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"Charlie Hebdo" : "Le temps joue en la faveur des preneurs d'otages"

Bernard Thellier, ancien négociateur du GIGN, explique l'approche qu'ont les négociateurs avec les preneurs d’otages.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Un membre des forces spéciales sur le toit de l'imprimerie où se trouvent les preneurs d'otages, à Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne). (JOEL SAGET / AFP)

Deux jours après leur attaque sanglante au siège de Charlie Hebdo, les frères Kouachi ont pris en otage au moins une personne à Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne. Le GIGN et le Raid sont sur place. Bernard Thellier est un ancien négociateur du GIGN. Il est aussi chargé de cours de psychologie comportementale à l’université de Paris-II. Pour francetv info, il explique comment se déroule une négociation avec des preneurs d’otages.

Francetv info  : Que fait-on quand on arrive sur les lieux ?

Bernard Thellier :
D’abord, un dispositif d’urgence est mis en place. Une équipe d’assaut se poste au plus près. Au cas où un otage viendrait à être menacé plus directement, une intervention serait rapide. Des tireurs d’élite viennent appuyer cette équipe d’assaut. Ils sont équipés de lunettes qui jouent le rôle de jumelles afin de connaître le plus possible ce qui se passe à l’intérieur des lieux de la prise d’otages. Ils font donc du renseignement. Voilà pour l’environnement sécurisé, en quelque sorte. Un processus de négociation peut alors commencer.

Comment fait-on pour établir le contact ? Par haut-parleur, par téléphone ?


Dans le cas présent, il y a une sorte de "chance" dans le fait que la prise d’otages se déroule au sein d’une société commerciale. Cela veut dire qu’il y a des téléphones. Donc on se procure la liste de tous les postes, on les essaye tous, et on établit le contact.

Donc on commence à se parler. Mais quel est le sujet de conversation ? Dans ce qui se passe actuellement, par quoi pourrait commencer l’échange ?


En fait, cela commence par deux hommes qui communiquent ensemble. On ne commence pas à parler du passé ou du futur, on établit d’abord une relation humaine entre deux interlocuteurs.

Mais comment fait-on ? On dit "je travaille au GIGN et je suis négociateur" ?


Oui, on se présente. Il est possible d'utiliser une couverture, d’un soi-disant monsieur Tout-le-monde. Mais je pense vraiment qu’il vaut mieux dire clairement qu’on travaille en tant que négociateur du GIGN.

Il faut tenter, pour nouer le dialogue, de trouver un point commun avec eux. Par exemple, on peut parler de l’armement dont disposent le GIGN et les preneurs d’otages. L’idée est de mettre clairement sur la table le fait que le GIGN et les preneurs d'otages sont des combattants. Et cela, bien sûr, dans des camps opposés, l’un œuvrant pour la paix et l’autre pour la destruction.

Le but est d’obtenir une reddition, de limiter le plus possible le nombre de victimes. Comment fait-on ?

On a commencé à installer un dialogue entre hommes. Et cela n’est pas facile. C’est souvent chaotique, il y a des insultes, des menaces. En fait, le but est de faire baisser la pression. Et puis, petit à petit, on en vient au vif du sujet. La clé de tout cela est de savoir ce qu’ils veulent exactement, quelles sont leurs revendications. S’ils ont pris des otages, c’est peut-être qu’ils attendent un échange. 

Et s’ils ne veulent rien ?

C’est bien ce que je redoute. En fait, ils ont peut-être pris un ou des otages simplement pour gagner du temps. Car le temps joue aussi en leur faveur. Ils tiennent en haleine tous les médias, ils vont passer pour des martyrs, et cela, pour eux, c’est le retentissement publicitaire garanti.

Selon moi, les groupes terroristes tirent souvent des leçons de leurs actions. En 1994, lors du détournement de l’Airbus d’Air France à Marseille, le GIGN a lancé l’assaut, il a neutralisé les terroristes. On sait que ces derniers voulaient lancer l’avion sur la tour Eiffel. Et tous les otages ont été libérés. En 2001, les avions ont été précipités sur les tours de Manhattan, et là, pas de négociation possible. Autre exemple, à Sydney récemment, un homme prend en otage une dizaine de personnes. La négociation dure une quinzaine d’heures, il y a beaucoup de libérations et deux morts. Un résultat beaucoup trop mince pour un terroriste.

Alors ce matin, ce que nous voyons, c’est deux hommes, qui ont tué et qui sont en cavale. Tout est à redouter.

Mais le temps joue aussi contre eux ?

Certes, ils s’épuisent. Mais en définitive, l’écho médiatique est considérable pour leur cause.

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