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"Il n'y a pas un jour où je n'y pense pas" : au procès Merah, le traumatisme des survivants de l'école Ozar Hatorah

Le procès d'Abdelkader Merah, frère de Mohamed Merah accusé de complicité, se poursuit à Paris. La journée de mercredi a été marquée par les témoignages de survivants de l'attaque survenue le 19 mars 2012.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un mémorial devant l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse (Haute-Garonne), le 25 mars 2012. (ERIC CABANIS / AFP)

Il sait qu'il ne pourra pas contenir ses larmes. Alors qu'il se dirige vers la barre, il revient sur ses pas : un proche lui tend un paquet de mouchoirs, il le prend et repart avec. Dovan M. témoigne, mercredi 11 octobre, au procès d'Abdelkader Merah. Ce dernier est jugé pour établir son éventuelle complicité dans les attentats commis par son frère, Mohamed Merah, en mars 2012.

Dovan M. raconte que ce matin du 19 mars, il se trouve au lycée Ozar Hatorah de Toulouse (Haute-Garonne) où il est scolarisé. Il est entre 7h55 et 8 heures. Le directeur de l'établissement lui demande de s'occuper de sa fille, Myriam, 7 ans. Il doit l'emmener devant le portail et la surveiller avec un autre lycéen, Bryan B. Quelqu'un doit passer chercher, en voiture, la petite fille pour l'amener à l'école primaire. "[Le proviseur] m'a dit : 'Prends la petite, tu l'amènes devant.' J'ai dit 'pas de souci, je la prends avec moi'", raconte le jeune homme. 

"Je lui ai crié 'Myriam, cours, cours !'"

Dovan, âgé de 20 ans aujourd'hui, vient à peine de commencer son récit que sa voix se brise. Un frisson parcourt la salle. L'émotion gagne aussitôt les bancs des parties civiles où l'on pleure avec pudeur. Les larmes se mêlent aux mots mais le jeune homme poursuit. "Tout le monde rentrait, les profs... A un moment, j'ai entendu des bruits, j’ai cru que c’étaient des feux d’artifice, j’ai levé la tête, j'ai rien vu dans le ciel." Pendant un instant, il croit à une "farce".

Soudain, à quelques pas de lui, se trouve un homme armé, coiffé d'un casque blanc. "J’ai baissé la tête et, là, je l’ai vu, il était à quatre-cinq mètres de moi (...) J’ai regardé Bryan, j’étais tétanisé, se souvient-il. Je ne savais pas quoi faire, j’ai vu qu’ils couraient alors j'ai couru et j’ai réalisé qu’on avait laissé la petite devant. Alors je lui ai crié 'Myriam, cours, cours !' Elle a couru puis elle est retournée en arrière, elle avait fait tomber son cartable." Mohamed Merah poursuit la fillette dans la cour de l'école. Il la saisit par les cheveux et lui tire une balle dans la tête à bout portant.

Après, elle avait la tête face au bitume dans une mare de sang, je l’ai prise dans mes bras pour voir si elle était toujours là.

Dovan M., survivant de l'attentat de l'école Ozar Hatorah

lors du procès d'Abdelkader Merah

Son récit est ponctué de brefs silences qui laissent entendre ses sanglots amplifiés par le micro. "A l’époque, j’avais 15 ans, je ne savais pas faire de massage cardiaque, on ne m’a jamais appris", souffle Dovan. Ensuite, "on a pris les trois corps, de Myriam, Gabriel et Arieh, et on les a rentrés dans la synagogue. On a appelé les secours cinquante fois", relate-t-il.

Son témoignage terminé, Dovan rejoint sa place. Un frère d'Imad Ibn Ziaten, le premier militaire tué par Mohamed Merah, le prend dans ses bras.

"Mes enfants sont psychologiquement détruits"

Dovan est encore bouleversé par ce qu'il a vécu le 19 mars 2012. Et c'est le cas de nombreux autres survivants. Bryan B., qui gardait lui aussi Myriam devant le portail, ne se sentait pas en mesure de déposer devant le tribunal. "C'était impossible pour lui de venir témoigner directement, c'était au-dessus de ses forces", explique son avocat. Une experte psychologue qui a analysé Bryan, en 2014, rapporte que le jeune homme, blessé par Mohamed Merah, a des "réminiscences" : "L'image de la petite fille qui reçoit une balle en pleine tête", déclare-t-elle, en citant les propos de Bryan.

André S., qui était dans sa voiture à une dizaine de mètres de Mohamed Merah le matin de l'attentat, explique que ses trois enfants (la plus jeune avait 3 ans) "ont tout vu". "Ils sont psychologiquement détruits, affirme-t-il. Maintenant, ils ont peur de tout." Lui aussi reste marqué : "Il n'y a pas un jour où je n'y pense pas."

Un autre témoin rapporte à la barre être toujours hanté par cet attentat. "Dès qu'il y a un scooter, des feux d'artifice, ça, je peux plus." Et d'ajouter : "Chaque petit détail me fait repenser à ça."

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