Mort de Steve Maia Caniço : forces de l'ordre, mairie de Nantes... L'IGA pointe plusieurs dysfonctionnements
Le rapport de l'Inspection générale de l'administration détaille les conditions qui ont conduit, dans la nuit du 21 au 22 juin, à la mort du jeune homme. Et pointe notamment "un manque de discernement" du commissaire chargé de l'intervention policière.
L'intervention des forces de l'ordre est-elle à l'origine de la noyade de Steve Maia Caniço, le soir de la Fête de la musique, à Nantes ? Trois mois après la mort du jeune homme, Christophe Castaner a révélé, vendredi 13 septembre, le contenu de l’enquête administrative (rapport en PDF). Le ministre de l’Intérieur a prévenu tout de suite : le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) ne répond pas à la question de la responsabilité de la police, il analyse les conditions dans lesquelles l'intervention des forces de l'ordre a eu lieu. Et pointe certains dysfonctionnements.
L'intervention de la police était-elle disproportionnée ?
En premier lieu, le rapport de l'IGA observe "que la situation aurait été totalement différente si le neuvième sound system avait coupé le son comme les huit autres. La cause première des violences est bien celle-là", indique le rapport.
L'enquête administrative note également que l'intervention était justifiée dans son principe, compte tenu des jets de projectiles sur les forces de l'ordre. Mais les modalités de cette intervention n'étaient pas adaptées. Il est légitime, selon les inspecteurs, de "s'interroger sur le bien-fondé de la manœuvre opérée par le chef du dispositif de surveillance général, à une heure où la lucidité de certains 'teufeurs' était altérée".
L'IGA critique plusieurs décisions prises par les forces de l'ordre. D'abord la "progression à pied des policiers", qui a conduit à ce que cinq d'entre eux soient blessés. Puis la quantité importante de munitions utilisées, situant "la Fête de la musique au niveau des manifestations de 'gilets jaunes' de faible intensité". Ensuite, le fait que des grenades lacrymogènes aient été lancées parallèlement au fleuve, rendant "l'air difficilement respirable près de la Loire" et aboutissant à une visibilité faible. Pour étayer le deuxième point, l'IGA fournit un tableau comparatif du nombre de munitions utilisées ce soir-là.
Plusieurs témoins interrogés par l'IGA ont rapporté un "mouvement de foule, avec des personnes en état de panique sous l'effet des gaz lacrymogènes".
Le rapport rappelle également qu'un événement comparable était survenu au même endroit lors de la Fête de la musique 2017, mais qu'il n'avait pas donné lieu à une intervention policière du même ordre.
Le commandement a-t-il été défaillant ?
C'est un des points soulignés par le ministre de l'Intérieur lors de son intervention : le rapport de l'IGA pointe "un manque de discernement" de la part du chef du dispositif de surveillance générale. "La gestion des dispositifs de sécurité et de secours conduit à s’interroger sur la pertinence de certains choix opérés quai Wilson et à constater un manque de discernement dans la conduite de l’intervention de police." "Le bien-fondé" de la manœuvre des policiers, "à savoir une progression à pied pour reconquérir le terrain en direction du bâtiment 'Le Bunker' et procéder à des interpellations, interroge", énonce le rapport de l’IGA.
Conséquence, le commissaire chargé de l'intervention policière "ne pourra plus exercer ses fonctions et sera muté (...) sur un emploi sans responsabilité de maintien de l'ordre, dans l'attente des conclusions de l'enquête" judiciaire, a annoncé Christophe Castaner.
L'île de Nantes était-elle assez sécurisée ?
Pour l'IGA, les services de la ville et ceux de la préfecture de Loire-Atlantique, mobilisés pour organiser la Fête de la musique, n'ont pas accordé "une attention suffisante à la présence des sound systems sur le quai Wilson", sur l'île de Nantes.
Depuis une dizaine d'années, la municipalité "tolère" l'installation de sound systems sur l'île, "sans souhaiter institutionnaliser et, par conséquent, réglementer leur présence". En 2019, elle a empêché leur installation en plusieurs points de l'île. "Dès lors, le quai Wilson constituait pour les sound systems la seule implantation possible", explique l'IGA. La ville et la préfecture "savaient ou devaient savoir" que cette friche portuaire ne dispose "d'aucune protection destinée à prévenir de chutes en Loire" et qu'elle "présentait un risque important".
L'IGA note aussi que la ville de Nantes "aurait pu se préoccuper de la pose d’un barriérage" comme sur le quai des Antilles, où un "barriérage fixe" a été posé, et sur le parking du quai Wilson. Ainsi, l'IGA recommande à la ville de n'autoriser sur le quai Wilson des événements "susceptibles de rassembler un grand nombre de participants" qu'après avoir analysé les risques et "prévu une sécurisation physique des lieux adaptée".
La communication entre les différents services a-t-elle été insuffisante ?
C'est ce qu'a déploré le ministre de l'Intérieur en résumant le rapport. "Ni la préfecture, ni la municipalité n'ont été informées dans la nuit des incidents qui se déroulaient. L'autorité préfectorale n'a pas eu la possibilité de prendre la mesure des événements et de donner des directives", a regretté Christophe Castaner. Ainsi, l'IGA regrette que "la préfecture n'ait reçu aucune information de la part du DDSP et du SDIS sur les événements qui se déroulaient quai Wilson".
Selon le rapport, une meilleure coordination des services de secours avec la police aurait également pu permettre de répertorier plus vite le nombre de personnes qui étaient tombées dans la Loire. L'IGA note que 12 personnes auraient chuté dans le fleuve pendant la nuit du 21 au 22 juin, dont quatre avant l'intervention des policiers et une après l'intervention des policiers. Sept personnes sont tombées à l'eau "pendant la plage horaire correspondant à l'intervention des policiers". Un décompte qui n'inclut pas Steve Maia Caniço, "au sujet duquel la justice est saisie", précise le rapport.
Fallait-il interdire l'installation des sound systems sur l'île ?
Le rapport conclut que non. Juridiquement, la préfecture et la mairie avaient le droit d'interdire les free parties sur l'île de Nantes. Pourtant, l'IGA écrit qu'il n'est "pas certain qu’une telle interdiction aurait pu être justifiée", puisque les éditions précédentes n'avaient donné lieu à "aucun incident notable ou trouble manifeste à l'ordre public".
En outre, une interdiction aurait nécessité des forces de l'ordre importantes "à un horaire où celles-ci étaient mobilisées sur la sécurisation du Hellfest de Clisson et de la Fête de la musique en centre-ville". Une telle interdiction "aurait pu provoquer des troubles à l'ordre public supérieurs à l'atteinte qu'elle aurait tenté d'éviter", juge l'IGA.
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