"La plaie est toujours ouverte" : au procès d'Abdelkader Merah, des témoins racontent l'atrocité de la tuerie à l'école juive Ozar Hatorah
Abdelkader Merah est jugé en appel par la cour d’assises de Paris. En première instance, le frère du tueur avait été acquitté des faits de complicité mais condamné à vingt ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste.
"Jamais je n’aurais cru qu’à l’âge de 17 ans je serais confronté à l’horreur", raconte fébrilement Jonathan C. devant la cour d’assises spéciale de Paris, lundi 8 avril. Il y a sept ans, le 19 mars 2012, il était interne à l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse lorsque Mohamed Merah a abattu Jonathan Sandler, professeur de 30 ans, ses deux fils, Arié et Gabriel, 5 et 3 ans, et Myriam Monsonégo, 8 ans, la fille du directeur. Aujourd’hui élève avocat de 24 ans, il est partie civile dans le procès en appel d’Abdelkader Merah, le frère de Mohamed Merah, rejugé après avoir été condamné à 20 ans de réclusion en première instance pour association de malfaiteurs terroriste mais acquitté du chef de complicité dans cet attentat antisémite.
"Le matin de l’attentat, je suis dans la synagogue et j’entends la mitraillette, je crois que c’est des pétards", décrit-il d’une voix posée. Les élèves et professeurs sont en train de réciter une prière en hommage aux morts, aux disparus. "Je vois une personne casquée entrer dans l’école, pour moi c’est un coursier, pas un tireur", poursuit-il sans jeter un regard à Abdelkader Merah, immobile dans le box des accusés. La synagogue donne sur la cour de l’école – "une magnifique école", précise l’ancien élève aux cheveux bruns et à la silhouette fine.
Je le vois entrer dans l’école, des coups de feu retentissent une nouvelle fois, un coup, deux coups, trois coups. Des personnes courent partout, et il y a encore des coups de feu. Ça ne nous quitte jamais.
Jonathan C.lors du procès
Sur le banc des parties civiles, Samuel Sandler, le père de Jonathan Sandler et grand-père d’Arié et Gabriel, tous trois assassinés, ferme les yeux, les bras croisés. A son visage fermé, on devine qu'il connaît jusqu'à la nausée le déroulé de ces minutes tragiques. "Je me souviens d'avoir entendu la conseillère d'orientation crier : 'il y a un tireur dans l'école !'", reprend Jonathan C., droit devant la cour. Les tirs reprennent. Myriam Monsonégo essaie de fuir mais trébuche sur son cartable. Dans sa chute, des chaussons de danse s'en échappent. Mohamed Merah abat alors la fillette d'une balle dans la tête. "Je vois monsieur Monsonégo sortir de la synagogue, il court, je dis aux autres de se cacher. Il tombe sur sa fille dehors... Je vous laisse imaginer sa réaction", décrit Jonathan C.
"Dans le réfectoire, c'est l'enfer, l'horreur"
"A ce moment-là, je suis le plus grand, j'ai 17 ans, je suis un bébé mais je suis le plus grand", poursuit le témoin. Ozar Hatorah est une petite école, à peine 200 élèves de la sixième à la terminale, mais c'est comme une "famille", "tout le monde se connaît et on n'y fait pas de distinction d'âge". Il emmène alors les "petits" se réfugier dans le réfectoire. Dans la pièce confinée, "c'est l'enfer, l'horreur, tout ce que vous ne voulez pas vivre", continue-t-il.
Il y a 50 ou 60 gamins qui hurlent, pleurent, tapent du poing contre les murs. Un gamin de 13 ans hurle à se griffer le visage, jusqu'à s'en arracher les vêtements.
Jonathan C.lors du procès
Dans la cour, les secours sont arrivés. Des médecins légistes s'affairent autour des corps allongés par terre, examinent les blessés. Les souvenirs ne sont pas tous précis, mais les sentiments sont encore vifs. De 8 heures à 11 heures, les enfants sanglotent et hurlent. "Un gamin crie : 'Myriam est morte, Myriam est morte !' C'est quelque chose qu'on n'est pas censé vivre", raconte le jeune homme, dans le silence grave de la salle d'audience.
J'ai un moment de folie. Je sors en courant du réfectoire, j'étouffe, je tombe sur une scène de crime. Il y a du sang partout, partout... Le cartable de Myriam est en sang.
Jonathan C.lors du procès
Un policier le ramène finalement au réfectoire. Après des heures "interminables", les portes s'ouvrent. Les silhouettes des parents de Myriam Monsonégo finissent par apparaître. Jonathan C. ne se souvient plus exactement de leur visage mais du "silence de mort" qui a suivi. Sept ans plus tard, "la vie reprend ses droits, mais on y pense tous les jours", décrit le futur avocat après une pause. "On y pense tous les jours, la plaie est toujours ouverte et il n'y a rien pour réparer ces douleurs. Ces atrocités, on les a vues."
L'impossible reconstruction
Bryan B. aussi a vécu ces scènes d'horreur. Elles restent gravées dans son esprit et sur son corps, à l'instar de cette cicatrice de 30 cm qu'il porte sur le ventre depuis ce 19 mars 2012. Appelé à la barre en début d'après-midi, le jeune homme de 22 ans s'avance tête baissée devant la cour. C'est la première fois qu'il s'exprime. En première instance, le rescapé n'avait pas eu la force de quitter la Côte d'Azur pour venir témoigner à Paris. "C'est au-dessus de ses forces", avait expliqué son avocat. De taille moyenne, vêtu d'un trench noir et d'une chemise blanche, il commence d'une voix hésitante : "Je devais garder la fille du directeur, Myriam Monsonégo, un bus devait passer la prendre, raconte-t-il. Et puis j'ai reçu un coup de Taser, j'ai senti une douleur dans tout le corps."
Ça m'a électrocuté tout le corps. La balle a traversé mon corps. Une balle explosive qui a tout détruit sur son passage.
Bryan B.lors du procès
Bryan B. fait partie des premières cibles de Mohamed Merah. Il se trouve devant le portail de l'école avec deux amis, et a à peine le temps de voir la silhouette noire du tueur débarquer à scooter devant l'établissement. "J'étais le premier atteint, mais je n'ai pas eu le temps de voir, ça a duré vraiment trois secondes", reprend-il d'une voix timide. L'adolescent finit par se réfugier dans un lieu sécurisé, un endroit où sont entassés les cartables. "Je m'y suis allongé et je me suis endormi." A leur arrivée, les secours découvrent que Bryan B. est grièvement blessé : une balle est entrée par son épaule gauche et ressortie sous le bras droit. Il souffrira de lésions aux poumons, au cœur et à l’appareil digestif, précise France 3 Occitanie, et subira trois interventions chirurgicales.
Sept ans plus tard, Bryan B. est encore profondément marqué psychologiquement et physiquement par cet attentat. "J'avais 15 ans, au départ j'essayais d'oublier ça, maintenant ça fait partie de ma vie, dit-il doucement. Au niveau des soins, j'ai tout arrêté, mais j'ai parfois un peu de mal à respirer. Les choses reviennent petit à petit normalement." Sa psychologue, interrogée par vidéoconférence, explique que le jeune homme a vécu un choc puissant, un trouble post-traumatique qui semble avoir modifié sa "vision de la vie". La vue d’un casque blanc, comme celui que portait Mohamed Merah, déclenche chez lui des crises d’angoisse et l'image de la mort de la petite Myriam Monsonégo ne cesse de le hanter. La vie reprendra-t-elle un jour son cours normal ? interroge la présidente. "C'est compliqué", répond dans un murmure Bryan B., avant de préciser que ce procès "est une première étape" dans son "rétablissement".
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