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"Fou" ou "soldat de Dieu", le cas Merah divise les spécialistes

Après les tueries de Toulouse et de Montauban, les experts tentent d'identifier les raisons qui ont poussé le meurtrier à devenir un exécutant froid, embarqué dans une mission macabre. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Mohamed Merah, dans une vidéo diffusée mercredi soir sur France 2.  (FRANCE 2 / AFP)

Au lendemain de la mort du "tueur au scooter" jeudi 22 mars, la violence inouïe de ce jeune homme de 23 ans pose question. "Ces crimes ne sont pas ceux d'un fou, a d'ailleurs insisté Nicolas Sarkozy jeudi, à l'occasion d'une réunion publique à Strasbourg. Un fou est irresponsable. Ces crimes sont ceux d'un fanatique et d'un monstre." 

Monstre froid, impassible, capable d'attraper une fillette de 7 ans par les cheveux avant de lui tirer une balle de calibre 11.43 en pleine tête ; soldat de Dieu en mission pour venger ses "frères" afghans et palestiniens ; gamin paumé, en quête d'identité jusqu'à en perdre la raison... Alors que le portrait du jeune homme prend forme, la question de son état psychiatrique anime le débat public. FTVi revient sur la personnalité ambiguë du meurtrier.

          • Les apparences : un soldat de Dieu  

> Une méthodologie jihadiste

"Il est mort les armes à la main." A 11h45 jeudi matin, c'est avec cette formule empruntée au vocabulaire combattant que les médias annoncent le décès de Mohamed Merah. A ce stade, ses motivations religieuses ne font plus de doute. Elles émergent du profil de ses victimes : trois militaires dont les régiments sont intervenus en Afghanistan, et quatre personnes de religion juive, dont trois enfants.

En conférence de presse, le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, a d'ailleurs confirmé, la veille, que parmi les hypothèses formulées par les enquêteurs, c'est la piste jihadiste qui les a menés vers "le tueur au scooter". Un soldat de Dieu, assoiffé de vengeance, "pour les enfants de Gaza" et "pour l'intervention française en Afghanistan", a-t-il expliqué au Raid. 

Des attaques revendiquées, des séjours en Afghanistan et au Pakistan, des vidéos qui accréditent son action (selon les enquêteurs, dans le film du premier meurtre, on l'entend dire : "tu tues mes frères, je te tue" avant qu'il tire à bout portant dans la tête du militaire toulousain), une motivation religieuse, etc. Au fur et à mesure que le personnage se révèle, tout indique que Mohamed Merah s'est approprié les codes jihadistes. 

> Adoubé "chevalier de l'islam" à titre posthume

A tel point que quelques heures à peine après la mort du suspect, l'organisation "Jund al-Khilafah" (les soldats du Califat), liée à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), revendique la tuerie du collège-lycée juif Ozar Hatorah. Dans ce texte, le tueur, adoubé "chevalier de l'islam", est appelé "Youssef le Français". 

"Le nom de Mohamed Merah va probablement rentrer dans le panthéon des martyrs dans la littérature en ligne jihadiste", assure le spécialiste du Moyen-Orient arabe, Bernard Rougier, interrogé par TF1. Des militants doivent réunir des vidéos sur lui, des chants coraniques, etc. Il est devenu martyr dans la mythologie combattante d'Al-Qaïda." 

          • La face cachée : un trouble psychiatrique 

> Une double personnalité

Pour le directeur central du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squarcini, "il n'a pas les attributs extérieurs du fondamentaliste". "Pas d'activisme idéologique, pas de fréquentation de la mosquée", énumère-t-il, dans une entrevue au Monde, balayant au passage les critiques à l'encontre de la DCRI. Sans barbe, baskets aux pieds, il aurait ainsi trompé les services de renseignement ? "C'est un Janus, quelqu'un qui a une double face, explique le chef de la DCRI. Pour avoir fait ce qu'il a fait, cela relève davantage d'un problème médical et de fanatisme que d'un simple parcours jihadiste."

Que dire alors du profil psychiatrique du jeune homme dont la mort, jeudi, a fermé la porte à toute nouvelle expertise ? "Il faut remonter à la cassure de son enfance et à ses troubles psychiatriques, reprend Bernard Squarcini. Sans nommer de pathologie, les spécialistes s'accordent à évoquer un trouble de la personnalité.

"Psychopathe ? Ça veut tout et rien dire, résume le docteur Bertrand Garnier, dans La Voix du Nord. Il y a des maladies mentales bien identifiées (schizophrénie, maladie bipolaire...) et il y a des personnes qui ont des troubles de la personnalité, plus ou moins proches de la norme." Mohamed Merah "a manifestement un trouble de la personnalité, mais on ne peut pas affirmer qu'il avait une maladie mentale (des voix dans la tête...) sans l'avoir examiné."

> "Un garçon extrêmement fragile"

A la demande du président du tribunal correctionnel de Toulouse, le psychologue Alain Penin a justement étudié le cas du jeune homme en 2009. Dans son rapport, qui préconise une "prise en charge psychothérapique et des mesures d'encadrement", il a noté "une forme de dangerosité" chez son patient.

Il évoque "des éléments de fragilité personnels importants et liés à son histoire individuelle". Quand il rencontre Mohamed Merah, à la suite d'un refus d'obtempérer à un contrôle routier, Alain Penin découvre "un garçon extrêmement fragile, anxieux, en difficulté, très fragile affectivement, avec une organisation un peu névrotique de sa personnalité".

Le seul expert psychologue à avoir examiné Mohamed Merah parle ( France 3 Corse)

"Son père a quitté sa mère alors qu'il avait 5 ans, poursuit le psychologue. Elle (...) n'a pas pu assurer la sécurité affective de ce garçon, qui a été placé en foyer, en famille d'accueil et en institution." S'ensuivent "des conduites antisociales, des actes de délinquance mineure à l'adolescence", qui le mènent vite en prison. Derrière les barreaux, il tente de se pendre et passera 15 jours en hôpital psychiatrique. L'expert explique qu'à l'époque, le jeune Mohamed "amorçait [une] période dépressive" accompagné d'une "conversion religieuse".

          • Le déclencheur : un jeune en manque de repères

> Un effondrement narcissique  

"Quand son père est parti définitivement en Algérie, en 2007-2008, il s'est trouvé confronté à un problème d'identité, explique Alain Penin. C'est le déclenchement d'une orientation différente, un autre effondrement narcissique. C'est à ce moment-là, semble-t-il, qu'il est parti en Afghanistan et que le processus monstrueux s'est mis en place, c'est-à-dire qu'il a complètement réorienté sa manière de voir les choses, de voir le monde." 

Enfin, en se remariant avec un islamiste radical, la mère de Mohamed Merah lui présente une nouvelle figure paternelle. "Il y a un problème d'identification. Il s'est mis à faire le ramadan, à faire la prière, à lire le Coran, une façon symbolique de retrouver le personnage paternel", détaille le psychologue. La radicalisation offre alors au petit délinquant "un prêt-à-porter identitaire où il n'y a plus de question à se poser", éclaire le psychanalyste et psychiatre Samuel Lepastier, dans La Voix du Nord. 

> Puis une reconstruction dans l'extrémisme

Pour l'expert du jihadisme Jean-Pierre Filiu, interrogé sur Europe 1, la radicalisation du tueur s'inscrit dans un "itinéraire de déviance progressive" dont l'étape déterminante se déroule en Afghanistan. Il "se reconstruit dans un ailleurs qui est par définition inaccessible", analyse-t-il. Plongé dans cette culture qu'il ne connaît pas, "il devient un autre. [Mohamed Merah] devient Younès el Franci." Surtout, il revient avec "une mission". Il a tué sept personnes en l'exécutant, avant d'être retrouvé par les enquêteurs puis abattu par les hommes du Raid. 


Mohamed Merah, un "profil atypique" par Europe1fr

Vendredi, une question persiste : la tragédie aurait-elle pu être évitée ? En mettant l'accent sur son profil psychologique particulier, la DCRI entend démontrer qu'elle n'a pas fauté, ni tardé à retrouver un homme qui "semble s'être radicalisé seul", selon Bernard Squarcini, indépendamment de tout réseau terroriste. 

Si des liens réels avec Al-Qaïda sont établis, les conséquences politiques pourraient être graves pour ce service né en 2008 de la fusion des Renseignements généraux (RG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST). 

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