victimes présumées, peut-être plus. Des agressions que le chirurgien a répertoriées pendant plus de 30 ans dans un journal intime que franceinfo a pu consulter.
Il est soupçonné d'être le pire pédocriminel de l'histoire de France. Un chirurgien, Joël Le Scouarnec, aurait fait selon la justice 349 victimes présumées, peut-être plus. Des petites filles pour la plupart, agressées notamment dans les hôpitaux où il exerçait. Une dizaine d'établissements, en Indre-et-Loire, en Bretagne, et à Jonzac en Charente-Maritime, où le témoignage d'une petite voisine de 6 ans a permis son arrestation. Des agressions que le chirurgien a répertoriées pendant plus de 30 ans dans un journal intime. Ces carnets, franceinfo a pu y accéder, et plonger dans la tête de ce pédocriminel en série.
Joël Le Scouarnec l'écrit lui-même, le 10 avril 2004 : "Tout en fumant ma cigarette du matin, j'ai réfléchi au fait que je suis un grand pervers. Je suis à la fois exhibitionniste (...), voyeur (...), sadique (...), masochiste (...) scatologique (...), fétichiste (....), pédophile (...). Et j'en suis très heureux". En une phrase, Joël Le Scouarnec décrit assez bien ce qu'il va démontrer au fil de ces milliers de pages. Intitulé "Mon journal intime", il va tenir ce carnet quotidiennement, parfois heure par heure, entre 1990 et 2017. Il décrit d'abord des agressions sexuelles sur des enfants. Les premières années cela se présente sous forme de lettres, avec au début toujours les mêmes mots : "Ma chère petite", "mon petit", ou seulement un prénom. Il leur dit aussi "je t'aime". Il raconte ensuite ce qu'il leur fait subir : des caresses, des attouchements, des pénétrations digitales. On sent qu'il revit, en écrivant, la jouissance ressentie à ce moment-là.
Le "collectionneur"
Au fil du temps les lettres se transforment en petits textes de quelques lignes. Il note parfois, entre parenthèses, les noms de famille de ses victimes, leur date de naissance et leur adresse. Il y a aussi de plus en plus de récits de masturbation, chez lui, mais surtout dans son bureau à l'hôpital, avec des vidéos, et à chaque fois cette même jouissance à raconter. Chaque année pour son anniversaire il écrit aussi son âge, et en majuscule "JE SUIS PÉDOPHILE". Ces carnets, les enquêteurs vont les retrouver stockés dans un ordinateur, chez lui à Jonzac (Charente-Maritime), après son arrestation en avril 2017. À cette époque, Joël Le Scouarnec vit seul dans une maison insalubre. Il y a accumulé plus de 300 000 vidéos et photos pédopornographiques. Il y a aussi des poupées, comme celles qu'ont les enfants, et des jouets sexuels. Accumuler, posséder : c'est une obsession chez Joël Le Scouarnec. Il se définit d'ailleurs lui-même comme un collectionneur.
Depuis tout petit, raconte-t-il aux psychiatres, il note par exemple tous les livres qu'il lit. Il reconnaît lui-même "cette boulimie d'images", "il m'en fallait toujours de nouvelles, j'y passais des heures et des heures". Les dernières années avant son arrestation, il vit d'ailleurs quasiment en ermite, ne se lave presque plus, ne voit personne, ne sort que pour travailler. Il commence ses activités pédophiles et sexuelles dès le matin, il le raconte très précisément, il se filme aussi beaucoup, et classe tout très méthodiquement sur son ordinateur.
Sa petite nièce, le déclencheur de ses pulsions
Pourtant, pendant plus de 30 ans, Joël Le Scouarnec parvient à cacher son jeu. Il maîtrise, de façon obsessionnelle là encore, son image très lisse : celle d'un chirurgien bien sous tous rapports. Ses proches racontent aux enquêteurs qu'il était la fierté de cette famille d'ouvriers, propriétaire d'un pavillon en Essonne mais qui attend les "allocs" pour acheter à manger. À 10 ans, il demande à son père quel métier il faut faire pour gagner de l'argent. Réponse : chirurgien. Cela devient une vocation, le petit garçon s'enferme dans les livres de biologie, parle peu, n'a pas d'amis. Et ne montre jamais d'émotion. À 23 ans, il rencontre sa femme. Elle est aide-soignante, lui externe en médecine. Ils se marient un an plus tard, ont trois garçons, et vivent la grande vie : un manoir, des vacances à l'étranger, un salon de musique. Elle arrête de travailler, lui ne fait que ça. Mais très vite le vernis se craquelle.
On est en 1985, son mariage se délite. Joël Le Scouarnec ressent ses premières pulsions pédophiles. Il a 35 ans. Le déclencheur, dit-il, c'est sa petite nièce. "Elle venait souvent sur moi, sur mes genoux", raconte-t-il aux enquêteurs, "peut-être que je voyais en elle la petite fille que j'aurais voulu avoir. Elle avait les cheveux longs, et oui, elle me séduisait. Inconsciemment, bien évidemment."
J'ai dépassé le stade des câlins jusqu'au stade sexuel. Cela s'est fait naturellement.
Joël Le Scouarnec
Il y aura ensuite une fille d'amis, que sa femme garde souvent. Il la prend en photo quand elle dort, lui fait subir des attouchements. "Le pli était pris", raconte Joël Le Scouarnec.
Une méthode bien rodée
Des centaines de victimes vont alors suivre pendant plus de 30 ans. Au moins 349 victimes présumées identifiées par la justice à ce jour, sans que personne ne voie, ou en tout cas ne dise rien. L'impression que l'on a en lisant le dossier c'est celui d'un puzzle, dont plusieurs personnes ont un morceau sans en parler aux autres. Il y a d'abord eu sa femme. "Un cataclysme s'est abattu sur moi", écrit le Scouarnec en 1996, "ELLE SAIT". Elle raconte aux enquêteurs un regard "bizarre" sur une petite voisine. "Est-ce que tu es attiré par les petites filles ?", lui demande-t-elle. Il lui répond "non". Elle ne cherche pas plus loin. Il y a sa sœur aussi, dont l'une des filles raconte les agressions de "tonton Joël". Après un repas de famille, elle raccompagne son frère à la gare, l'interroge. Il avoue, pleure, lui demande de lui pardonner, ce qu'elle fait.
Mais la plupart des victimes de Joël Le Scouarnec sont des patients des hôpitaux où il exerce. Là-bas, le chirurgien a une méthode bien rodée : "Il faut savoir être patient et compter sur sa chance", raconte-t-il dans ses carnets. Il attend donc que les enfants soient seuls, endormis ou anesthésiés dans le bloc opératoire. Plusieurs fois il écrit : "J'ai été surpris", "quelqu'un est arrivé". Des infirmiers, des aides-soignantes, des médecins ont-ils vu sans rien oser dire ? La question se pose. Surtout qu'en 2005, Joël Le Scouarnec est condamné pour détention d'images pédopornographiques à quatre mois de prison avec sursis par le tribunal de Vannes.
Plusieurs alertes sans effet
Mais la justice ne l'estime pas inapte à exercer et aucune obligation de soin n'est prononcée. Un an plus tard, en 2006, le président de l'Ordre des médecins du Finistère reçoit des avertissements de la part de praticiens de l'hôpital de Quimperlé, qui l'alertent sur des rumeurs de pédophilie concernant leur collègue, le docteur Le Scouarnec. Il décide donc de convoquer le chirurgien. Dans son compte-rendu, le président de l'Ordre écrit : "À l'hôpital de Quimperlé, le directeur, le collègue viscéral, les anesthésistes sont au courant", sans préciser au courant de quoi. Il transmet une note à la Ddass (Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, qui gère "le contrôle des établissements sanitaires" au niveau départemental), mais ne prend aucune sanction à son niveau.
À l'hôpital de Jonzac aussi, où le chirurgien exerce de 2008 à 2017, Joël Le Scouarnec assure avoir tenu au courant lui-même la directrice de l'établissement de sa précédente condamnation par la justice. Mais le chirurgien, décrit d'ailleurs comme excellent par ses supérieurs, continue d'exercer. Jusqu'en 2017, date de son arrestation : un "soulagement" pour lui, raconte son avocat maître Thibaut Kurzawa. Aujourd'hui, Joël Le Scouarnec dit aux psychiatres : "Je veux comprendre pourquoi je suis devenu comme ça."
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