"Je dépose un bisou sur sa joue et elle repart jouer" : à 2h45, le 27 août 2017, Maëlys disparaît lors d'un mariage à Pont-de-Beauvoisin
Le meurtre de cette enfant est l'une des affaires judiciaires les plus marquantes de ces dernières années. Nordahl Lelandais, qui reconnaît l'avoir tuée, est jugé devant la cour d'assises de l'Isère. Les faits commencent à être abordés à partir de ce jeudi.
Pour une fillette de 8 ans et demi, ce devait être une journée de ravissement : une fête de mariage, pour clore l'été avant la rentrée des classes. Ce 26 août 2017, la petite Maëlys de Araujo prend la route depuis le Jura avec ses parents, Jennifer et Joachim, et sa grande sœur Coleen pour rejoindre Pont-de-Beauvoisin, en Isère. Les noces sont celles d'un cousin de la famille, Eddy, avec une jeune femme du pays, Anne-Laure. Les mariés ont réservé la grande salle des fêtes de cette commune de 3 500 âmes aux maisons colorées, situé au milieu de collines.
Après la cérémonie à l'église, les 180 invités se dirigent vers le vin d'honneur au son des klaxons. La température dépasse les 30 °C. Une tente de réception bleue a été dressée à l'extérieur de la salle, des guirlandes à fanions multicolores flottent dans l'air. Une vingtaine d'enfants court entre les jambes des adultes, ballon aux pieds. Maëlys, petite robe blanche sur teint hâlé, ne s'éloigne pas des siens. L'enfant aux yeux noisette et aux cheveux bruns tressés est joyeuse mais réservée. "Je suis allée la chercher aux bras de sa maman", témoigne la baby-sitter recrutée pour la soirée, dans l'émission "Sept à huit". Au programme : colin maillard, épervier et 1, 2, 3, soleil.
Un invité dernière minute
Comme il est d'usage, des habitants ont été invités pour le vin d'honneur. Parmi ces convives, un certain Nordahl Lelandais. Sur un cliché publié par Paris-Match, le style de ce trentenaire détonne, avec son tee-shirt bleu, son pantacourt blanc et ses baskets. Pas vraiment endimanché. Cet ancien militaire s'est incrusté à la dernière minute, en appelant le marié la veille. Et s'il repassait aussi après le dessert ? Dans l'euphorie, Eddy accepte. Et puis "Nono" a de quoi égayer certains hôtes : il consomme et deale de la cocaïne. Tout le monde le connaît dans le coin. Revenu vivre chez ses parents, il aime le sport, les chiens et vit de petits boulots.
La fête bat son plein quand Nordahl Lelandais revient sur les lieux peu après minuit. La salle est divisée en deux parties. L'une est réservée aux enfants et à la baby-sitter, l'autre au repas et à la piste de danse. Maëlys participe à tous les jeux et, comme la nounou l'explique plus tard aux enquêteurs, respecte les consignes : elle ne tente jamais de quitter la salle pour aller jouer dehors. La fillette va régulièrement voir ses parents pour un bisou, un câlin ou déposer une trouvaille. Une fois, elle vient demander à sa mère la permission d'aller voir les chiens d'un "copain". Pas en vrai, rassure-t-elle. Sur son téléphone.
Un intérêt commun pour les chiens
Nordahl Lelandais a beau être un convive imprévu, il est assis à la table des mariés. Maëlys et sa mère se penchent vers son smartphone pour voir défiler les photos des deux malinois. Leur maître a fait partie du 132e bataillon cynophile de l'armée de terre de Suippes (Marne). Jennifer de Araujo raconte la scène dans son livre Maëlys (éditions Robert Laffont), coécrit avec la journaliste Tiphaine Pioger. "Et tu as des chiens ? demande-t-il à ma fille. Consciencieusement, Maëlys énumère chaque race et chaque nom de nos bergers australiens, colley et chien-loup."
"Vous pensez être capable de sentir le danger qui pourrait émaner d'une personne ? Croyez-moi, lui était anodin, sans intérêt."
Jennifer de Araujo, la mère de Maëlysdans son livre
Selon plusieurs témoins, ce n'est pas la seule interaction entre l'enfant et "l'homme aux chiens". Certains l'entendent l'appeler "tonton", d'autres les voient jouer au ballon. Un ami des mariés les aperçoit à l'extérieur de la salle des fêtes, sur le chemin d'accès au parking. Alors qu'ils rentrent à l'intérieur, il entend Nordahl Lelandais dire à Maëlys : "Moi je passe par là, mais toi tu passes par l'autre côté."
Vers une heure du matin, la baby-sitter lève le camp. Le DJ l'annonce au micro, pour prévenir les parents. Certains enfants s'endorment dans un coin de la salle sur des matelas, d'autres continuent à jouer, comme Maëlys. Elle refuse de rentrer avec sa mamie. Ses parents se souviennent avec douleur du dernier instant insouciant partagé avec leur fille. Pour son père, c'était sur la piste de danse. Pour sa mère, au moment de la pièce montée. "Ma fille s'assied sur mes genoux. Elle prend un minuscule morceau de chou dans sa bouche. Ça ne lui plaît pas du tout !" se remémore-t-elle dans son livre. "Je dépose un bisou sur sa joue et elle repart jouer." Il est aux alentours de 2 heures.
Du ravissement au rapt
Quelques chansons plus tard, Jennifer cherche ses filles des yeux. Coleen est bien là mais Maëlys n'est plus dans les parages. Entendu par les gendarmes, l'un des enfants du mariage a vu la fillette, restée pieds nus toute la soirée, "remettre ses sandales dix minutes avant qu'on ne la voie plus". L'angoisse monte, le DJ lance un appel dans le micro. Pas de réponse, pas de Maëlys. La musique est coupée, la soirée prend un virage à 180 degrés. Les recherches s'improvisent dans l'affolement.
"Je pense que cette affaire a suscité autant d'émotion car chaque parent a pu s'imaginer cette scène glaçante et irréelle d'une fillette qui disparaît lors d'un événement censé marquer, avec joie, une vie : un mariage."
Fabrice Rajon, l'avocat de la mère de Maëlysà l'AFP
Saisie d'une "intuition", Jennifer de Araujo cherche "l'homme aux chiens". Elle finit par le croiser alors qu'il arrive du parking. "Tu n'as pas vu Maëlys ?" demande-t-elle. "Non, je l'ai pas vue", répond-il "d'un air supérieur, blasé", écrit-elle. Selon plusieurs témoignages, Nordahl Lelandais ne participe pas aux recherches. Un des invités, qui a consommé de la cocaïne avec lui au mariage, le voit se rendre aux toilettes et l'entend vomir. Un autre convive l'aperçoit ensuite s'éclipser au volant de son Audi grise peu avant l'arrivée des gendarmes, à 4 heures du matin.
Une tache de sang dans le coffre
A quelle heure Maëlys s'est-elle volatilisée ? Les premiers témoignages récoltés le lendemain situent sa disparition entre 2h30 et 3h30. La playlist du DJ donne un horaire plus précis, aux alentours de 2h45. Des mois d'enquête, d'analyses de vidéosurveillance, de téléphonie et d'interrogatoires vont aider à bâtir un scénario des minutes et des heures qui ont suivi. Car à partir de cet instant de la nuit, plus aucun témoin n'est en mesure de dire ce qui est arrivé à Maëlys, si ce n'est Nordahl Lelandais.
A 2h46, le portable de ce dernier passe en mode avion. Une minute plus tard, sa voiture est filmée par une caméra de surveillance de la commune, en direction de Domessin, où se trouve le domicile de ses parents. A la place du passager avant, une petite silhouette blanche. A 2h55, une autre caméra capte le véhicule roulant vers une voie ferrée, à environ 2 kilomètres de chez les Lelandais. A 3h09, il est filmé en sens inverse. A 3h25, Nordahl Lelandais rallume son téléphone et borne de nouveau dans le secteur de la salle des fêtes. Sur les images de la vidéosurveillance, le siège passager avant est vide. A 3h55, il repart et repasse en mode avion. Il ne réactive sa ligne qu'à 7h06.
Cet horodatage ne fait que suggérer l'horreur. Il faudra une tache du sang de Maëlys, découverte six mois plus tard dans le coffre de la voiture, pour que Nordahl Lelandais, mis en examen dans cette affaire et dans celle de la disparition du caporal Arthur Noyer, reconnaisse avoir "tué involontairement (…) cette pauvre petite". Il conduit les enquêteurs sur les lieux où il a dissimulé le corps, sur un site escarpé du massif de la Chartreuse, près de la commune d'Attignat-Oncin. Le squelette de l'enfant repose en position fœtaIe, sur le flanc gauche.
Le mobile sexuel en question
Dans sa dernière version livrée aux juges, en septembre 2018, notamment à l'occasion d'une reconstitution, Nordahl Lelandais assure que Maëlys lui a demandé d'aller voir ses chiens, qu'elle est montée de son plein gré dans la voiture. Rapidement, la fillette se serait mise à "chouiner". Il lui aurait alors asséné, tout en conduisant, "trois ou quatre" coups très violents au visage. Pris de "panique", Nordahl Lelandais aurait déposé son corps inanimé près de la voie ferrée avant de passer chez lui pour changer son short taché de sang et retourner brièvement à la salle pour se constituer un "alibi". Il serait ensuite retourné chercher Maëlys pour transporter son corps une dizaine de kilomètres plus loin.
Si certaines de ses déclarations sont compatibles avec les constatations, la chronologie de cette nuit funeste reste fragmentaire. Les juges concèdent que Maëlys a pu monter dans la voiture sans violences physiques exercées sur elle, l'enfant ayant été mise en confiance par cet adulte rencontré dans un cadre festif, avec lequel elle partageait la passion des chiens. Mais ils ne retiennent pas la thèse de l'homicide involontaire. Et s'ils ont écarté le viol des chefs d'accusation, faute de preuves, le mobile sexuel restera central lors du procès. Nordahl Lelandais est également jugé pour des agressions sexuelles commises sur deux petites cousines peu de temps avant le mariage. Leurs parents doivent être entendus vendredi et lundi.
D'autres questions subsistent. Maëlys a-t-elle été tuée dans la voiture ? Les coups avoués par Nordahl Lelandais ont-ils causé la mort de l'enfant ? Les parties civiles espèrent toujours qu'un procès d'assises leur apportera des réponses. Mais comme elle le confiait à France Télévisions, Jennifer de Araujo n'attend pas grand chose de l'accusé, corseté dans sa ligne de défense. Cette mère aimerait juste savoir "quels ont été les derniers mots" de sa fille. "Après, est-ce que je vais le croire, c'est une autre histoire." Condamné à 20 ans de réclusion en mai 2021 pour le meurtre d'Arthur Noyer, Nordahl Lelandais encourt cette fois la perpétuité.
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