Ce que l'on sait de la mise en examen d'une magistrate d'Agen dans une affaire de corruption en lien avec le banditisme corse
Un dossier particulièrement sensible. Hélène Gerhards, magistrate à la cour d'appel d'Agen (Lot-et-Garonne), a été mise en examen puis écrouée, samedi 6 avril, dans une enquête ouverte sur ses liens suspects avec un membre du banditisme corse. L'enquête, ouverte en janvier 2021, avait abouti mercredi à l'interpellation de la magistrate, poursuivie pour onze chefs d'inculpation. Franceinfo vous résume ce que l'on sait de cette vaste affaire de corruption.
Une enquête qui prend racine dans un dossier de banditisme corse
Avant d'exercer à la cour d'appel d'Agen, Hélène Gerhards a occupé de multiples postes. Parmi eux, celui de juge d'instruction à Ajaccio (Corse-du-Sud), entre 2011 et 2016, période durant laquelle elle a pu tisser "une relation de proximité avec un individu très défavorablement connu des services de police", selon un communiqué du parquet de Nice. Il s'agit de Johann Carta, un proche du groupe criminel corse dit du "Petit Bar", selon les informations de France 3 Corse.
Johann Carta est placé sur écoute en août 2020, dans le cadre d'une enquête menée à Marseille par la juridiction interrégionale spécialisée en matière de lutte contre le crime organisé. Selon les informations du Monde, le nom de la magistrate revient lors de plusieurs échanges téléphoniques, au point que des soupçons commencent à peser sur elle.
En cause, notamment, l'implication de Johann Carta dans des "travaux dans une villa dont elle était occupante située sur la rive sud d'Ajaccio", expose le communiqué du parquet de Nice. Les conversations téléphoniques permettent en outre "de s'interroger sur les éventuelles contraintes susceptibles de peser sur certains prestataires intervenants" sur le chantier, continue le parquet.
En plus de la pression supposément subie par les ouvriers lors des travaux réalisés dans la résidence secondaire d'Hélène Gerhards, les contacts de la juge avec d'autres "personnes connues des services de police" se révèlent préoccupants. La magistrate "aurait pu, outre des conseils juridiques, rechercher et communiquer des informations concernant des procédures en cours ou des données issues de fichiers", continue le parquet.
Ces découvertes entraînent l'ouverture d'une enquête, diligentée par le parquet de Nice, au début de l'année 2021, pour "recours en bande organisée aux services de personnes exerçant un travail dissimulé", "blanchiment de fraude fiscale", "trafic d'influence actif et passif des autorités judiciaires" et "association de malfaiteurs en vue de la préparation de ces infractions". Ce n'est que le début d'une liste qui ne cesse de s'allonger au fil des investigations.
La magistrate soupçonnée d'avoir détourné plus de 100 000 euros
Grâce aux analyses de documents bancaires, aux exploitations de supports numériques et aux perquisitions réalisées en fin d'année 2022, les enquêteurs comprennent que des sommes importantes ont également pu être détournées. Le montant total des escroqueries "pourrait être évalué à plus de 120 000 euros", chiffre le parquet de Nice.
Pour atteindre une telle somme, il faut additionner les stratagèmes. Il est notamment reproché à Hélène Gerhards d'avoir utilisé son statut de juge d'instruction "pour établir de fausses ordonnances de commission d'expert et de fausses ordonnances de taxe en désignant fictivement des proches afin d'obtenir indirectement et indûment le versement de sommes au titre des frais de justice pour la réalisation d'expertises fictives".
Autre technique à laquelle elle est soupçonnée d'avoir eu recours : "L'identité et les comptes bancaires de jeunes filles au pair présentes [à son] domicile auraient pu être utilisés dans le cadre du détournement de fonds publics reposant sur ces faux". Enfin, le parquet avance que "les fonds détournés auraient pu être utilisés pour procéder à différentes opérations de valorisation" de la villa d'Ajaccio.
La juge nie presque tous les faits reprochés
Les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales ont interpellé Hélène Gerhards à l'un de ses domiciles, le 3 avril 2024. "Placée en garde à vue, elle acceptait de faire des déclarations et répondait à quelques questions en contestant d'abord toute infraction et tout manquement à ses obligations professionnelles", a fait savoir le parquet de Nice. Elle a fini par reconnaître "uniquement une consultation illicite de données au profit" de Johann Carta.
Dans un article de Mediapart publié le jour de son interpellation, l'ancienne juge d'instruction prétendait n'avoir vu que "cinq ou six fois" cet homme, et ne jamais l'avoir croisé quand elle habitait en Corse. Elle déclarait aussi que l'individu, "adorable avec les enfants", lui avait été présenté sous le nom de "Johann" par un artisan mobilisé sur son chantier. Elle affirmait avoir "paniqué" en ayant compris de qui il s'agissait "en 2022".
Le 4 avril, ses avocats Caty Richard et Yann Le Bras, se sont interrogés, dans un communiqué transmis à l'AFP, "sur un éventuel règlement de comptes au sein de la magistrature", suggérant que leur cliente puisse être "victime d'une opération de destruction dans laquelle l'autorité judiciaire se permet tous les coups". Cette enquête semble initiée par "un ancien supérieur hiérarchique" de la magistrate, ont-ils dénoncé, évoquant un possible "conflit d'intérêt".
Ils ont aussi fustigé des méthodes "aussi légalement injustifiées qu'inutilement violentes", avant de déplorer "des fuites" d'informations dans les médias, qui mettent "étrangement en exergue son lien avec l'actuel garde des Sceaux", Eric Dupond-Moretti. Ils font ici allusion à l'enquête de Mediapart, qui pointait notamment le réflexe d'Hélène Gerhards au moment de la saisie de son ordinateur : téléphoner au ministre de la Justice. Interrogée par le média d'investigation, la magistrate "a démenti" avoir passé cet appel
Elle est mise en examen pour onze chefs d'inculpation
Pas moins de vingt chefs d'accusation accablaient Hélène Gerhards, soupçonnée d'avoir commis ces faits entre 2008 et 2022. Le procureur de Nice, Damien Martinelli, avait demandé sa mise en examen pour les onze premières infractions de la liste et son placement en détention provisoire.
Les deux juges d'instruction cosaisis les ont toutes retenues : faux en écriture publique par un dépositaire de l'autorité publique, usage de faux, détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique, recours aux services d'une personne exerçant un travail dissimulé en bande organisée, trafic d'influence passif et actif, association de malfaiteurs en vue de préparer un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement et en vue de préparer des délits punis de cinq ans d'emprisonnement, blanchiment, construction sans permis, détournement de la finalité de fichiers de données personnelles et enfin complicité de violation du secret professionnel. Hélène Gerhards a également été écrouée, dans la nuit de vendredi à samedi.
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