Disparition de Delphine Jubillar : pourquoi la tenue d'un procès de son mari risque d'être retardée par un supplément d'information
Cédric Jubillar, mis en examen pour le meurtre de sa femme Delphine, placé en détention depuis près de trois ans, sera-t-il jugé en 2024 ? La possibilité qu'un procès se tienne prochainement s'amenuise, dans l'affaire de la disparition de cette infirmière dans le Tarn, qui n'a plus donné signe de vie depuis mi-décembre 2020. Car une demande de supplément d'information, déposée le 12 janvier par le procureur général de Toulouse, en raison de nouveaux éléments à vérifier, sème le trouble.
La cour d'appel l'a examinée le 18 janvier. Elle a finalement décidé d'y faire droit, jeudi 8 février, parce qu'elle estime "que les actes demandés présentent un intérêt", selon un communiqué adressé aux médias, dont franceinfo. "Dans sa décision, la chambre de l'instruction rappelle que l'exigence de recherche de la vérité doit être combinée à la nécessité de rendre la justice dans un délai raisonnable", souligne cependant le communiqué. Autrement dit, les nouvelles investigations, si elles retardent la tenue d'un procès, ne doivent pas le renvoyer à une date trop lointaine.
Des vérifications sur une conversation entre un détenu et sa mère
C'est une conversation téléphonique qui suscite des interrogations, a appris franceinfo auprès d'une source proche du dossier, même si le contenu réel de cet échange n'a pas été révélé. Selon nos informations, dans cette conversation, écoutée par l'administration pénitentiaire, une femme évoque la disparition de Delphine Jubillar avec son fils, un homme condamné pour tentative de meurtre et incarcéré par le passé dans le même établissement que Cédric Jubillar. Le détenu cite notamment trois personnes, "Sébastien, Mathieu et Sofiane".
Or, d'après les informations de franceinfo, les prénoms Sofiane et Sébastien apparaissent bien dans le dossier : c'est à Sofiane que Cédric Jubillar a confié vouloir tuer et enterrer sa femme sur le point de le quitter. A l'époque de la disparition de Delphine Jubillar, en plein couvre-feu lié à l'épidémie de Covid-19, le couple, qui a deux enfants, était en instance de divorce.
"Le procès ne nous effraie pas"
Sans confirmer ces éléments, le procureur général de Toulouse a expliqué, fin janvier, à l'AFP, que "les vérifications qui doivent être faites" ne peuvent l'être, à ce jour, "que dans le cadre de ce supplément d'information". De fait, depuis novembre 2023, l'instruction est close. Deux juges ont renvoyé Cédric Jubillar devant la cour d'assises du Tarn pour le meurtre de sa femme. Par conséquent, une demande de supplément d'information est indispensable pour mener de nouvelles investigations. Pour investiguer dans le cadre de ce supplément d'information, ces deux magistrats instructeurs sont à nouveau désignés.
"Ça n'est donc aucunement l'expression d'une carence dans l'instruction. Cela s'inscrit dans la logique qui, depuis le début, prévaut dans ce dossier et qui consiste à vérifier toutes les pistes."
Franck Rastoul, procureur général de Toulouseà l'AFP
"Cela fait deux ans et demi que Cédric Jubillar est mis en examen et autant de temps qu'on dit que le dossier est vide. Cette demande de supplément d'information montre qu'on ne dit pas que des âneries", estime Jean-Baptiste Alary, l'un des trois avocats de Cédric Jubillar, auprès de franceinfo. "Si de nouvelles investigations sont utiles à la manifestation de la vérité, c'est qu'elle n'est peut-être pas complète à l'heure actuelle", souligne-t-il.
Cédric Jubillar, peintre plaquiste, aujourd'hui âgé de 36 ans, nie toute responsabilité dans cette affaire sans corps, ni aveux, ni témoin, ni scène de crime. Ses avocats considèrent que les enquêteurs ne disposent pas de preuves de sa culpabilité. Au cours de l'enquête, ils ont donc déposé plusieurs demandes de mise en liberté, toutes rejetées. Et ils ont fait appel de son renvoi aux assises.
"J'ose encore croire que les magistrats pensent que le dossier ne tient pas debout et qu'un non-lieu peut être prononcé."
Jean-Baptiste Alary, avocat de Cédric Jubillarà franceinfo
La suite du calendrier dépend donc des prochaines décisions judiciaires. "Lorsque ces investigations supplémentaires auront été effectuées, le dossier sera à nouveau examiné devant la chambre de l’instruction", précise la cour d'appel de Toulouse dans son communiqué, jeudi. "Le procès n'est pas une échéance qui nous effraie. On exerce les droits de la défense et on est simplement là pour faire respecter des principes", affirme Jean-Baptiste Alary. Des principes qui, à ses yeux, "ont été piétinés par les juges d'instruction".
Une phrase de l'ordonnance de mise en accusation, en particulier, fait bondir Jean-Baptiste Alary : "L'ensemble des éléments recueillis lors de l'information judiciaire démontre que Cédric Jubillar est l'auteur du meurtre de son épouse." L'avocat estime que c'est une "atteinte choquante à la présomption d'innocence". Lui et ses confrères avaient annoncé lors d'une conférence de presse en novembre leur intention de porter plainte auprès du Conseil supérieur de la magistrature. Aujourd'hui, ils préfèrent attendre avant de déposer cette plainte.
"Il y a besoin que justice soit faite"
"C'est le jeu de la défense de dire que le travail a été mal fait pendant l'instruction. La réalité, c'est que ce travail est colossal. Rien n'a été laissé au hasard", estime Pauline Rongier, avocate d'une amie de Delphine Jubillar, contactée par franceinfo. Selon elle, cette demande de supplément d'information montre que tous les éléments sont "exploités" jusqu'au bout. "C'est le signe qu'un travail important se poursuit. Un supplément d'information demande un peu de temps, mais pas de longs mois, c'est assez ciblé", souligne-t-elle.
Pour l'avocate, toutes les démarches qui peuvent amener à "la manifestation de la vérité" sont essentielles, d'autant plus que le corps de Delphine Jubillar n'a pas été retrouvé. "Savoir où il se trouve est l'un des objectifs de ses proches. Il y a aussi ce besoin que justice soit faite, qu'un procès ait lieu et que leur souffrance soit entendue", fait valoir Pauline Rongier. Il faut préserver le "caractère inattaquable" de la procédure et "ne pas donner inutilement des armes à la défense lui permettant de prétendre que la justice n'instruirait qu'à charge", renchérit, jeudi matin, Philippe Pressecq, avocat d'une cousine de Delphine Jubillar, après la décision de la justice d'ordonner un supplément d'information.
De son côté, Laurent Nakache-Haarfi, qui représente les frères et la sœur de Delphine Jubillar, juge "étonnant" que de nouveaux éléments surgissent aujourd'hui. Mais, dit-il à franceinfo, "cela ne change rien" : "Les conclusions resteront les mêmes. A moins de tomber sur quelque chose d'exceptionnel, un procès de Cédric Jubillar ne pourra jamais être évité".
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