Ce que l'on sait de la disparition d'un jeune homme à Nantes après une intervention de la police la nuit de la Fête de la musique
Le jeune homme de 24 ans, Steve Maia Caniço, était présent dans la nuit de vendredi à samedi, lors d'un rassemblement techno. Deux enquêtes ont été ouvertes.
Plus les heures passent, plus l'espoir diminue. A Nantes (Loire-Atlantique), l'inquiétude grandit après les événements qui ont marqué la fin de la Fête de la musique, dans la nuit du vendredi 21 au samedi 22 juin, sur le quai Wilson, lors d'une soirée techno.
Une intervention de policiers, chargés de disperser les fêtards, a tourné au drame : quatorze personnes sont tombées à l'eau avant d'être récupérées et un jeune homme de 24 ans n'a toujours pas été retrouvé. Le parquet général de la cour d'appel de Rennes a annoncé, jeudi 27 juin, qu'il ouvre une information judiciaire après cette disparition. Franceinfo fait le point sur ce que l'on sait de cette affaire.
Une soirée techno qui tourne mal
Traditionnellement, lors de chaque Fête de la musique, dans la cité des Ducs, plusieurs scènes sont installées en bord de Loire, à proximité du site du Hangar à bananes, sur l'île de Nantes. L'association Free Form, qui intervient au niveau national auprès des jeunes organisateurs de rassemblements festifs locaux, précise que treize scènes étaient disposées à cet endroit, avec l'autorisation tacite de jouer jusqu'à 4 heures du matin, assure l'AFP. C'est l'heure à laquelle la police est intervenue une première fois pour faire couper la musique.
"Mais la musique a été rallumée", explique Claude d'Harcourt le préfet de Loire-Atlantique interrogé sur France Bleu Loire Océan, entraînant l'intervention des forces de l'ordre, "face à des gens qui avaient beaucoup bu et qui avaient aussi sans doute pris de la drogue". Sur la suite des événements, les versions entre les autorités et les organisateurs de la soirée – l'association FreeForm – divergent.
Il y a eu des échanges de coups et on ne sait pas qui est à l'origine du départ de l'échauffourée.
Samuel Raymond, coordinateur de FreeFormà l'AFP
Dans Ouest-France (articles abonnés), Jérémy Becue, 24 ans, présent à cette soirée, raconte qu'une dernière chanson a bien été diffusée, "un chant antifa que tout le monde connaît". D'après lui, ce sont les policiers qui ont déclenché les hostilités en premier, au milieu de la chanson : "Les gaz lacrymogènes sont partis. Alors que rien n'avait volé. Aucun projectile". Les événements se sont ensuite précipités. "On s'est fait gazer. Il y a eu des énormes nuages de fumée, de lacrymogènes, qui nous piquaient les yeux, qui nous piquaient la gorge. Moi, je me suis retrouvée en première ligne lors du chaos. J'ai vu des grenades de désencerclement, les chiens qui ont été lâchés, une fille qui a été matraquée", raconte Dorine, l'une des personnes présentes sur place, à France Inter.
Du côté des autorités, "les policiers ont essuyé des jets de bouteilles de verre et de pierres, cinq fonctionnaires ont été blessés", a affirmé au Monde Johann Mougenot, directeur de cabinet du préfet.
Des personnes tombées à l'eau
Le site est une "zone potentiellement dangereuse car située en bord de Loire", pointe Samuel Raymond. Cette dangerosité est connue, c'est pourquoi "un dispositif préventif avait été mis en place avec le Sdis (Service départemental d'incendie et de secours) et la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) pour éventuellement récupérer des personnes qui seraient tombées à l'eau", a précisé lundi la préfecture de Loire-Atlantique à l'AFP. Mais le quai est dénué de garde-corps.
Effectivement, une partie du public, quatorze personnes pour l'instant, sont tombées à l'eau, et nous sommes en train de vérifier que tout le monde a bien été récupéré par les pompiers.
Claude d'Harcourt, préfet de Loire-Atlantiqueà France Bleu Loire Océan
"On s'est fait charger, y avait de la lacrymo, tout le monde était encerclé sur le quai. Il y a eu un mouvement de panique. Je pense que des personnes n'ont rien vu et sont tombées (à l'eau) sans faire exprès", a expliqué anonymement à l'AFP un témoin de 24 ans. "Il y a eu une dizaine de personnes qui sont tombées dans l'eau, en courant avec la peur, les fumées et puis il y a eu l'alcool aussi. Les gens ont couru, couru et certains, dans la nuit, n'ont pas vu la Loire", corrobore Dorine sur France Inter. Jérémy Becue, qui fait partie des 14 personnes tombées à l'eau, raconte à Ouest-France qu'il se trouvait à "trois ou quatre mètres du bord". "Je ne voyais plus grand-chose, mes yeux, ma bouche, me brûlaient. C'est là que j'ai mis le pied dans le vide", relate-t-il. Il tombe à l'eau, lutte contre le courant avant de se retourner afin de se mettre dans le bon sens. Il a réussi à porter secours à une personne également à l'eau avant d'attendre les secours.
Un jeune toujours porté disparu
C'est au moment de l'intervention des forces de l'ordre que la trace d'un jeune homme de 24 ans, Steve Maia Caniço, a été perdue. "Il s'est rendu à la Fête de la musique avec un ami, qui était encore avec lui 15 minutes avant qu'il ne disparaisse, il était environ 4 heures du matin", explique Morgane, une amie de Steve, à France 3 Pays de la Loire. Son ami est parti dire au revoir à des copains à lui, quand il est revenu, Steve n'était plus là".C'était après "la charge des CRS", précise Morgane.
Peu probable que Steve se soit délibérement jeté à l'eau pour éviter la cohue car il ne sait pas nager, avance son amie Dorine sur France Inter. Interrogée par Le Monde, elle assure avoir tenté de l'appeler avant 5 heures : "Direct, ça a été messagerie", relate-t-elle.
Plus les heures passent, plus on se dit que Steve est la quinzième personne dans l'eau et que personne ne l'a vu.
Victoria, une amie de Steve Maia Caniçoà France Bleu Loire Océan
Toutefois, à aucun moment une disparition n'est signalée, avancent les policiers interrogés par Le Monde. "Jamais de la vie un policier ne partirait des lieux s'il savait qu'il y a encore quelqu'un dans l'eau", souligne au quotidien Benoît Barret, secrétaire national pour la section province d'Alliance. Pourtant, du côté des pompiers, "il y a toujours eu suspicion d'une personne manquant à l'appel", note anonymement l'un d'entre eux au quotidien, car les gens tentaient d'éclairer l'eau avec leur portable et que le signalement d'une personne ayant coulé avait été donné. Ce n'est que vers 20 heures dimanche, le lendemain, que la mère du jeune de 24 ans "est venue faire une déclaration de disparition inquiétante", a rapporté la police à l'AFP. Sa disparition a également été signalée sur Twitter. Lundi et mardi, les sapeurs-pompiers ont continué à sonder la Loire en aval du quai Wilson, sans succès.
[#AppelàTémoins] Steve MAIA CANICO est porté disparu depuis le 22 juin vers 4h00 Quai Wilson à #Nantes.
— Police Nationale 44 (@PoliceNat44) 24 juin 2019
Si vous avez des informations, contactez les enquêteurs.
Merci pour vos partages. pic.twitter.com/Qrj1a9IkWo
Plusieurs enquêtes ouvertes
Une première enquête pour "disparition inquiétante" a été ouverte lundi, a annoncé le commissariat de Nantes. Dans la continuité de cette enquête, le parquet général de Nantes a ouvert jeudi 27 juin une information judiciaire "en recherche des causes de cette disparition". Par ailleurs une seconde enquête a été lancée à la demande du ministre de l'Intérieur : "L'IGPN a été saisie sur les opérations de maintien de l'ordre à Nantes à l'occasion de la Fête de la musique", a déclaré le ministère à l'AFP.
Si l'association FreeForm considère qu'il y a eu "clairement une disproportion entre la nuisance et les conséquences de l'intervention de la police", le préfet de Loire-Atlantique a, lui, estimé que "les forces de l'ordre interviennent toujours de manière proportionnée".
Face à des individus avinés, qui ont probablement pris de la drogue, il est difficile d'intervenir de façon rationnelle. Et les individus eux-mêmes étaient immaîtrisables.
Claude d'Harcourt, préfet de Loire-Atlantiqueà France Bleu Loire Océan
Les jeunes présents sur les lieux reprochent aux forces de l'ordre une charge "bien trop violente". "Je ne comprends pas, on faisait la fête, on dansait", se défend Dorine sur France Inter. "Utiliser les gaz lacrymogènes quand on est sur un quai sans garde-corps, de cinq mètres de haut, donnant sur un fleuve dont on connaît la dangerosité, et avec un public qui ne connaît pas forcément bien la topologie du site, est assez clairement risqué", analyse l'association Free Form. Mathis, cité par Le Monde, et d'autres amis du disparu, affirment vouloir porter plainte pour "mise en danger de la vie d'autrui".
Les conclusions de l'enquête de l'IGPN sont donc attendues. Les deux personnes en charge de l'intervention – Thierry Palermo, directeur départemental adjoint à la sécurité publique, qui dirigeait les unités depuis la salle de commandement, et le commissaire Grégoire Chassaing, qui menait les hommes sur le terrain – vont être interrogées, avance Le Monde, mercredi 26 juin.
Le commissaire visé par des critiques
Des voix se sont élevées contre la conduite de l'opération. "Intervenir sans tenir compte du rapport de force, à 15 contre plusieurs milliers de personnes, qui, à 4h30 du matin, sont forcément dans un état éthylique et/ou stup avancé, dans l'incapacité de raisonner ou de comprendre l'intervention de la police un soir de Fête de la musique : c'était la confrontation assurée !", a déclaré mardi le syndicat SGP-FO, rapporte Ouest-France. Le syndicat de police rappelle au passage que "le quai de Loire est sans protection, l'endroit par définition où il ne faut pas charger…".
Philippe Boussion, secrétaire régional SGP Pays-de-la-Loire, pointe "une faute grave de discernement, un ordre aberrant". Dans le viseur, les ordres du commissaire divisionnaire, Grégoire Chassaing, qui a dirigé l'intervention sur le terrain. Un avis que ne partage pas Régis Harrouin, secrétaire départemental adjoint du syndicat Alliance, joint par franceinfo : "Cette intervention n'est pas une charge, déjà car on ne charge pas en bord de Loire. Sur les vidéos, je vois des collègues en difficulté, qui ont riposté à des jets de projectiles, ils n'ont fait que se défendre". Pour lui, l'intervention était justifiée, même s'il concède qu'elle peut paraître violente d'un œil extérieur.
Dans Le Parisien, Philippe Boussion assure avoir déjà alerté "à plusieurs reprises sur la vision de la sécurité de ce commissaire, qui expose régulièrement nos collègues par ses prises de décisions et sa vision exclusivement musclée de la sécurité". "Ce n'est pas une bonne stratégie de le mettre en cause", reproche Régis Harrouin, qui sous-entend qu'un tel témoignage illustre "un problème relationnel". "Certaines de ses décisions par le passé ont pu ne pas être bien perçues par des collègues qui ne les considéraient pas forcément appropriées, mais c'est une question de perception, précise Régis Harrouin. J'ai déjà travaillé avec lui et nos interventions se sont toujours bien passées."
Reste que cette intervention soulève des questions qui appellent des réponses. Comme le rappelle Stéphane Léonard, secrétaire départemental du syndicat Unité SGP Police, dans Le Monde, "il y a des règles dans la police nationale, des choses qui se font, d'autres non. Il faut assumer les responsabilités quand ça m…".
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