Cet article date de plus de cinq ans.

Usine Lubrizol de Rouen : en 2013 déjà, une fuite de gaz et des sanctions

Sur les réseaux sociaux, plusieurs internautes se sont étonnés qu'un nouvel incident industriel ait lieu sur le site classé Seveso, six ans après une première fuite de gaz due à des négligences. 

Article rédigé par franceinfo - Noémie Leclercq
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Un premier incident industriel a eu lieu en 2013 à l'usine Lubrizol de Rouen, provoquant un nuage nauséabond.  (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Un troisième incident en moins de dix ans. Un important feu s'est déclaré dans la nuit du mercredi 25 au jeudi 26 septembre sur l'usine de Lubrizol, à Rouen (Seine-Maritime). Plusieurs explosions ont été entendues par les habitants alentour, vers 2h45 du matin. Malgré les 130 sapeurs-pompiers dépêchés immédiatement après l'alerte, l'incendie fait toujours rage plusieurs heures après le départ de feu. 

>> DIRECT. Incendie de l'usine Lubrizol à Rouen : les dernières informations 

Immédiatement, un périmètre de sécurité a été mis en place et les écoles des communes voisines, fermées pour la journée – bien que les autorités estiment qu'il n'y a aucun danger de toxicité. L'ex-ministre de l'écologie, Delphine Batho, a réagi sur Twitter : comment se fait-il qu'un incendie ait pu se produire sur le site Seveso de Rouen, alors qu'en 2013 déjà, un incident industriel avait conduit à une condamnation pour négligence des responsables ?

Un gaz "non toxique" mais perceptible du sud de l'Angleterre à l'Ile-de-France

L'épisode auquel fait référence l'ex-ministre remonte au début de l'année 2013. Le 22 janvier de cette année-là, un gaz malodorant, mais "non toxique" selon les autorités, se répand après une fuite de gaz sur le site de Lubrizol. Son odeur est encore perceptible plus de 48 heures après l'incident. De quoi inquiéter les habitants, qui appellent par milliers les services d'urgence, à tel point que le standard du Sdis est saturé quelque temps.

La fumée nauséabonde qui se propage est due au mercaptan, composé soufré dégageant des odeurs d'ail, de sueur ou encore d'œuf pourri. Ce gaz est associé aux gaz de ville pour permettre de sentir une fuite, autrement inodore et potentiellement dangereuse. Il est classé comme "toxique par inhalation" et "très toxique pour les organismes aquatiques", entraînant "des effets néfastes à long terme" par l'INRS. Mais les autorités indiquent que les seuils d'exposition sont "très en dessous des seuils ayant un impact sanitaire", malgré les nausées et maux de tête que peut provoquer sa forte odeur. 

Des autorités qui tardent à réagir 

Quelques voix dissidentes, dont Michèle Rivasi, députée européenne Europe Ecologie-Les Verts, indiquent que l'inhalation du mercaptan, le gaz en question, n'est pas sans danger pour les personnes fragiles. Selon elle, les autorités ont failli au principe de précaution, puisqu'elles n'ont pas immédiatement alerté les riverains. A plusieurs reprises, les autorités locales et le gouvernement, dont Delphine Batho, ont affirmé qu'il n'y avait aucun danger et l'alerte n'a par conséquent pas été déclenchée. Pourtant, dans le Kent, au sud de Londres, les pompiers ont immédiatement préconisé aux habitants de laisser portes et fenêtres fermées du fait de ce nuage de gaz venant de France.  

Si un "protocole de situation dégradé" a été mis en place par les responsables de l'usine, plus de deux jours ont été nécessaires pour que la neutralisation de cette réaction chimique soit mise en place par les pouvoirs publics et l'entreprise. Il faudra notamment attendre le lendemain matin pour que l'usine suspende ses activités. Le match de Coupe de France prévu en soirée, Rouen-Marseille, a été annulé. La préfecture de Seine-Maritine avait à l'époque justifié ce retard par la nécessité de procéder à des mesures de pressions et de températures, afin d'éviter un autre incident. 

"Nous avons hérité d'une situation où, sur 404 sites Seveso qui font l'objet de la prescription d'un plan de prévention des risques technologiques, seulement 200 à peu près ont été approuvés, il faut donc redoubler d'efforts, avait à l'époque indiqué Delphine Batho. Nous avions proposé dans la loi de finance des mesures pour le financement des travaux, cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel mais le gouvernement la présentera de nouveau." Le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de Lubrizol est à l'époque toujours en cours d'instruction, alors que la loi Bachelot du 30 juillet 2003 – votée après l'explosion d'AZF à Toulouse – oblige les autorités à présenter des PPRT pour les installations de production industrielle à "hauts risques". 

Une condamnation pour négligence

Rapidement, une enquête est ouverte par le parquet de Rouen pour "mise en danger de la vie d'autrui". La section de recherches de la gendarmerie de Rouen, épaulée par l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique, est en charge de l'enquête judiciaire. Une autre enquête administrative est lancée dans la foulée par la ministre de l'Ecologie. "Il y a sans doute eu une négligence ou une faute qui a entraîné cette réaction chimique", avait-elle déclaré sur Europe 1. Elle ne s'était en revanche pas avancée sur la nature de cette négligence, "une erreur humaine ou une faute technologique".

Manuel Valls, ministre de l'Intérieur en 2013, accélère l'arrivée en Seine-Maritime du nouveau préfet, Pierre-Henry Maccioni, pour la gestion de la crise. Un rapport officiel est publié début juillet, établissant que "deux éléments ont contribué à l'aggravation de ce phénomène accidentel : le retard pris pour préparer la première solution neutralisante le lundi matin, à la suite des difficultés rencontrées pour démarrer le mélangeur mobile (qui résultent d'un manque d'entraînement), avec pour corollaire une solution mal mélangée et les performances du système de traitement des gaz, bien dimensionné pour traiter l'H2S émis, mais vite saturé quand les émissions de mercaptan sont devenues importantes." 

Le tribunal de police de Rouen a quant à lui rendu son verdict en avril 2014. Les magistrats ont estimé qu'il y avait eu "une série d'insuffisances dans la maîtrise des risques de la part de la société" et ont condamné Lubrizol à 4 000 euros d'amende. Mais à peine un an plus tard, un "incident d'exploitation" a de nouveau eu lieu sur le site : 2 000 litres d'huile minérale se sont déversés dans le réseau d'évacuation des eaux pluviales. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.