Agression filmée à Nancy : de lourdes conséquences pour les ados concernées
Une jeune femme de 18 ans a été frappée par une mineure de 15 ans, dans un parc, tandis qu'une autre ado filmait. La vidéo a scandalisé les internautes. L'occasion de mettre en lumière une pratique récente qui échappe aux parents.
"Pourquoi tu me regardes de travers ?", lance une voix féminine. Derrière elle, en tendant l'oreille, on perçoit vannes et ricanements. Lorsqu'elle est ainsi interpellée, Laura a les yeux rivés sur son téléphone portable. Des internautes assurent l'avoir reconnue et identifiée, mais sur ces images diffusées sur Facebook samedi 20 septembre, elle est une anonyme qui patiente seule, assise sur un banc, dans le parc de la Pépinière, au centre de Nancy (Meurthe-et-Moselle), téléphone à la main. Moquée par plusieurs adolescentes, elle refuse de se lever comme le lui intime fermement l'adolescente dressée face à elle, avant de céder. Obligée de tendre la joue, elle reçoit deux gifles et s'enfuit, les larmes aux yeux.
Cette désespérante tranche de vie s'est conclue par une mise en examen, dimanche soir. L'agresseuse est âgée de 15 ans, et se prénomme Alicia. Elle devra répondre de "violences volontaires en réunion et sur personne vulnérable", sa victime souffrant d'un léger handicap physique. Trois amies du même âge passeront, elles aussi, devant le juge.
Passés les "likes" sur Facebook, les partages sur Twitter ou les commentaires indignés, francetv info se penche sur les traces que laissent ces actes.
Pour la victime : après les coups, le choc des images
Lorsque l'association Calysto est partie à la rencontre des jeunes dans les classes, en 2005, les réseaux sociaux (les Skyblogs, surtout) et autres appareils photo numériques avaient déjà fait leur entrée dans le quotidien des collégiens. Si les adolescents n'ont pas attendu internet pour persécuter leurs têtes de Turcs, l'irruption des nouvelles technologies a bien "donné une caisse de résonance" à ces pratiques, assure le directeur de l'association, Cyril Di Palma. "Autrefois, le harcèlement survenait souvent uniquement à l'école. Les réseaux sociaux permettent de le prolonger. Il ne s'arrête jamais, résume-t-il. Avec le partage des images sur YouTube ou Dailymotion, la victime n'est plus la risée d'un petit groupe. Elle est potentiellement la risée de tout le monde, tout le temps." Lui qui a rencontré de nombreuses jeunes victimes assure que toutes souffrent d'avoir perdu le droit à l'anonymat.
Ainsi, "pour la victime d'une agression, apparaître dans une vidéo constitue une double source de souffrance", relève le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron."Les agressions de personnes, lorsqu'elles sont ciblées sur un individu spécifiquement choisi, et non pas au hasard (...), sont les agressions les plus difficiles à dépasser pour la victime, assure-t-il. Elles sont particulièrement stigmatisantes, et plus encore lorsque, comme ici, l’intention d’humilier publiquement est patente."
Angoisses, peur de sortir, isolement. Aux séquelles courantes observées chez les victimes d'agression s'ajoute la crainte de revoir ces images. "Il faut vivre avec la tentation d'aller les voir soi-même, et d’en être terrifié, ou se contenter de les imaginer, mais ce n’est pas moins terrifiant", poursuit le psychiatre.
Pour les agresseurs : la vindicte populaire
A visage découvert dans la vidéo, l'agresseuse, Alicia, parade et provoque. Une attitude qui n'étonne pas Cyril Di Palma. Lui assure que ce fait divers illustre "la difficulté de faire comprendre aux plus jeunes que ce qu'il se passe en ligne a des conséquences dans la vraie vie". Sur le web d'abord : la démarche exhibitionniste de la jeune fille lui coûtera au minimum sa "e-réputation", souligne le psychiatre : "Contrairement à ce qui est souvent avancé, la communauté internet n'est pas sans régulation. L'acte de ces agresseuses montre qu'elles sont dénuées de toute empathie, mais aussi ignorantes des règles qui régissent les réseaux", explique-t-il.
Déjà, son visage barré illustre les bannières des pages Facebook en soutien à Laura. Son nom, dévoilé et sali, s'étale sur les réseaux sociaux (au point de faire réagir une homonyme américaine, surprise du flot de haine lui arrivant de France). Des photomontages (comme son visage, incrusté dans une boîte de thon) se partagent sur Twitter. Deux jours après la diffusion de sa vidéo, l'ado qui a asséné les gifles affronte d'abord la vindicte populaire.
La France dispose, depuis plusieurs années, d'outils permettant de punir les auteurs de ce type d'agressions : lundi, l'adolescente a été placée en "liberté surveillée préjudicielle", sous la surveillance et le contrôle d'un éducateur. Cette mesure provisoire d'observation peut s'étendre jusqu'à six mois, dans l'attente de son jugement. Depuis la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, l'auteur de l'agression, ainsi que la personne filmant la scène, encourent une peine de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. A l'époque, il s'agissait de lutter contre un phénomène viral venu des Etats-Unis, le "happy slapping" (en français, "donner joyeusement des gifles")
"La personne qui filme est complice de l’agression, et organisatrice du caractère public de l’humiliation, confirme Serge Tisseron. Elle est coupable à la fois de non-assistance à personne en danger et de démultiplier la force de l’agression par le pouvoir des médias." Si le psychiatre assure qu'"il ne faut pas faire de ce cas l'emblème d'une nouvelle génération internet", Cyril Di Palma met en garde : "Quand les parents offrent une voiture à leurs enfants, ils savent qu'il existe un risque d'accident. Avec un smartphone, cela devrait être pareil : l'outil est neutre, mais il faut apprendre à s'en servir correctement."
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