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Réchauffement climatique : comment les pompiers français s'arment pour combattre des feux de forêt et de végétation plus violents

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Image aérienne montrant des champs brûlés à Piseux (Eure), le 24 juillet 2019. (GROUPE DE SECOURS CATASTROPHE FRANCAIS / AFP)

Les incendies de grande ampleur ne concernent plus uniquement les bassins méditerranéen ou aquitain. Des zones plus au nord sont désormais touchées. Une nouvelle donne à laquelle les services de secours ont commencé à s'adapter.

Les conséquences du réchauffement climatique se font déjà sentir en France hexagonale sur le front des incendies. En ce mois de juin, alors que l'été n'a pas débuté, les feux se multiplient. Le 12 juin, cinquante hectares de maquis ont ainsi été engloutis par le feu dans les Pyrénées-Orientales et plusieurs foyers se sont déclarés près de Nîmes (Gard). Le lendemain, c'est un camping arboré du Grau-du-Roi qui a été ravagé par les flammes. 

Entre les épisodes de sécheresse précoces et sévères et les fortes vagues de chaleur estivales, les zones habituellement concernées par les incendies de végétation – les bassins aquitain et méditerranéen  font face à des brasiers plus intenses et plus étendus. Des régions plus au nord, jusqu'alors épargnées par les flammes, sont désormais touchées. Le ministère de la Transition écologique liste les nouvelles zones exposées : les Pays de la Loire, le Centre-Val de Loire, la Bretagne ou encore les Hauts-de-France.

Mais en réalité, l'ensemble de l'Hexagone est touché. "C'est désormais dans le contexte du changement climatique, et à une échelle nationale, que la problématique des feux de végétation doit être envisagée", prévient l'Observatoire national des effets du réchauffement climatique (Onerc) dans un rapport publié en mars. Face à cette menace nouvelle, les services de secours français sont-ils prêts et suffisamment armés ?

Des avions bombardiers d'eau désormais basés dans la Somme ou l'Indre

L'adaptation aux "changements rapides" induits par le réchauffement climatique est prise en compte depuis plusieurs années par la Sécurité civile, assure à franceinfo le commandant Alexandre Jouassard, porte-parole de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Une réflexion visant "l'horizon 2030-2050" a conduit à cette conclusion : "Nos forces aériennes et terrestres doivent être réparties sur le territoire national." 

Trois nouveaux Pélicandromes, des sites pouvant accueillir des avions bombardiers d'eau, ont ainsi été ouverts en 2020, loin de la Côte d'Azur ou de l'Atlantique : à Angers (Maine-et-Loire), Châteauroux (Indre) et Méaulte (Somme). Dans le même mouvement, un autre a été ouvert à Epinal (Vosges) et celui de Saint-Etienne (Loire) vient de recevoir sa certification.

Dans la région la plus septentrionale de France, "la prise de conscience date de 2019", relate auprès de franceinfo le colonel des sapeurs-pompiers Olivier Desquiens, adjoint au chef d'état-major de zone de défense et de sécurité Nord (qui regroupe les cinq départements des Hauts-de-France). Cette année-là, 3 000 hectares de cultures sont partis en fumée dans le secteur, dans un contexte de canicule estivale exceptionnelle. Dès septembre, la décision a été prise de mettre en place une "réponse zonale". L'aéroport d'Albert-Picardie, à Méaulte, en fait partie. Il occupe une "position centrale", explique le colonel Olivier Desquiens. Ainsi, un appareil qui fait le plein d'eau sur ce site "peut interagir avec n'importe quel chantier de la zone Nord en maximum 30minutes", souligne-t-il.

Des soldats du feu mieux formés

Les formations spécifiques des pompiers aux feux de forêt s'intensifient également. Ces professionnels sont formés à lutter contre les flammes, mais des différences importantes existent entre un feu d'habitation et un feu de forêt. A terme, ce qui était jusqu'alors plutôt une spécialité des pompiers du sud de la France doit devenir la norme pour l'ensemble du pays. "Des Sdis [Services départementaux d'incendie et de secours] se rendent compte d'une carence dans le taux de formation du personnel", glisse à franceinfo François Faucon, de la Direction départementale des territoires dans l'Indre-et-Loire. "Des Sdis visent 50% voire 100% du personnel formé", ajoute ce spécialiste des feux de forêt, illustrant : "Le Cher organise cinq sessions cette année."

Le but de ces formations est double, explique Alexandre Jouassard. "Les acteurs sur place seront formés, auront donc une accoutumance et une capacité à réaliser les bons gestes" et "les colonnes qui descendent du nord pour prêter main forte à leurs collègues du sud de la France" sont pleinement opérationnelles. En effet, lorsqu'un violent incendie nécessite la mobilisation de très nombreux soldats du feu, comme en 2021 près de Gonfaron (Var), il faut envoyer des troupes pour soulager les équipes locales et assurer les interventions courantes des pompiers (en plus des incendies), mais également épauler les pompiers aux prises avec les feux de forêt ou de végétation.

Incendie dans le Var : vue du ciel, un paysage apocalyptique après le passage du feu
Incendie dans le Var : vue du ciel, un paysage apocalyptique après le passage du feu Incendie dans le Var : vue du ciel, un paysage apocalyptique après le passage du feu (France 2)

Surtout que les envois de renforts dans le Sud, déjà observés ces dernières années, devraient se multiplier. Julien Ruffault, spécialiste des feux et du changement climatique à l'Unité de recherche des forêts méditerranéennes (URFM), souligne "une différence entre les zones Méditerranée et le reste de la France sur les prévisions climatiques". La tendance observée dans les zones méditerranéennes va s'accentuer de façon certaine : les feux risquent d'être plus fréquents et plus intenses. 

Dans le reste de l'Hexagone, la tendance est bien là, mais moins forte, et avec une incertitude plus importante, notamment sur l'ampleur et la fréquence des incendies. "Les simulations à l'échelle nationale et régionale sont complexes parce qu'elles sont basées sur des relations statistiques entre les conditions météorologiques et les feux observés, prévient l'expert. Dans les zones où il n'y a pas encore de feux, nous ne pouvons pas encore établir ces relations statistiques."

Camions neufs et caméras de détection

Si l'incertitude est grande pour les zones plus au nord, la vigilance est réelle. Pour preuve : l'acquisition de matériel. Le Sdis de l'Indre a ainsi acheté, en 2021, quatre camions-citernes pour lutter contre les feux de forêts. A 250 000 euros l'unité, l'investissement est "important", commente François Faucon, précisant que même si ces engins viennent "renouveler un parc matériel vieillissant""les derniers feux dans l'Ouest ont un peu modifié les choses". La dynamique est similaire dans la zone de défense Nord. En 2021, les cinq Sdis de ce secteur ont acheté neuf camions-citernes de lutte contre les feux de forêts, chiffre le colonel Olivier Desquiens. Le sapeur-pompier mentionne également "pas mal de petits matériels", ainsi que l'adaptation d'engins existants, avec par exemple la possibilité de fixer une lance à incendie à l'avant du véhicule.

Dans la Sarthe, après les incendies de 2019, la décision a été prise d'installer des caméras pour surveiller les 117 000 hectares de forêt du département. L'objectif est de détecter plus facilement les départs de feu, afin de pouvoir agir le plus rapidement possible. Le dispositif est installé sur 16 points hauts (9 pylônes et 7 châteaux d'eau). Coût de l'opération : 1,2 million d'euros hors taxes et 100 000 euros annuels de frais de fonctionnement, précise à franceinfo le lieutenant-colonel des sapeurs-pompiers Marc Rallu.

Les météorologues à la rescousse

La facture peut sembler lourde, mais le gradé relève qu'en 2015, dans le département, un incendie de 115 hectares avait coûté 500 000 euros, entre le matériel brûlé, les indemnités horaires des pompiers, la nourriture, la boisson et l'habillement utilisé. "Avec les caméras, nous aurions pu intervenir plus vite", estime Marc Rallu. Le lieutenant-colonel prend l'exemple d'un incendie détecté à Saint-Mars-d’Outillé, le 10 mai dernier, où le dispositif a donné un avantage aux pompiers. "On a vu le panache de fumée, on s'est dit : 'Là, ça brûle'. Donc plutôt que d'engager quatre véhicules comme on l'aurait fait normalement ce jour-là, on en a engagé huit dès le début", relate le lieutenant-colonel Marc Rallu. Au final, deux hectares ont été détruits. Un bilan qui aurait pu être plus important sans le nouveau dispositif, avance-t-il.

Pour surveiller les forêts et la végétation en général (notamment les champs cultivés), les pompiers s'appuient aussi sur les météorologues. Depuis 2020, dans la zone de défense Nord, une évaluation quotidienne du risque d'incendies est réalisée, entre le 15 juin et le 15 septembre, à l'aide d'indicateurs établis par Météo France, en regardant entre autres la végétation morte et la végétation vivante. "Nous évaluons chaque jour, avec les départements, et selon le calendrier, le risque incendie", explique le colonel Olivier Desquiens. "Fin juillet, la moisson bat son plein et les températures peuvent être extrêmes", illustre-t-il, rappelant que des formations spéciales sont nécessaires pour lire et interpréter les bulletins du prévisionniste.

Bien qu'encore floue, la menace des incendies estivaux inquiète les pompiers dans les Hauts-de-France, ainsi que dans la Sarthe. "La prise de conscience est récente, mais l'évolution est très rapide", se félicite le colonel Olivier Desquiens. "Aujourd'hui, le réchauffement climatique n'est pas encore prégnant, mais cela va vite le devenir", anticipe le lieutenant-colonel Marc Rallu.

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